Quand certain(ne)s Tunisien(ne)s disent que les dés sont pipés et appellent à boycotter le référendum du 25 juillet 2022 sur la nouvelle constitution proposée par le président Kaïs Saïed, on a de moins en moins d’arguments à leur opposer pour appeler les citoyens aux urnes. Et pour cause, l’opération tourne peu à peu à la mascarade…
Par Ridha Kefi
Les conditions optimales sont loin d’être réunies pour la tenue du référendum du 25 juillet 2022 sur la nouvelle constitution proposée par le président Kaïs Saïed. Et les raisons en sont multiples. Elles tiennent autant du contexte politique général moyennement tendu que des nombreux ratés déjà signalés dans les préparatifs techniques à ce rendez-vous.
D’abord, sur le plan politique, le référendum semble avoir été voulu par le président Saïed comme un plébiscite pour sa personne. Aussi a-t-il tout mis en œuvre pour qu’il n’y ait, au final, qu’une seule issue possible : un «oui» retentissant qui lui permettrait de «rafraîchir» sa popularité quelque peu ternie ces derniers temps, en raison de son bilan très mitigé deux ans et demi après son accession au pouvoir.
Une commission électorale aux ordres
C’est ainsi qu’il a commencé par «réformer» l’Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie), en désignant lui-même par décret présidentiel tous ses membres, ce qui ne saurait être une garantie d’indépendance, d’autant qu’à chaque fois qu’il fait face à un problème, le président de l’Instance, Fouad Bouasker, demande audience au chef de l’Etat et va prendre ses instructions.
Pour ne rien arranger, des divergences sont apparues entre les membres du conseil de l’Instance sur la gestion de certains aspects de l’opération électorale, et notamment celui relatif à l’inscription des nouveaux électeurs sur les listes électorales, qui a donné lieu à des accusations mutuelles entre Farouk Bouasker et Sami Ben Slama, qui brigue la présidence de l’Instance et le crie sur tous les toits.
Aussi, une sorte de rivalité a-t-elle fini par s’installer entre tous les membres du conseil et, dans cette guerre intestine, le principal argument agité par les différents protagonistes, c’est à qui sert le mieux et le plus les intérêts du président de la république. Et cela, on l’imagine, jette une ombre lourde sur toute l’opération et décrédibilise, par avance, des résultats que tout le monde, y compris les opposants à M. Saïed, imagine conformes aux desideratas de ce dernier.
Par conséquent, et à deux semaines de la consultation, les Tunisien(ne)s ne se font pas d’illusion sur ses résultats, qui leur semblent, pro et anti-Saïed réunis, connus d’avance, car dûment programmés.
«A quoi bon aller voter ?», se demandent beaucoup, et cette démobilisation – que le contexte des vacances estivales ne fait que renforcer – ne peut que servir les desseins du président Saïed. Lequel peut se contenter de mobiliser le minimum d’électeurs pour triompher. D’autant qu’aucun seuil de participation n’est exigé par la loi électorale et que rien n’a été prévu, dans le décret présidentiel convoquant les électeurs au référendum, pour le cas où le «non» l’emporte. Car, dans l’esprit de M. Saïed, cette éventualité n’existe tout simplement pas, et tout a été mis en place pour empêcher que ce grain de sable ne vienne faire grincer la machine d’un pouvoir personnel autoritaire qui ne cesse de se consolider au fil des jours.
Ci-git la démocratie !
Dans ce contexte politique délétère, où les opposants sont réduits au rôle de pleureuses aux obsèques de la défunte démocratie, les ratés signalés dans la machine électorale sont venus aggraver le sentiment général que les jeux sont déjà faits et que les dés sont pipés, comme sous l’ère Bourguiba et Ben Ali, où les opérations électorales étaient organisées pour la forme. Et presque par dérision, pour «énerver» les défenseurs des libertés et des droits.
Ce que viennent d’annoncer les deux principaux opposants à M. Saïed, en l’occurrence Rached Ghannouchi et Abir Moussi, sur le changement du bureau de vote où ils étaient censés inscrits depuis 2011, et ce sans qu’ils l’aient demandé, vient confirmer les appréhensions d’un grand nombre de Tunisien(ne)s qui ont vécu la même mésaventure. Le président du parti islamiste Ennahdha a découvert, en consultant la plateforme électorale dédiée, qu’il est inscrit, à son insu, dans un bureau de vote à Alep, en Syrie (sachant qu’il est interdit de voyage dans le cadre d’une affaire judiciaire), et la présidente du Parti destourien libre, à celui de Doha, au Qatar !
Le silence assourdissant qu’observe l’instance électorale face à ces révélations dûment documentées traduit la gêne que ressentent ses membres et en dit long sur l’état d’impréparation où elle se trouve à deux semaines de la consultation électorale.
On préfère parler d’impréparation, en assimilant ces dépassements à des ratés techniques, pour ne pas avoir à dénoncer des tripatouillages assumés par l’administration publique, aujourd’hui entièrement soumise à la volonté d’un seul homme, qui limoge à tour de bras et nomme ses hommes aux postes clés.
Quand certain(ne)s disent que les dés sont pipés et appellent à boycotter un référendum qui tourne à la mascarade, on a de moins en moins d’arguments à leur opposer pour appeler les citoyens aux urnes. Et ici une conclusion semble s’imposer à nous : si Ennahdha a pris la démocratie en otage et l’a détournée de ses finalités, Kaïs Saïed est en train de carrément la tuer dans l’œuf !
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