La Tunisie n'a pas besoin de festivités au Palais de Carthage, de beaux discours et de promesses creuses. Elle a besoin d'actions concrètes, de crédits privés et publics, de dons, d'aide au développement et d'investissement étranger.
Par Samir Abdelhafidh*
L'adoption de la nouvelle constitution tunisienne dans la nuit du 26 au 27 janvier 2014 a été largement saluée dans le monde. Les Etats-Unis, la France, l'Allemagne, l'Algérie, le Maroc, l'Union Européenne, l'Organisation des Nations Unis... ont tous envoyé des messages de félicitation aux Tunisiens.
Comme si ces messages ne suffisent pas, la présidence de la république a décidé, en plus de la fête qu'elle avait organisée le 27 Janvier 2014 au Palais de Carthage, de convier des dirigeants de pays frères et amis pour célébrer l'évènement, le 7 février 2014. Le président de l'Assemblée nationale constituante (ANC) a convoquer le même jour et pour la même occasion une séance plénière extraordinaire.
Paroles, paroles, paroles...
Les représentants des pays invités (ou certains privilégiés parmi eux) prononceront des discours, dans lesquels ils diront éventuellement que la Constitution tunisienne est l'une des plus progressistes au monde. Ils souligneront, par conviction ou par diplomatie, qu'elle a été le résultat d'un consensus entre les islamistes les plus modérés parmi ceux qu'ils ont jusque-là côtoyés, la gauche la plus souple qui n'ait jamais existé, et d'anciens destouriens et/ou Rcdistes qu'ils connaissaient des démocrates opprimés.
Il est probable qu'ils salueront le rôle du Quartet d'organisations nationales dans l'aboutissement à la formation d'un nouveau gouvernement auquel ils souhaiteront bonne chance, et n'oublieront pas de remercier l'ancien pour son sens de l'intérêt supérieur du pays. Ils remercieront sûrement les présidents de la république et de l'ANC et souligneront peut-être que sans le premier, la révolution tunisienne n'aurait pas vu le jour, et que l'internationale socialiste serait orpheline en l'absence du deuxième.
Ils nous diront en plus qu'on est un peuple formidable et oseront peut-être ajouter que notre pays est le plus propre de ceux qu'ils ont visités et que son infrastructure est suffisamment développée pour encourager l'investissement domestique et étranger.
Certains de leurs propos nous rappellerons leurs attitudes au lendemain du 14 janvier 2011. A l'époque, ils ont presque tous salué le courage du peuple tunisien et admiré ses aspirations à la démocratie et à la dignité. Ils nous rappellerons également leur éblouissement devant le degré de civisme affiché par le peuple tunisien à l'occasion de ses premières élections libres un certain 23 octobre 2011.
Il est possible que les Tunisiens se réjouiront un moment des éloges qu'ils vont entendre.
Cependant, il est certain qu'ils se rendront compte, comme ils s'en sont déjà rendu, que ce ne sont pas des discours qui vont changer leur quotidien, booster la croissance de leur économie, aboutir à la création d'emplois, et désenclaver les zones défavorisées.
La Tunisie a aujourd'hui besoin d'actions concrètes plutôt que des discours de la part des pays qui se considèrent et qu'elle considère comme «frères et/ou amis».
La Tunisie a aujourd'hui besoin de dons et autres formes d'aide publique au développement, de crédits privés comme de crédits publics, et d'investissement étranger.
Que reste-t-il des promesses du G8 à Deauville?
Ceux qui viendront nous prononcer des discours feront mieux, pour aider la Tunisie, d'encourager leurs ressortissants à venir passer des vacances dans ce pays, d'alléger une partie de ses dettes extérieures, et de lui permettre une assistance technique pour lutter plus efficacement contre le terrorisme. Ils feront mieux de tenir des promesses faites en 2011 à l'occasion de la réunion du G8 à Deauville en France.
La nouvelle équipe qui gouverne aujourd'hui la Tunisie doit mettre tout en œuvre sur le plan diplomatique pour traduire les promesses des discours en actions concrètes. Cette tâche ne parait pas trop difficile vu la sympathie dont le gouvernement Jomaâ semble déjà jouir. En témoignent, entre autres, le déblocage par le Fonds monétaire international (FMI) de la 2e tranche du crédit accordé à la Tunisie en 2013, l'invitation du chef du gouvernement aux Etats-Unis courant 2014 par B. Obama, et l'accueil très chaleureux qui lui a été réservé lors de sa visite en Algérie.
Ce n'est pas la manche que la Tunisie va faire. C'est une demande légitime pour un pays en phase de transition démocratique, dont les ressources sont très limitées, qui fait face à un environnement extérieur plutôt difficile, et dont la réussite favorisera la stabilité de toute la région.
Les pays européens n'ont pu surmonter les conséquences de la deuxième guerre mondiale que grâce au plan Marshall. La plupart des pays de l'Europe de l'Est n'ont réussi leurs transitions politiques et économiques qu'à travers l'aide de l'Union européenne. L'Afrique du Sud a largement bénéficié du soutien de la communauté internationale suite à la chute du régime de l'apartheid. Les pays latino-américains ne se sont relevés de leurs crises d'endettement extérieur au cours des années 1980 que grâce au soutien financier des Etats-Unis et aux pressions exercées par l'administration américaine sur les banques internationales pour accepter des décotes sur leurs créances.
Tous ces exemples soulignent le fait qu'au-delà des discours politiques, ce sont des actions concrètes dont la Tunisie a aujourd'hui besoin pour réunir les conditions nécessaires à la maturité de sa démocratie naissante.
* Universitaire. Ecole Polytechnique de Tunisie.
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