‘‘Labes’’: La «mise à mort» de Brahim Gassas

Samedi soir, l’ancien constituant Brahim Gassas a régalé le public de ‘‘Labes’’ sur El-Hiwar Ettounsi : 40 mn de comique, de tragique, d’indécence et de vulgarité.

Par Moncef Dhambri

Brahim Gassas, qu’on n’invente pas, a été égal à lui-même, à savoir (tristement) amusant de bout en bout de sa prestation, remueur de boue professionnel qui s’éclabousse au passage des salissures qu’il manipule, tonitruant, simple, simpliste, populaire, populiste, pitoyable et détestable à la fois.

Bref, Brahim Gassas, c’est tout cela et bien d’autres choses encore: ces choses qui inspirent une chronique, un article et peut-être même un chapitre de livre sur l’Assemblée nationale constituante (ANC), sur l’histoire de ces femmes et ces hommes qui ont rédigé la constitution de notre 2e République tunisienne.

Une «star» du Palais du Bardo

Il y aurait une très ample matière pour un feuilleton télévisé ou un film sur cet homme venu du sud profond de la Tunisie que rien ne prédestinait à devenir, pendant trois interminables années, une «star» du Palais du Bardo – si Zine El-Abidine Ben Ali n’avait pas été dégagé le 14 janvier 2011.

Brahim Gassas n’était pas le seul énergumène à avoir fait, un nombre incalculable de fois, la une des médias nationaux et étrangers, entre novembre 2011 et janvier 2014. Il n’était pas le seul constituant dont l’extravagance et la folie ont côtoyé l’intelligence, la perspicacité, la pondération et le sérieux de ces représentants du peuple qui méritaient ce nom – les Mohamed Brahmi, Samir Ettaïeb, Salma Baccar, Mohamed Hamdi ou Mongi Rahoui, pour ne citer que quelques uns de ces membres de l’ANC qui ont apposé leurs signatures au bas de «la meilleure constitution au monde.»

Et comme on a appris à le faire, en Tunisie postrévolutionnaire, la politique spectacle a voulu que l’animateur Naoufel Ouertani soit le contradicteur de M. Gassas. D’entrée de jeu, notre confrère a placé le débat au niveau le plus bas, en introduisant son invité par une boutade de très mauvais goût: «Voici l’homme qui a fait sensation cette semaine en décidant de mettre en vente un de ses reins parce qu’il fait face à de très sérieux problèmes matériels, après avoir été membre de l’Assemblée nationale constituante.»

Brahim Gassas: un homme malheureux livré à la démolition pour faire monter l’audimat.

D’emblée également, Brahim Gassas, qui a accepté de jouer le jeu de cette tragi-comédie, a répondu à la question rituelle de l’émission en prenant le contrepied de ce que 99,99% des invités de ‘‘Labes’’ (ça va ?) disent à chaque fois: «Je ne vais pas bien, je vais mal. Et celui qui vous dit que les choses vont bien en Tunisie vous ment. Celui qui prétend que tout va bien en Tunisie est un menteur», a-t-il répondu sans aucune gêne de se répéter.

Crêpage de chignon télévisuelle pour l’audience

Ainsi, le décor est planté pour une bonne quarantaine de minutes de fracas médiatique où le public rira à gorge déployée à tout bout de phrase des deux protagonistes. Oui, il s’agissait d’un jeu à deux, d’une comédie tragique où le journaliste et l’ex-homme politique se sont donnés en spectacle, se sont crêpé le chignon – avaient-ils les cheveux pour cela? – et ont donné la preuve indéniable que, sur les terrains politique et médiatique, en Tunisie, l’on est encore au stade de l’apprentissage.

Les rôles des 2 acteurs ont été aussi bien préparés: pour l’un comme pour l’autre, il fallait garder l’audimat au plus haut point de la médiamétrie. Et pour cela, tout y est passé: les colères de Gassas, son populisme, sa naïveté ou son innocence, son franc-parler naturel ou surfait, sa ruralité du sud affichée par son turban, son patois et sa phonétique insistants et mille fois assumés, ses écarts de langage dits ou non-dits (allez donc savoir s’il y a eu vraiment des dérapages) que l’émission a pris le soin malin de remplacer par des bips – et qui nous laisseront toujours supposer le pire.

Naoufel Ouerfelli «se venge» de Brahim Gassas et le traîne dans la boue.

Naoufel Ouertani a lui aussi été égal à lui-même: il a trouvé en Brahim Kassas la proie idéale, la proie facile pour sa moquerie gratuite, souvent d’ailleurs de mauvais goût et à la limite de l’indécence.

Notre confrère, passé maître dans le mépris de ceux qu’il invite(1), a poussé la provocation jusqu’à l’insulte extrême, traitant M. Gassas, tour à tour, de «cupide, opportuniste, arriviste, etc.» et faisant de lourdes allusions aux dévoiements de la carrière politique (beuveries et autres légèretés que la bienséance ne tolère pas) de cet homme qui a, en définitive, tout perdu.

Et cette outrecuidance de Naoufel Ouertani lui a valu, ainsi que l’émission a été programmée, de se faire traiter de tous les noms – et les qualificatifs les plus irrespectueux  ont été très fréquents.

Chacun donc a bien joué son rôle dans ce combat de coqs.

A un point culminant de cette farce qui se voulait une interview du tac au tac, Brahim Gassas, en ancien membre de l’ANC aujourd’hui «fini» politiquement, a déclamé un poème en prose qu’il avait préparé pour l’émission: pendant 3 ou 4 minutes, il a lu une sorte de testament où il a déclaré sa flamme à la Tunisie, conseillé aux Tunisiens de s’unir et d’être solidaires, rappelé aux hommes et femmes politiques de placer les intérêts du pays au-dessus de toutes les autres considérations et – cerise sur le gâteau – fait l’éloge des dattes auprès du consommateur tunisien, qui seraient, selon lui, «meilleures que les bananes» (sic !)…

La prochaine fois, nous ne zapperons pas, non plus… Nous regarderons le ridicule en face et le dénoncerons. Nous déplorerons que notre télévision fidélise des centaines de milliers, des millions de spectateurs en abaissant très, très bas le niveau de ce qu’elle offre comme nourriture culturelle et politique quotidienne.

Note :
(1) Naoufel Ouertani a «rendu fou» le professeur Mohamed Talbi au point où celui-ci n’a plus cessé de répéter, sur le plateau de ‘‘Labes’’ «ils veulent me tuer, ils veulent me tuer !…» L’on se souvient également du même confrère qui a littéralement ridiculisé la constituante Sonia Ben Toumia intimidée par une danse «indécente» à la Michael Jackson. Pour Naoufel Ouertani, les invités et même les collègues contributeurs à ses émissions sont des faire-valoir… qui servent à le mettre en vedette.