Le drame du jeune homme qui s’est immolé par le feu, le 19 décembre, à Sidi Bouzid, pose le problème crucial de la place et du rôle du secteur informel dans notre système économique. Lequel ne crée pas suffisamment d’emplois. Ridha Kéfi
Pour limiter les effets déstabilisateurs du secteur informel, la loi de finances 2011 du Maroc prévoit de réduire de 30 à 15% le taux de l’impôt sur les sociétés. Cette réduction s’applique aux Petites et moyennes entreprises (Pme) dont le chiffre d’affaires est inférieur ou égal à 200 millions de dirhams marocains (35 millions de dinars tunisiens).
Secteur informel et absorption des chocs externes
Les experts marocains, et notamment les membres du Centre marocain de conjoncture (Cmc), estiment cependant que cette mesure, bien que nécessaire, reste largement insuffisante pour faire face efficacement à ce fléau qui gangrène l’économie formelle. Et pour cause.
Le secteur informel est d’autant plus difficile à combattre qu’il représente aujourd’hui, à l’échelle mondiale, près des deux tiers des emplois. En Afrique du nord, l’emploi informel est même estimé à 48% du total des emplois, sans compter l’emploi informel dans l’agriculture.
C’est ce qui explique, sans doute, l’hésitation des gouvernements de la région à prendre des mesures vigoureuses pour combattre efficacement ce phénomène, malgré les récriminations incessantes des patronats. Cette hésitation a d’ailleurs été confortée par la crise économique internationale, qui a mis en évidence le rôle du secteur informel dans l’absorption des chocs externes.
Quelle marge de manœuvre pour le gouvernement?
Lors de l’examen du budget du ministère de Commerce et de l’Artisanat par la Chambre des Conseillers, le 13 décembre, au Bardo, des parlementaires ont soulevé le problème du commerce parallèle. Ils ont appelé à lutter contre ce phénomène et à faire face à la commercialisation des produits de la contrefaçon dans les souks, et même dans les hypermarchés.
Dans ses réponses aux interrogations des conseillers, M. Ridha Ben Mosbah, ex-ministre du Commerce et de l’Artisanat – il a été remplacé mercredi par M. Slimane Ourak –, a rappelé le souci du gouvernement de faire face à ce phénomène à travers la réduction des droits de douane, ramenés de 36% à 30%, la facilitation de l’accès aux activités structurées, l’intégration dans les circuits organisés, en plus du renforcement du contrôle, notamment aux frontières, en mettant un accent particulier sur les marchandises nuisibles au consommateur, la lutte contre la contrefaçon et l’organisation du commerce ambulant.
Le ministre a aussi indiqué qu’une commission ministérielle mixte et des commissions régionales ont été créées dans chaque gouvernorat pour traiter la question du commerce parallèle. Il a souligné les efforts également déployés pour interdire l’installation non autorisée et aménager les marchés hebdomadaires qu’il y a lieu d’éloigner des centres villes, ainsi que l’interdiction des produits sensibles (alimentaires et sanitaires) dans les circuits parallèles.
Le but n’est pas seulement de protéger les consommateurs des dégâts sanitaires et autres que pourraient provoquer les produits licites, mais aussi de maîtriser les prix et de préserver le pouvoir d’achat du citoyen, a expliqué le ministre.
Le problème, on l’imagine, réside dans la marge de manœuvre dont dispose réellement l’administration pour mettre en route ces mesures visant à lutter contre le commerce ambulant ou anarchique.
Le drame survenu le 19 décembre à Sidi Bouzid, lorsqu’un commerçant ambulant s’est immolé par le feu pour protester contre des agents municipaux qui lui ont intimé l’ordre de s’éloigner du centre-ville, montre la difficulté qu’il y a à faire face à une pratique certes illégale, mais dont le rôle de soupape sociale est d’une grande importance.
Les opérateurs privés créent-ils suffisamment d’emplois?
En d’autres termes: les opérateurs du secteur formel pourront toujours se plaindre du manque à gagner et de la concurrence déloyale qu’ils subissent de la part du secteur informel – encore que certains d’entre eux y recourent souvent pour faire écouler leurs produits –, les gouvernements ne pourront lutter efficacement contre le commerce parallèle que le jour où la machine économique créera suffisamment d’emplois bien rémunérés et mettra fin ainsi aux conditions de précarité qui poussent les chômeurs à louer leurs services aux contrebandiers et aux contrefacteurs.
En d’autres termes, il ne s’agit pas de lutter contre le commerce parallèle en tant que tel et, encore moins, contre ceux qui sont souvent acculés à le pratiquer, mais contre les réalités économiques et sociales qui en font le lit: le chômage, la précarité de l’emploi, la pauvreté, etc.
Et là, les opérateurs privés ont un rôle à jouer, autant sinon plus que l’Etat. Ont-ils jusque là vraiment joué ce rôle, eux qui ont longtemps émargé sur les prêts bancaires et les facilités accordées par la communauté nationale? On a de bonnes raisons d’en douter…
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