A l’image de la Tunisie, l’UGTT a plus que jamais besoin de changement. Il faut, surtout, que les valeurs féminines irriguent ses structures majoritairement dominées par les mâles.
Par Moncef Kamoun *
Ce n’est certainement pas par hasard que la femme tunisienne a eu un rôle déterminant dans les différentes étapes de l’histoire du pays. Et cela pour diverses raisons. La Tunisie est le premier Etat au monde fondé par une femme, la reine Alyssa. C’est aussi le premier pays arabe à avoir promulgué, en 1956, un Code du statut personnel (CSP) qui interdit la polygamie. C’est également l’unique pays arabe à avoir octroyé le droit de vote aux femmes dès 1956, avant même certains pays occidentaux, comme Chypre en 1960, Monaco en 1962, la Suisse en 1971 ou le Portugal en 1976.
Le pays où la femme est reine
La Tunisie est, par ailleurs, le premier pays arabe à avoir légalisé l’interruption volontaire de grossesse (IVG) en 1973, alors qu’il y a encore des pays européens qui sont restrictifs dans ce domaine.
Bien que l’artisan de cette révolution soit, entre autres dirigeants historiques, Habib Bourguiba, il importerait de rappeler que le syndicaliste et homme politique tunisien Tahar Haddad avait milité, dès 1930, pour l’abolition de la polygamie afin que la femme tunisienne puisse bénéficier du statut le plus moderne au monde.
La femme tunisienne a donc depuis toujours influé, mais après la révolution, période au cours de laquelle elle a été bien présente, son rôle est devenu beaucoup plus important. Aujourd’hui, il n’y a aucun organisme politique ou associatif dont la direction soit composée uniquement d’hommes… sauf un seul et l’un des plus anciens du pays, l’Union générale tunisienne du travail (UGTT).
Un acteur politique de premier plan
Le mouvement syndical tunisien, on le sait, a été fondée 1924 par Mohamed Ali El-Hammi pour permettre aux travailleurs de participer à la lutte anticolonialiste. C’était, d’ailleurs, le premier syndicat du monde arabe.
Après l’indépendance l’UGTT, qui avait été créée sous le régime colonial, en 1946, a toujours joué un rôle crucial dans les moments difficiles. Elle est une force nationale au service du peuple et un vrai contrepoids au pouvoir politique, et c’est là un phénomène purement tunisien.
En l’absence de partis politiques d’opposition forts, indispensables pour la bonne marche démocratique, c’est l’UGTT qui a toujours été appelée à jouer ce rôle et elle est historiquement un acteur politique de premier plan.
En janvier 2011, l’UGTT a joué un rôle primordial dans le déclenchement de la révolution et surtout dans l’encadrement des mouvements et des revendications populaires. Elle a joué un rôle central dans la politisation de cette révolution qui n’était, au départ, qu’une protestation populaire spontanée et désorganisée. Les structures régionales et locales de l’UGTT ont, en effet, encadré et organisé cette contestation sociale.
En 2013, après les assassinats politiques des dirigeants de gauche, l’UGTT a été au centre des négociations pour trouver une issue à la crise que le pays a traversée. Elle a, en effet, décidé des grèves générales et mené le bal des protestations, avant de conduire le dialogue national et d’en imposer l’orientation et la cadence, avec trois autres organisations nationales : l’Utica, la LTDH et l’Ordre des avocats.
Un besoin de changement et d’un nouveau souffle
On peut dire qu’elle a réussi là où les partis politiques ont échoué. Mais c’était surtout avec un esprit constructif où seul compte l’intérêt du pays et non celui des personnes. C’est ce qui a fait la réussite de notre processus démocratique, qui a su surmonter de nombreuses difficultés.
L’UGTT a toujours œuvré en vue d’éviter les dérapages et a démontré qu’on pouvait faire autre chose que renverser le pouvoir : plutôt discuter et amender.
Aujourd’hui, avec plus d’un demi-million d’adhérents, elle reste une puissante centrale syndicale et un acteur incontournable de la scène politique, mais, à l’image de notre pays, elle a plus que jamais besoin de changement et d’un nouveau souffle. Il faut, surtout, que les valeurs féminines irriguent ses structures majoritairement dominées par les mâles.
Nous devons alors être tous derrière cette organisation forte par son passé et par son implantation à travers tout le pays, mais nous voudrions voir les négociations sociales se dérouler avec un esprit constructif ou uniquement dans l’intérêt du pays et non de celui des personnes.
* Architecte.
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