A y voir de plus près, la désignation de Mehdi Jomaa à la tête du prochain gouvernement n'est pas une victoire pour Ennahdha, pas plus qu'elle n'est une défaite pour l'opposition.
Par Tarak Arfaoui
La désignation, samedi, par le dialogue national, de Mehdi Jomaa à la primature ministérielle, aussi surprenante soit-elle de prime abord, a été unanimement considérée par les observateurs politiques comme une victoire d'Ennahdha, qui, parait-il, a abattu cette carte comme un joker de dernière minute pour piéger l'opposition.
Le Cheval de Troie de l'opposition
L'analyse objective des évènements me conforte plutôt dans la conviction que M. Jomaa, en fin de compte, a l'air d'être plutôt un Cheval de Troie de l'opposition, l'homme qu'il faut apparu au moment qu'il faut.
Il va sans dire que le Quartet parrainant le dialogue national (UGTT, Utica, Ordre des avocats, LTDH) est peut-être finalement arrivé après deux longs mois d'interminables palabres et de tergiversations des protagonistes à la conclusion qu'il est pratiquement impossible d'accorder les violons des différents politiciens engagés dans les débats tant leurs égos et leurs ambitions partisanes démeusurées les empêchent d'arriver au moindre consensus.
En effet, il était devenu clair que dès qu'un camp sponsorise ouvertement un candidat, le camp adverse s'y oppose systématiquement quelle que soit la valeur du candidat ou les solutions qu'il est sensé apporter, ramenant les débats à une querelle partisane indépendamment de tout programme politique.
De date butoir en ultimatum, la position du Quartet était finalement devenue intenable et il était devenu impératif de réaliser un passage en force avec l'aval des chancelleries occidentales en imposant un candidat aux normes internationales.
Dans ce jeux de dupes, Ennahdha a peut-être été aussi pris au piège et mis devant le fait accompli par le Quartet et s'accommodant du candidat Mehdi Jemaa pour la simple raison qu'il n'était pas le candidat de l'opposition et qu'il faisait partie du cabinet de Ali Larayedh, le chef du gouvernement sortant et dirigeant historique du parti islamiste.
Ali Larayedh, Premier ministre omnipotent redevenu subitement citoyen lambda: n'est-ce pas là une grande victoire de l'opposition?
En regardant sans a priori ni de parti-pris le profil de M. Jomaa, il est légitime de se demander si l'opposition pourrait dans les conditions actuelle trouver meilleur candidat aussi proche de ses positions et de ses aspirations, un homme jeune, cultivé, à l'esprit rationnel, forgé par une instruction scientifique de haut niveau, au contact de par son travail avec les grandes compétences internationales et ayant occupé des postes de grande responsabilité managériale.
Son inexpérience politique, contrairement aux autres candidats, dinosaures de la politique, ne me semble pas être un handicap en soi mais peut-être une qualité lui permettant de se mettre à l'abri des manigances habituelles des politiciens.
Ennahdha joue à qui perd gagne
A ceux qui doutent des prétendues accointances de M. Jomaa avec Ennahdha, il est clair que le personnage ne semble pas du tout formaté sur tous les plans aux standards des islamistes. Un simple parcours des listes des militants d'Ennahdha aussi bien au niveau de ses dirigeants, de ses députés que des membres de son Conseil de la Choura, ne permet pas de trouver une personnalité ayant le parcours ou le calibre de M. Jomaa.
La «victoire» d'Ennahdha, annoncée avec un grand tintamarre, a été obtenue moyennant de lourdes pertes et, comme Pyrrhus, ce mouvement ne semble pas prêt de faire d'autres grands sacrifices pour des victoires aussi minces.
Peut-on parler de victoire quand on quitte la scène politique par la petite porte? Peut-on parler de victoire quand on lâche aussi vite le pouvoir après avoir milité pendant toute une génération pour se l'accaparer au prix de lourds sacrifices.
M. Larayedh, Premier ministre omnipotent redevenu subitement citoyen lambda, ira-t-il jusqu'à sabler le champagne pour fêter cette «victoire»?
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