L’auteur dénonce la passivité et la nonchalance des ses concitoyens qui assistent sans broncher à la déchéance de Hammamet. Son environnement physique et naturel périclite mais également son environnement humain.
Par Dr Salem Sahli*
Hammamet où je suis né, où j’ai grandi, dont je connais intimement les habitants, les familles, l’histoire… les moindres coins et recoins… m’est devenue méconnaissable. En effet, la métamorphose urbaine y a été brutale et généralisée. La vue des derniers jardins qui ont jusqu’ici échappé au phénomène d’urbanisation du littoral me rend triste. Les quelques villas de maître, elles-aussi miraculeusement rescapées, témoignent de la grandeur d’une époque révolue. Jadis baignant dans la verdure, elles se retrouvent aujourd’hui noyées au milieu des immeubles et infrastructures modernes qui courent le long du littoral pratiquement sans discontinuer jusqu’à Nabeul.
Une impression de désordre inesthétique
Et il suffit d’une petite balade au centre d’Hammamet pour se rendre compte de l’incohérence des aménagements entrepris: des parkings ont été aménagés au pied du fort et des remparts; la médina (bled), le cœur historique de la ville des jasmins, est quant à lui en voie de «bazarisation»; «maqam» (mausolée) Sidi Bou Hdid, ce monument du 12e siècle transformé en café touristique, semble avoir définitivement perdu son âme; les lampadaires de l’ex-place 7-Novembre, les enseignes lumineuses et autres panneaux publicitaires – véritable hymne à la laideur – finissent par produire chez le visiteur une impression de désordre inesthétique.
Pourtant, ces lieux chargés d’histoire recèlent une force culturelle qui pourrait constituer un des leviers fondamentaux du développement local à Hammamet.
Les terrains agricoles privés limitrophes de la forêt de Hammamet, qui ceinturent le domaine forestier de l’Etat et jouent un rôle essentiel dans la protection de la ville contre les inondations, sont livrés à la surenchère immobilière.
On déboise à tout-va, jour et nuit et en toute impunité. Il s'agit parfois de terrains immatriculés mais souvent de lots non immatriculés qui de toute manière sont soumis au régime forestier. Les services forestiers et de la direction régionale des ressources en eau (Dre) mènent des enquêtes, dressent des PV et informent leurs supérieurs hiérarchiques…
Pendant ce temps, Hammamet perd ses poumons. Le phénomène de «mitage» se poursuit à un rythme endiablé et de façon totalement incontrôlée. Le résultat est une véritable anarchie spatiale qui a entraîné la disparition d'une grande partie de la flore endémique de Jbel hammamet.
Des barbus hystériques en embuscade
Mais il n’y a pas que l’environnement physique et naturel de Hammamet qui a périclité. Plus grave et plus choquant encore, l’environnement humain s’est aussi gravement détérioré. Depuis l’avènement de la révolution, une nouvelle race d’individus a envahi l’espace public. Reconnaissables à leur aspect et leur tenue vestimentaire, ils se sont ligués en groupes, conseils ou associations, et tentent de nous imposer, y compris par la violence, leur mode de vie, leur façon de faire, leur vérité.
Les grues à l'oeuvre au centre de Hammamet
Mardi 11 septembre 2012, j’ai pris part à une manifestation de solidarité avec la délégation spéciale actuelle de Hammamet organisée par un collectif d’associations et de partis politiques. Voici une reproduction fidèle de la scène telle que je l’ai vécue: une hystérique en délire qui mord le maire et le poursuit au milieu de la foule, quelques provocateurs qui poussent à la confrontation, une poignée de voyous qui n’ont pas hésité à nous agresser physiquement. Et enfin une quarantaine de barbus, majoritairement inconnus des Hammamétois, qui n’avaient que «Dégage» pour unique chanson, pour unique slogan et unique message.
Tout ça est bien maigre, ils ont encore beaucoup de chemin à faire pour devenir audibles et crédibles. Ce n’est pas en criant comme des hystériques que l’on convainc les gens. Et dire que ceux qu’on a vus risquent de diriger le prochain conseil municipal et par conséquent décider de notre avenir et de celui de nos enfants.
