Présenté dans la section parallèle « Cinéma du Monde » des Journées cinématographiques de Carthage (JCC 2021), « L’événement » d’Audrey Diwan adapté du roman autobiographique éponyme d’Annie Ernaux, nous replonge au début des années 60 en France, quand l’avortement était encore illégal. Un récit à la fois intime et historique sur le droit des femmes de disposer de leurs corps.
Par Fawz Benali
En plus de la compétition officielle, les JCC proposent chaque année une panoplie de films récents répartis sur différentes sections parallèles dont « Cinéma du monde » qui offre au public cinéphile à chaque édition une sélection des meilleures productions cinématographiques internationales.
Du papier au grand-écran, toujours aussi poignant
Parmi les pépites de cette édition, figure le tant attendu « The french dispatch », la Palme d’or du dernier Festival de Cannes « Titane », mais aussi le Lion d’or de la dernière Mostra de Venise « L’événement ». Ce dernier, réalisé par la cinéaste, écrivaine, éditrice et journaliste française d’origine libanaise Audrey Diwan, reprend le récit autobiographique éponyme de l’écrivaine française Annie Ernaux (paru en 2000).
Nous sommes au début des années 60 en France, où les femmes n’ont encore ni accès à la pilule contraceptive ni le droit de mettre fin à leur grossesse. Comme beaucoup de femmes à l’époque, Annie Ernaux tombe involontairement enceinte et souhaite avorter, mais ce droit n’est pas encore reconnu en France, il est même considéré comme un crime aux yeux de la loi et de la société. Il faudra attendre l’année 1975 pour que les françaises puissent avorter sans risquer la prison, soit deux ans après la Tunisie.
Audrey Diwan, qui signe avec ce film son deuxième long-métrage, réussit à mettre les images qu’il faut sur les mots d’Ernaux et à nous prendre aux tripes avec ce drame social qui n’a rien de fictionnel. Si le recours à l’avortement parait anodin aujourd’hui, cela était loin d’être le cas il y a une quarantaine d’années en France, et tout comme le livre, le film nous retranscrit toute l’horreur des moyens clandestins de l’avortement auxquels les femmes avaient recours au risque de leur vie et de leur liberté.
Une leçon de résistance et un hymne à la liberté
Le langage cru d’Ernaux est repris dans des images et des dialogues extrêmement réalistes, justes et souvent violents pour raconter ce parcours du combattant d’une jeune fille (merveilleusement interprétée par la jeune actrice franco-roumaine Anamaria Vartolomei) qui n’a qu’un rêve, poursuivre ses études supérieures et devenir écrivain, chose qu’elle ne pourrait envisager avec un bébé, de surcroit non désiré. « C’est le genre de maladie qui ne frappe que les femmes et qui les transforme en femme au foyer », lance le personnage principal dans le film qui risque de voir sa vie et ses rêves s’écrouler à cause d’un accident dont elle devra assumer les conséquences toute seule, face à l’incompréhension de ses camarades, de l’impassibilité des médecins de l’époque et de l’incrimination des lois.
Si l’avortement est un droit acquis aujourd’hui en France, il est encore loin de l’être dans de nombreux pays dans le monde, car les femmes ont encore un long chemin à parcourir avant de disposer complètement de leur corps et de prendre en main leur destin. Le film qui sort 20 ans après la publication du livre et près de 50 ans après l’adoption de la loi Veil, nous livre un témoignage intime, mais, pardessus tout, nous éclaire sur un chapitre noir dans l’Histoire de la France en ce qui concerne la condition de la femme.
« Malheureusement quand vous travaillez sur l’avortement vous êtes toujours dans l’actualité », a souligné la cinéaste lors de son couronnement à la Mostra de Venise. Engagé, féministe et bouleversant de justesse, le film est loin d’être anachronique, c’est une leçon de courage et de résistance et un hymne à la liberté.
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