En moins de deux semaines, plusieurs actes à connotation islamophobe ont été commis dans diverses régions du pays. Troublantes coïncidences dans un pays qui n’a jamais enregistré auparavant de pareils actes.
Par Hatem Nafti
Il y a une douzaine de jours, une majorité de Tunisiens a été frappée par un geste certes symbolique mais ô combien abjecte. Sur le toit de la faculté des lettres de Mannouba, théâtre d’affrontements entre des personnes se réclamant du salafisme et le corps enseignant, un jeune homme assimilé aux fondamentalistes a baissé le drapeau tunisien et mis à la place celui des salafistes. L’indignation a été aussi importante que l’admiration suscitée par Khaoula Rachidi, une jeune femme qui, au mépris de sa sécurité, a osé défier cet être indigne et a remis à sa place la bannière nationale, symbole rassembleur au-delà de tout clivage politique, idéologique et même religieux. Au moment où nous écrivons ces lignes, l’auteur de ce sacrilège court toujours, tout comme la majorité des auteurs des démonstrations de force intégristes depuis le 14 janvier.
L’indispensable unité nationale
Cet événement a poussé des gens de tous les bords politiques à s’interroger sur la question de l’unité nationale, tellement indispensable en ces temps de crise mais plus que jamais fragilisée.
L’on se demande aussi comment ces gens peuvent agir en toute impunité. Comment le parti Ettahrir, pourtant toujours interdit, peut-il organiser un fastueux congrès international dans un hôtel au nord de Tunis ? Comment le secrétaire général de ce même parti a-t-il pu dire à la télévision que le drapeau tunisien n’était qu’un «chiffon» sans qu’il ne soit inquiété pour ses propos, ou, plus récemment, comment des représentants du parti au pouvoir, Ennahdha en l’occurrence, élus démocratiquement, participent à une manifestation où ont été brandis des slogans anti-démocratiques ?
Or, au moment où on se pose ces questions légitimes, voilà qu’éclatent, en une seule semaine, trois faits divers d’une extrême gravité.
Le premier acte se déroule à Mahdia, le quotidien ‘‘Essabah’’ du 11 mars, rapporte qu’un jeune homme a été arrêté après avoir fait circuler des caricatures du Prophète Mohamed. L’article est assez vague mais il est difficile de ne pas se remémorer l’affaire des caricatures danoises de Mohamed et le sentiment d’humiliation éprouvé par les musulmans qui ont estimé que la liberté d’expression n’était là qu’un prétexte pour passer des messages islamophobes, notamment quand une de ces caricatures montrait le Prophète (Saas) coiffé d’un turban en forme de bombe.
Le deuxième acte s’est déroulé vendredi après la grande prière à la mosquée d’El Fath, au centre-ville de Tunis, au moment où une partie des fidèles devait converger vers le Bardo pour la grande manifestation pour l’application de la charia. Une personne est accusée d’avoir dessiné une étoile de David sur le nom de la mosquée gravé sur du marbre à l’entrée. L’accusé admet et dit qu’il avait ses raisons. On, monte d’un cran, il s’agit de la profanation d’un lieu de culte par quelqu’un qui se trouvait dans la mosquée et qui y faisait la prière.
Le troisième et, pour le moment, dernier acte se déroule dans le gouvernorat de Tataouine. Un jeune est arrêté et accusé d’avoir profané le Saint Coran. Comme pour les deux premiers actes, l’auteur présumé est vite arrêté et interrogé. Cette fois, ce ne sont pas par les forces de l’ordre qui l’interrogent, mais une association coranique. Il avouera être athée et homosexuel et expliquera avoir voulu se venger de l’islam. Cet acte ignoble nous rappelle des faits tristement célèbres comme ce pasteur américain qui a brulé le Coran ou plus récemment, en Afghanistan, et dont le but n’est autre que d’humilier les musulmans.
A qui profitent les crimes ?
Malgré cela, nous devons nous poser des questions. Pourquoi ces faits se déroulent-ils maintenant ? A quoi est due cette montée aussi soudaine que rapide d’actes islamophobes ? Nous ne pouvons que nous féliciter de le la rapidité des arrestations, opérées en un temps record, et de la rapidité du passage des malfaiteurs aux aveux (dans le cas de la mosquée, l’accusé n’a même pas cherché à se soustraire à la justice). Mais nous devons essayer de trouver une réponse à la question : «A qui profite le crime ?».
Sans vouloir accuser une partie en particulier, je ne peux que constater que ces faits divers accentuent la thèse défendue par certains qui affirment que l’islam est en danger. Il est vrai que notre religion a rarement été aussi attaquée en si peu de temps. Nous devons nous assurer que les agresseurs présumés soient poursuivis, jugés et que les peines prononcées à leur encontre soient exécutées. Les enquêteurs doivent également s’assurer que ces actes, a priori isolés, n’ont pas été prémédités et coordonnés par une tierce partie. Il y va de la paix civile du pays, paix plus que jamais menacée.
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