Tunisie : Ce que la constitution de Kaïs doit à Naoufel

Quand nous soulignions sur ces mêmes colonnes l’apport décisif de Naoufel Saïed au projet de constitution proposé au référendum du 25 juillet courant par son auguste frère, le président de la république Kaïs Saïed, beaucoup ont ricané parmi les idiots utiles et les opportunistes habituels. Il suffit pourtant de lire les écrits publiés ces dernières années par Naoufel Saïed et ses apports théoriques aux débats intellectuels et politiques organisés par les officines proches des Frères musulmans, en Tunisie et dans le monde arabe, pour retrouver les conceptions révisionnistes et à forte connotation fondamentaliste qui ont présidé à la rédaction du projet de constitution proposé par le chef de l’Etat.

Par Ridha Kéfi

Ces écrits, situés dans le contexte du débat actuel sur la réforme constitutionnelle en Tunisie, apportent la preuve s’il en est encore besoin que Naouef Saïed a contribué directement sinon indirectement, en l’enrichissant avec ses propres remarques et recommandations, au texte final du projet de constitution publié le 30 juin dans le Journal officiel, ou celui corrigé et amendé, publié le 8 juillet.

Adapter la charia au caractère civil de l’Etat

Pour illustrer nos propos, nous nous contenterons de traduire en français la conclusion d’un article en arabe de Naouef Saïed publié le 27 décembre 2017 sur  le site Mominoun Without Borders (Croyants sans frontières) et intitulé, comme par hasard, «La Constitution et l’application problématique de la charia et de l’État civil à référence islamique».

Citons Naoufel Saïed : «En conclusion, nous pensons que le seul espoir resté aujourd’hui aux islamistes réside dans leur entrée de pied ferme dans l’ère de la ‘‘Hakimiyat Al-Kitab’’ (traduire : Gouvernance du Livre, c’est-à-dire du Coran), en ce qu’elle signifie comme invention de nouvelles solutions qui soient islamiques par leurs finalités et, en même temps, conformes à l’identité des sociétés. En d’autres termes, il n’est plus permis aux islamistes d’accepter l’idée de reprocher à ces sociétés leur ignorance et de penser imposer des solutions radicales qui renversent les arrangements historiques auxquels ces sociétés sont arrivées dans le processus d’élaboration de leur identité».

En d’autres termes, et dit plus clairement et sans les circonvolutions académiques, il s’agit, pour Naoufel Saïed, souvent présenté comme un «islamiste progressiste» – si ce n’est pas là ce qu’on appelle un oxymore, c’est-à-dire une expression alliant deux mots de sens contradictoires –, de convaincre les islamistes traditionnels de faire évoluer leurs conceptions, en acceptant d’adapter la charia, réduite à ses «maqassed» ou finalités, aux exigences du caractère civil de l’Etat auquel les sociétés arabes contemporaines sont fortement attachées.

Bricolage conceptuel et tactique de contournement  

Ce bricolage conceptuel, auquel Naoufel Saïed invite les islamistes qui espèrent survivre à leurs vieilles lubies salafistes, consiste, comme on vient de le lire dans le passage ci-dessous, à adapter l’esprit de la charia et ses finalités aux exigences d’une société attachée au caractère civil de l’Etat, comme du reste la société tunisienne, fortement marquée par l’empreinte moderniste des Kheireddine Pacha, Ali Bach Hamba, Tahar Haddad et autres Habib Bourguiba.

Il ne s’agit donc nullement, dans l’esprit de Naoufel Saïed, d’assimilation de la modernité en tant que telle ou d’adaptation à la nouvelle donne sociologique et historique des sociétés arabes contemporaines, que l’on ne pourra de toute façon pas faire revenir à l’époque de Omar Al-Khattab et des premiers califes, comme l’aurait souhaité le président Saïed. Il s’agit plutôt de tactique de contournement et d’accommodement momentané à cette donne… pour, au final et en dernière instance, faire dorer la pilule de la charia, en ce qu’elle a de plus amer.

On n’est donc pas là dans une logique de réforme cherchant à redresser une société aux prises avec une crise profonde et à la projeter dans un avenir meilleur, mais dans une tactique de déguisement, de tromperie et de restauration du passé.

En d’autres termes, avec les Saïed frères, on assiste à une grande supercherie historique qui, sous couvert d’opposition de façade au mouvement Ennahdha, cherche à restaurer l’islam politique par le truchement des lois, dans le respect formel des normes démocratiques, en attendant de pouvoir l’inscrire ensuite durablement dans le vécu de la société.

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