Plage de Rafraf, un paradis défiguré.
À Rafraf, ville située à une soixantaine de kilomètres de Tunis et à une quarantaine de kilomètres de Bizerte, la nature est malmenée, polluée et outragée, le domaine maritime et forestier piétiné, squatté et accaparé, et l’espace autrefois verdoyant rongé par un bétonnisation galopante.
Par Abderrahman Jerraya *
L’histoire a commencé il y a une trentaine d’années lorsque les autorités locales s’avisèrent que le paisible village dénommé Dhar Ayed, qui a les pieds dans l’eau, était débordé, submergé par l’assaut de plus en plus grandissant des estivants. Ceux-ci moyennant la location bon marché, parfois à la petite semaine, d’un studio, d’un appartement, d’une maison venaient nombreux, attirés par une nature belle et généreuse. Plage au sable quasi blanc s’étendant à perte de vue, eau cristalline, colline boisée.
Mauvaise gestion locale des eaux usées
Cet afflux de «touristes» n’a cependant pas tardé à poser de gros problèmes notamment en matière d’évacuation des eaux usées. Celles-ci devenues trop abondantes ne pouvaient plus comme par le passé être rejetées directement à la mer toute proche, sous peine de rendre l’eau impropre aux baignades.
Alors lesdites autorités ont eu l’idée de collecter ces eaux usées dans une fosse creusée à même la plage de les pomper et les refouler vers un oued se trouvant à quelque encablure du village sus mentionné, en prenant le soin de construire quelques digues de rétention. Ce faisant, elles pensaient avoir résolu le problème.
Pas vraiment! Car les eaux usées, eu égard aux volumes déversés, ont fini par gagner la mer sans avoir stagné quelque temps dans le lit de l’oued. C’était du pain béni pour le moustique commun qui a trouvé là un gîte éminemment favorable pour se reproduire et se multiplier sans entrave aucune. À tel point qu’il est devenu une source de nuisance très mal supportée par la population locale. Finies les soirées au café qui auparavant se prolongeaient jusque tard dans la nuit. Finies les veillées familiales sous le ciel étoilé. Pour se protéger les gens n’avaient d’autres choix que de se cloîtrer dans leurs maisons avec portes et fenêtres fermées, à moins de disposer de moustiquaires pour les plus chanceux.
Un torrent d’eaux usées se jette à la mer
Face au mécontentement grandissant de la population, les autorités locales ont dû se rendre à l’évidence. Le rejet des eaux usées dans l’oued n’a rien réglé. Bien au contraire, il a créé un nouveau désagrément. C’est pourquoi l’Office national de l’assainissement (Onas) a dû se résoudre à prendre le problème à bras le corps, en édifiant une station-relais de rétention à l’intersection de la route goudronnée qui descend à la plage et une piste qui fait un raccourci vers la mer. Les eaux accumulées provisoirement devaient être pompées et dirigées vers une station d’épuration à construire dans les environs d’Oussja. Mais ce projet n’a pu être finalisé.
Toujours est-il que les eaux retenues dans la station-relais continuent à être pompées et refoulées, paraît-il, vers un autre oued situé au nord de Sounine. Mais cela sans compter sur les défaillances de la machinerie de la station-relais, en manque d’entretien. Ainsi, il arrive que la pompe dont celle-ci est équipée tombe en panne. Et c’est la catastrophe. Le lâchage d’un très grand volume d’eaux usées va emprunter la piste à forte pente et prendre rapidement l’allure d’un torrent à gros débit entraînant sur son passage toutes sortes de déchets et dégageant une odeur nauséabonde irrespirable pour aller se jeter à la mer distante de 0, 5km environ. Cela s’est produit le 8 août 2018, vers 8 H, comme en témoigne la photo ci-jointe. Et ce n’est pas la 1ère fois. Imaginez piétons et voitures patauger dans cette eau boueuse et putride, sentant les égouts.
Une nature malmenée, polluée et outragée
Quoi conclure? Il semble bien qu’on a tué la poule aux œufs d’or. Une nature malmenée, polluée, outragée, un domaine maritime et forestier piétiné, squatté, accaparé et un espace autrefois verdoyant rongé par une bétonisation galopante, sans plan d’aménagement, faisant fi aux règles les plus élémentaires de l’urbanisme.
Le projet portant restauration de la plage de Rafraf en cours de réalisation va-t-il réhabiliter cette station balnéaire autrefois très prisée, qui était un des plus beaux sites naturels de notre pays, et ce en absence d’un aménagement intégré de ses différentes composantes?
* Universitaire.
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