Jamed Dridi écrit – Nos politiciens devraient retourner au contact des Tunisiens de l’intérieur, connaître leur demande pour mieux y répondre et leur montrer ainsi que, désormais, contrairement au passé, ils existent.
Le marketing politique c’est bien. Occuper les médias, les TV, les réseaux sociaux permet de convaincre, séduire des électeurs. Mais cela ne suffit pas. Les prochaines élections tunisiennes rendront victorieux ceux qui seront allés beaucoup au contact des Tunisiens et Tunisiennes. Ceux qui, par leurs visites, mettront à la lumière des zones longtemps méprisées et restées dans l’ombre.
En Occident, 100 déplacements minimum par an
Pourquoi diable un président comme Obama ou Sarkozy font-ils autant de déplacements dans les provinces de leur pays pendant leur mandat présidentiel ? Cette tendance devenant même une gymnastique quotidienne pendant la campagne électorale au point tel qu’il y a parfois deux visites le même jour dans deux villes pourtant éloignées.
Pourquoi cela alors que les leaders politiques ont bien souvent des amis patrons de presse et tv, qui «roulent pour eux» plus ou moins discrètement, soit par idéologie soit pour services rendus ?
Il y a bien sûr une volonté d’aller «vendre» son programme électoral, faire des promesses qui ne seront pas toujours tenues… et prendre le temps d’écouter les doléances populaires, bref faire du marketing politique – lequel vient d’ailleurs de reprendre une nouvelle fraicheur avec les réseaux sociaux –, mais il n’y a pas que cela.
Pourquoi le politicien doit-il aller au contact du peuple ?
L’une des raisons essentielles est le contact physique entre des électeurs et un candidat. Jacques Chirac, l’ancien président français, a perdu toutes les élections présidentielles tant qu’il a ressemblé à un politique technocrate distant et parisien. Dès lors qu’il s’est mis à sillonner la France et à «serrer des mains», son image a changé et il a remporté l’élection présidentielle. C’est de cette image de proximité que les Français se rappellent le plus aujourd’hui, celle de l’homme qui avait le contact facile avec les citoyens.
Bien évidemment, les choses ne sont pas aussi simples et il y a une équipe, une campagne, un programme qui ont aussi compté, mais les déplacements dans la France profonde, comme l’on dit pour parler de la Province, ont été déterminants.
Tout le monde dira ici que toutes ces affirmations sont des lieus communs. Peut-être sauf qu’en Tunisie, cela ne semble pas être le cas. A part pendant la campagne précédant le 23 octobre, qui en a vu certains faire quelques meetings dans les villes de l’intérieur. Les gagnants des élections du 23 octobre avaient tout de suite compris l’enjeu. Dans un jeu politique ouvert où une personne quelle que soit sa région représente une voix électorale, tout ne se décidera plus seulement à Tunis. Ce n’est pas pour rien que les militants d’Ennahda, du Congrès pour la République (Cpr) et un peu moins d’Ettakatol sont allés beaucoup au contact des régions intérieures ouvrant bureau après bureau, rencontrant les habitants et proposant parfois accessoirement leur aide. Ils ont rapidement compris que ces mêmes Tunisiens du fin fond de régions négligées par l’ancien despote avaient une maturité politique et qu’ils allaient décider de leur sort électoral. Cette proximité a payé.
Au même moment, des personnalités politiques pourtant de qualité, plus situées au centre, faisaient leur campagne de Tunis et uniquement de Tunis. Pire, certaines préférant briller à Paris, Londres ou Berlin et ne mettant pas les pieds dans les régions intérieures ! Certaines personnes ne sortirent même pas du périmètre de l’avenue Bourguiba préférant une campagne médiatique tv ou sur les réseaux sociaux. Une campagne virtuelle dans un espace facebookien certes bien connu des tunisiens mais pas moins virtuel.
Mais depuis ces élections, que se passe-t-il ? Sauf peut-être un peu Marzouki (qu’un sondage plébiscitait, sans doute en raison de ses déplacements nombreux), les élus de la «troïka» et du centre vont-ils au contact des Tunisiens du centre et du sud ? Pas vraiment.
Au contact des citoyens pour mieux connaître leurs soucis
Au moment où ces lignes sont écrites, la Tunisie continue, entre excès de fièvre salafiste surexploitée médiatiquement et sur vidéos sur Youtube sans épaisseur politique mais qui font le buzz, d’avancer vers la lumière démocratique avec bientôt des prochaines élections.
En rappelant qu’il faut vite revenir aux sujets essentiels qui ont été les «véritables gasoil» de la colère des Tunisiens et Tunisiennes pendant la révolution comme le chômage, les inégalités, la corruption, l’état du système éducatif et sanitaire, etc., sous peine d’un dur KO électoral, les hommes politiques devraient rapidement retourner au contact des Tunisiens de l’intérieur, connaître leur demande pour mieux y répondre et ainsi et leur montrer que, désormais, contrairement au passé ils existent.
Les stratèges et conseillers des leaders politiques devraient se rappeler la célèbre maxime de Zhu Chu (dans ‘‘L’art de la guerre’’) : «Une guerre est à moitié gagnée lorsqu’on connaît bien le terrain de la prochaine bataille».
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