D’un côté, un groupe composé exclusivement de mâles appartenant à la mouvance islamiste, le profil standard de l’intégriste pur et dur, coincé dans ses certitudes, ne respectant pas autrui et parfois même violent. De l’autre côté, un public mixte, joyeux, coloré et souriant, étonné devant autant d’irrespect, de haine et de menace.
Deux mondes, deux longueurs d'onde, deux référentiels, deux projets de société, deux cultures... Saura-t-on un jour en faire la synthèse en vue d’une coexistence pacifique? Espérons-le car, faute de quoi, la confrontation serait inéluctable. Mais qui pousse à la confrontation?
Le jeu pernicieux du gouverneur de Nabeul
Le gouverneur de Nabeul refuse d’appliquer la loi. Sa passivité et son incompétence nuisent aux intérêts de Hammamet qui est sans conseil municipal depuis plus de trois mois. Quand le maire actuel rejoint son poste conformément au décret n° 910 publié au Jort le 3/8/12 pour assurer la bonne marche des affaires municipales, le gouverneur l’ignore, l’empêche de travailler et bloque son salaire. Pire encore, il outrepasse son devoir de réserve et de neutralité, excite ses partisans et les pousse à affronter le camp légaliste.
Si tout le monde aujourd’hui tire à boulets rouges sur le parti Ennahdha, s’il est critiqué de la sorte, c’est parce qu’il prône la violence contre ses adversaires politiques et la cautionne.
Regardez, rien qu’à Hammamet, ses militants (milices) ont perturbé la manifestation du 9 avril et empêché Lotfi Bouchnak de se produire; ils ont pris d’assaut la mairie à deux reprises, ils ont menacé et tenté d’interdire par la force le spectacle de l’humoriste Lotfi Abdelli, etc...
Par contre, les autres, ceux qu’on appelle communément la gauche, les démocrates, les modernistes ou progressistes… eux, ils appellent au débat, à la négociation, au respect des idées, à la coexistence pacifique... bref à l’exercice de l’art politique.
Oui, la politique est un art, mais tout le monde n’est pas artiste. Moi, je suis du côté des non-violents, des modestes, des rassembleurs, de ceux qui doutent, qui se trompent, qui s’autocritiquent, qui acceptent l’'autre et qui ne prétendent pas détenir la vérité absolue. Mais attention, modestie ne veut pas dire faiblesse. Au fond de chaque hammamétois sommeillent une fierté et un orgueil incommensurables. Et il se tient toujours disposé à défendre sa ville lorsqu’il la sent menacée.
Ennahdha et ses satellites ont organisé plusieurs sit-in sans que personne ne vienne perturber leurs rassemblements. Mais dès que le camp adverse appelle à une manifestation, les militants intégristes d’Ennahdha débarquent pour mettre le désordre. Heureusement que les démocrates prônent la non-violence car il suffirait alors d’une étincelle pour que ça explose entre les Hammamétois qui souvent se connaissent ou sont même apparentés.
Moi, j’ai participé à plusieurs manifestations et en toute objectivité, j’accuse les islamistes de violence, d’agression et de troubles à l’ordre public. En temps normal, ces délits sont sanctionnés par la loi. Mais aujourd’hui, tout le monde est hors-la-loi. Et monsieur le gouverneur, qui refuse de s’exécuter en appliquant le décret du 3/8/12 qui permettrait à la ville de fonctionner de façon «normale», semble se délecter de voir les Hammamétois se déchirer pendant qu’il gère seul, depuis son bureau de Nabeul et sans aucune surveillance, nos affaires.
Forêt de Hammamet, on déboise à tout-va
Savons-nous au moins dans quelle direction se dirige le navire municipal? Quel est l’état de nos finances? Quid de nos projets en cours ou programmés?
Sommes-nous à ce point passifs et nonchalants pour laisser à d’autres le soin de décider à notre place de l’avenir de notre ville qui est aussi le nôtre?
Hammamétois, où sont passés ton orgueil et ta fierté? Réveille-toi! Je ne te reconnais plus.
* Président de l’Association d’éducation relative à l’environnement (Aere)
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