Une Assemblée constituante qui fonctionne comme une chambre d’enregistrement, un gouvernement qui se croit éternel et un pays à la dérive: dans quelles conditions vont se dérouler les prochaines élections?
Par Faik Henablia*
Près de sept mois se sont écoulés depuis l’élection de l’Assemblée nationale constituante (Anc) et le moins que l’on puisse dire est que la désillusion est grande, qu’il s’agisse de son action, ou de son rythme de travail. Cette désillusion devient même inquiétude franche pour quiconque essaie de faire des projections quant à la durée effective de son mandat, si d’aventure elle devait continuer sur ce rythme!
Une Assemblée constituante sous la botte de l’exécutif
Ces dames et messieurs, tant au gouvernement qu’à l’Anc, donnent en effet l’impression de s’installer dans un certain confort, comme s’ils avaient tout leur temps, comme si l’état du pays n’imposait pas une diligence particulière.
L’Anc se comporte beaucoup plus en parlement, ou plutôt en chambre d’enregistrement, face à un exécutif qui semble l’avoir mise sous sa botte, qu’en assemblée constituante.
Pour ce qui est de la rédaction d’une constitution, après tout, ce pour quoi elle a été élue, il semble qu’elle n’en soit encore qu’au… projet de 3e paragraphe du préambule! Les membres de cette vénérable institution ne donnent pas l’impression de saisir l’urgence de la situation. Certains font même la Une de l’actualité, non pas par telle ou telle proposition inédite, mais en raison du caractère excessif de leur indemnité.
Un exécutif provisoire et qui se voit dans la durée
Quant à l’exécutif, il semble sûr de lui et fait comme s’il disposait de la durée. Le président, auquel l’épithète de provisoire déplait manifestement, a commencé par annoncer tout bonnement qu’il faut au moins trois ans pour s’atteler aux problèmes du pays. Rien que ça! Et il n’est pas tout à fait revenu sur cette position.
Le gouvernement, quant à lui, agit comme s’il avait décidé de s’éterniser: nominations de gouverneurs, inaugurations diverses, ressuscitations d’écoles du passé, projets tous azimuts, promesses faites aux uns et aux autres, bref toutes tâches normalement dévolues au gouvernement définitif de la Tunisie, celui qui sera issu des élections organisées sous l’égide de la nouvelle constitution, celle-là même que l’on a précisément tendance à oublier!
Or, à moins d’avoir mal compris, ceci n’est pas du tout ce que l’on attend de ce gouvernement. Sans vouloir le réduire à expédier les affaires courantes, il devrait pourtant, sous peine de se disperser, se limiter à deux ou trois grandes priorités et s’y tenir: le rétablissement de la sécurité par exemple, ou l’organisation des prochaines élections. Les deux sont d’ailleurs indissociablement liées car qui pourra prétendre que l’on peut voter en toute sérénité si on a peur.
Deux ou trois tâches urgentes
Le fait est que des pans entiers du pays constituent des zones de non droit; certains se transformant en quasi califats régis par des fous de Dieu; d’autres étant en proie à des luttes tribales et claniques d’une autre époque. N y a-t-il pas une police nationale à remettre sur pied (et non une milice au service de tel ou tel mouvement politique)? Où irions-nous si chacun y allait de ses petits barbouzes?
A moins d’être de mauvaise foi, qui donc reconnaîtra la légitimité d’élections tenues dans un climat d’insécurité? De même, qui se sentira lié par les résultats d’un scrutin organisé par une instance non indépendante du pouvoir, que ce soit l’Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie) ou son successeur.
Voilà donc deux chantiers urgents et essentiels sans lesquels rien de solide ne pourra être bâti dans le futur. Or nulle avancée significative n’en saute, a priori, aux yeux.
On le voit bien: l’ouvrage ne manque pas pour ce gouvernement pour ne pas avoir à s’embarquer dans on ne sait quelle action démesurée, et d’ailleurs irréalisable, de tout régler à la fois.
De ce point de vue, les organisations syndicales ont également une responsabilité particulière en sachant résister à la tentation de la surenchère revendicative. Le vrai interlocuteur n’est pas le gouvernement actuel mais celui à venir. Or est–il judicieux d’entraver l’action du premier, de le détourner de sa vraie tâche, lui qui cherche le moindre prétexte pour se maintenir et dépasser les délais?
Que les Tunisiens sachent que chaque grève, que chaque sit-in, sauf lorsqu’il s’agit de défendre la liberté, fournira au gouvernement des arguments supplémentaires pour perdurer. Il ne s’agit pas, bien sûr de renoncer au droit de grève mais d’en moduler l’usage par efficacité tactique et, surtout, de ne se tromper d’interlocuteur.
En démocratie, la limitation dans le temps des mandats des institutions élues, ainsi que leur renouvellement périodique, sont une condition de leur légitimité. Celle-ci n’est pas éternelle et le meilleur service que l’Anc et le gouvernement provisoire puissent rendre au pays, c’est de se dépêcher, afin d’accélérer la mise en place des institutions définitives.
Car dans le cas contraire, les Tunisiens sauraient ne pas se laisser abuser.
* - Gérant associé.
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