Par-delà les gesticulations des médecins hospitalo-universitaires, qui sont les premiers responsables de la dégradation des soins dans les hôpitaux, le chemin de la vraie réforme du système de santé est encore très long.
Par Dr Moez Ben Khemis
Par ces temps difficiles et par cette cohue incontrôlable, la Tunisie vit au rythme des grèves et des sit-in. Normale me diriez vous. Au lendemain d’une révolution, le pays, déjà fragile, touche le fond et se débat comme il peut pour rebondir. Ainsi les différentes classes de la société manifestent librement leurs frustrations passées et essaient d’apporter un brin de justice à leur quotidien.
Une grève complètement illégitime
Cependant, il y a bien une chose à qui personne n’arrive à trouver explication: la grève des médecins hospitalo-universitaires observée les 30 et 31 mai dernier.
Alors que le peuple tunisien observe de jour en jour le déclin et la dégradation de ses hôpitaux publics, voilà que les hospitalo-universitaires, premiers responsables de ce déclin, viennent nous harceler avec cette grève sous prétexte qu’ils sont mal payés.
Moi-même ayant côtoyé de près ce monde de vautours, je peux estimer voire assurer que cette grève est complètement illégitime. En effet, à l’exception d’une minorité de professeurs et d’assistants – à qui je tire révérence au nom de tous, et sans qui nos facultés de médecine seraient déjà écroulées – la quasi-totalité de ces chers hospitalo-universitaires n’ont fait que participer activement à la dégradation de notre système de santé ainsi que notre instruction.
L’arrogance des intouchables
Ces chers professeurs, contrairement à leur triste réalité, croient qu’ils sont intouchables et qu’ils ont tous les droits. Alors que, dans les pays développés, pays références en sciences, en technologie et en médecine, la valeur des professeurs se mesure à celle de leurs travaux de recherches et aux sérieux de leurs publications, en Tunisie malheureusement les valeurs de nos pseudo professeurs se mesure à leur autorité, à leur arrogance ainsi qu’à la terreur qu’ils inspirent à leurs étudiants, leurs subalternes et même à leurs patients.
Un «professeur» n’adresse pas la parole à n’importe qui; il ne dit pas bonjour, on lui obéit au doigt et l’œil, on ne lui dit jamais «Non» même quant il a tort. Un «professeur» fait passer son intérêt personnel avant celui de ses étudiants et même avant l’intérêt du patient. Un «professeur» se croit tout permis dans son service. C’est à se demander pourquoi il y a moins de candidats que de postes au niveau des concours.
En ce qui concerne les travaux de recherches et les publications et, mise à part une petite minorité d’hospitalo-universitaires, la Tunisie est à la traîne. Les publications sérieuses publiées dans des journaux scientifiques internationaux avec un impact factor élevé, notamment les journaux anglo-saxons, se font très rares pour ne pas dire absentes.
Rigueur scientifique souvent absente
Ces chers professeurs se régalent par des pseudos publications dans des journaux futiles à faible index souvent locaux ou magrébins sans aucune valeur ni répercussion scientifique. Pire encore: la majorité des travaux scientifiques est confiée à des novices en la matière. C’est ainsi que la majorité des résultats sont trafiqués, certains sont même inventés de toutes pièces par les professeurs eux- mêmes. Rigueur scientifique et application sont souvent absentes.
En ce qui concerne le volet pédagogique: la formation des externes, des internes ainsi que des résidents est souvent aléatoire. Moi-même ayant fait ma formation au sein des hôpitaux de Sousse, je peux assurer que ni pendant mon internat ni pendant mon résidanat mes chers professeurs étaient présents. Je ne le répéterai jamais assez: à part quelques uns à qui je tire un grand coup de chapeau et à qui je dois la parcelle de ma formation. Souvent la formation est autodidacte; c’est ainsi que les ainés forment et encadrent les plus jeunes.
Le serment d’Hippocrate oublié
La formation des jeunes médecins tunisiens est vraiment médiocre mais ce n’est pas faute de bonne volonté mais c’est à cause de mauvais professeurs qui ont perdu leur morale et oublié les quelques phrases du serment d’Hippocrate qui ont traversé des siècles. Ceux-là sont occupés par leurs petites combines pour travailler leur propre intérêt, et avec le fléau grandissant de l’activité privée complémentaire (Apc), qui ne cessent de gangrener nos hôpitaux – l’état lamentable de la grande maternité de Sousse tombant en ruine en témoigne – ils sont occupés à ramasser encore plus d’argent. Alors qu’ils pensent à la formation des générations futures, me dites-vous? Il y a bien longtemps que ce n’est plus parmi leurs priorités.
Comment oser revendiquer une revalorisation salariale alors qu’aussi bien les soins, l’enseignement que la recherche ne sont pas assurés correctement. Il n’y a qu’à demander aux différents patients hospitalisés aux établissements publics si effectivement ils sont examinés ou traités par ces «chers professeurs».
Je peux vous répondre d’ores et déjà que non. Ce n’est pas de leur apanage – bien sûr sauf si c’est du privé. Par contre, les médecins résidents en cours d’apprentissage ou bien les jeunes assistants en début de leur cursus et souffre-douleur de ces professeurs s’y collent tant bien que mal.
Prendre exemple sur les sommités de ce monde
Avant de revendiquer une quelconque amélioration de leurs rétributions, ces «chers professeurs» n’auraient pas mieux fait de commencer par faire leur autocritique et de faire leur travail congrument?
N’auraient-ils pas mieux fait de passer plus de temps avec leurs étudiants et essayer de leur transmettre le peu de savoir qu’ils croient posséder?
N’auraient-ils pas mieux fait d’oublier leur grandeur, de mettre fin à leur arrogance et de s’injecter une bonne dose d’humilité et de politesse et de prendre exemple sur les grandes sommités de ce monde?
N’auraient-ils pas mieux fait de passer plus de temps avec leurs patients et de les soigner convenablement et avec toute leur énergie?
Plein d’autres questions me traversent l’esprit et auxquelles certes ces «chers professeurs» auront du mal à répondre.
Avec l’espoir que toute cette médiocrité cesse, je crois que le chemin de la vraie réforme est encore très long et parsemé d’embuches. J’espère que, d’ici là, nos «chers professeurs» auront compris les vrais enjeux.
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