Le système électoral tunisien souffre de beaucoup de maux. Le calendrier en est un. Il est temps d’opérer des changements pour stabiliser et consolider les institutions de la 2e république, et d’abord en organisant la présidentielle avant les législatives.
Par Abdelmajid Mselmi *
En 2014, l’organigramme des élections a été décidé par le Quartet du dialogue nationale présidé par Houcine Abbassi, à l’époque secrétaire Général de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT). Lors de la réunion, les partis qui avaient un candidat à la présidentielle (Nidaa, Parti des travailleurs, UPL..) ont voté pour la présidentielle en premier. Les partis qui n’avaient pas de candidats déclarés à la présidentielle (Ennahdha , Afek, Al-Massar…) ont voté en faveur des législatives en premier. Finalement, M. Abbassi a recouru au vote et le choix final a été que les législatives précèdent la présidentielle. Ainsi une question foncièrement politique a été tranchée relativement à la légère et la décision a été prise à la va vite.
En 2019, cette question doit être débattue de nouveau au sein de l’Instance supérieure indépendant des élections (Isie) et au sein du parlement. Ce qui a été décidé en 2014 ne doit pas être pas être considéré comme un fait accompli ou un diktat auquel on doit se résigner. La question est très importante pour le fonctionnement des institutions de la 2e république et doit être revue avec sérieux et responsabilité
Eviter la cohabitation
Dans un pays comme la Tunisie confrontée à des problèmes complexes, politiques et socioéconomiques, il est très souhaitable que les 2 têtes de l’exécutif soient de la même sensibilité politique. Un président d’un parti politique et une majorité parlementaire d’une sensibilité différente pourraient constituer une entrave majeure pour la gestion des affaires de l’Etat
En France, dont le système politique n’est pas très différent du nôtre, les expériences de cohabitation (Mitterrand-Chirac en 1986) et (Chirac-Jospin en 1998) ont constitué, selon les observateurs, une entrave pour l’action gouvernementale. C’est pour cela qu’après le référendum de septembre 2000, qui a mis fin au septennat et a instauré le quinquennat, et afin d’éviter la cohabitation, les institutions françaises, et après un débat passionné, ont décidé, en avril 2001, de changer le calendrier électoral en avançant la présidentielle de 2 mois sur les législatives. Car l’électorat a souvent tendance à reconduire une majorité présidentielle au sein du parlement. La mesure s’est révélé efficace car depuis l’adoption de cette loi, la majorité parlementaire a suivi la majorité présidentielle (Sarkozy-Hollande-Macron).
Il est établi que quand les élections présidentielles sont organisées en 1er, l’opinion publique et l’électorat suivent généralement la majorité présidentielle et votent pour une majorité parlementaire favorable au président élu ce qui peut éviter le scénario de la cohabitation conflictuelle.
Contenir l’effritement électoral
Le souci de toute démocratie est de limiter l’effritement électoral et de dégager une majorité et des groupes parlementaires consistants capables de stabiliser l’action gouvernementale.
Le «seuil de 5%» tel que préconisé par le projet de loi du gouvernement n’est pas le meilleur moyen pour faire face à l’effritement électoral. C’est un moyen artificiel, ségrégatif et à la rigueur anti-démocratique. La sélection électorale doit être une «sélection naturelle» sur une base politique et non «statistique» et coercitive.
Une présidentielle réalisée en 1er lieu est le meilleur moyen pour limiter l’effritement politique. Les partis sont incarnés par des leaders qui véhiculent leurs pensées et leurs programmes. Les 5 ou 6 premiers candidats classés dans la présidentielle vont cristalliser les principales orientations des partis politiques en place et vont les conduire aux législatives et former des blocs parlementaires. Ainsi la présidentielle réalisée en 1er va permettre de faire la synthèse des forces politiques en place et d’optimiser et simplifier l’offre politique présentée aux électeurs.
En revanche, si les législatives sont réalisés en premier, cela va constituer un appel d’air à des candidatures de tous bords sans projet politique national et global pour un bon nombre de listes. L’électorat déboussolé devant un nombre très important de listes va s’effriter et des dizaines de milliers de voix vont être perdus ce qui très mauvais pour la démocratie.
Notre système électoral souffre de beaucoup de maux. Le calendrier en est un. Il est temps d’opérer des changements pour stabiliser et consolider les institutions de la 2e république.
* Médecin et activiste politique.
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