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Bloc-notes : Le parti Ennahdha doit-il être dissous?

Habib Bourguiba / Rached Ghannouchi.

La dissolution du parti Ennahdha est-elle une solution quand on sait que c’est l’exclusion des islamistes du champ politique par les Destouriens qui a renforcé ces derniers ?

Par Farhat Othman *

La présidente du Parti destourien libre (PDL) qui se veut la seule incarnation de l’esprit du Destour bourguibien n’est pas à une contradiction près. Elle conteste la dissolution du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD) au lendemain du «Coup peuple», le 14 janvier 2014, mais ne trouve rien d’autre à faire qu’imiter ses adversaires islamistes, appelant à la dissolution de leur parti.

On pourrait dire que c’est user des mêmes armes; mais quand on dénonce la nature de telles armes, ne doit-on pas donner l’exemple en s’abstenant d’en user? Il est vrai, elles sont les plus faciles à l’usage et

Mme Moussi penserait n’en avoir pas d’autres pour ses ambitions. Ce que nous contestons, ayant déjà dit ic le potentiel que possède son parti, et tout parti ancien en Tunisie, pour réussir, usant de ce qui est la marque de nos temps : le retour des archaïsmes au sens non de vieillerie, mais de choses premières, leur essence même, qui est l’étymologie même du mot.

Il faut croire que nous ne possédons pas encore de personnel politique à la hauteur du génie populaire tunisien, pourtant patent, et que nous vérifions tous les jours avec cette maestria à se débrouiller et survivre malgré les lois et les comportements interdisant une normalité paisible. Le peuple de Tunisie sait user de sa sagesse ancestrale, un bon sens aigu pour s’adapter aux situations, s’en sortir à moindres frais : c’est la débrouillardise élevée en art! Or, comme en tout, porté à l’excès, un tel art verse en son contraire, la décadence par exemple, ce raffinement pour happy few, mais dégénérescence et abjection pour les masses privées de l’essentiel.

L’islam politique est une séquelle de Bourguiba

Il est vrai, Mme Moussi peut se targuer du fait qu’Ennahdha traîne nombre de casseroles, qu’elle s’évertue moins à prouver, étant par trop évidentes, qu’à réussir à faire accepter par les autorités qui comptent. Est-ce nouveau? Des turpitudes similaires, du même ordre immoral et illégal, ont été reprochées aux Destouriens en leur temps de gloire; Bourguiba est-il donc exempt du moindre tort? Certes, sauf à être manichéen, malhonnête et injuste, nul ne peut contester ce qui reste de lumineux de son legs; mais la justice, quand elle est justesse, impose de ne pas occulter ses zones d’ombres au prétexte du manque de lumière aujourd’hui.

On ne peut plus se tromper : nos islamistes sont le produit de la vision déconnectée des réalités du pays qui fut celle du grand homme que restera, malgré tout, Bourguiba. On ne doit pas oublier, du fait même des turpitudes actuelles, que celui qu’on continue, avec raison, à qualifier de fondateur d’une Tunisie se voulant de son temps, a obéré ses chances de l’être par son ego surdimensionné, sa prétention à rompre avec son essence spirituelle, et surtout son autoritarisme antidémocratique. Son excès, non de laïcité, mais de laïcisme, pour contrer la manie de son temps d’être «orientocentré» par un occidentalocentrisme effréné n’a fait que maintenir la Tunisie en une dépendance injuste de l’Occident, n’étant nullement, quelque peu, acteur de sa destinée, mais sujet passif. Voilà en quoi Bourguiba a échoué.

Il avait tous les pouvoirs et pouvait, en étant moins à l’écoute de sa personne et plutôt des exigences du peuple, prémunir le pays du retour du refoulé auquel nous assistons. Il n’a rien fait, pensant qu’il suffisait, pour être moderne, d’arrimer la Tunisie à l’Occident, mais en situation de soumission, non de partenaire véritable. Or, il pouvait le faire et y réussir grâce à son aura et ses pouvoirs étendus, du moins durant une première période d’autoritarisme sans partage. Ainsi n’a-t-il pas osé ce que fit bien le roi du Maroc, demander l’adhésion de son pays à la Communauté européenne. De la sorte, il a creusé lui même la tombe de son œuvre, puisque les islamistes ne font rien d’autre que suivre son exemple à l’envers, voulant lier la Tunisie à un Orient plus que jamais dégénéré avec sa confusion des valeurs et son viol avéré de la spiritualité de l’islam authentique. Ce qui condamne à terme le projet islamiste tel qu’il est en Tunisie.

L’innovation viendra d’un islam politique assaini

Les islamistes qui on profité, pour accéder au pouvoir en Tunisie et ailleurs, des intérêts contingents de l’Occident en Syrie et en Libye, se croyant même tout permis, ont certes eu le tort de trop présumer de leurs atouts. Mais l’observation lucide des réalités impose de dire, aujourd’hui, que le chef du parti Ennahdha, malgré tout ce qu’on peut lui reprocher, n’a pas démérité à se montrer un parfait animal politique. Ce qui signifie être roublard, jouant au lion et au renard, tel tout politicien pratiquant la politique à l’antique. Il faut dire qu’il a tiré de ses années de traversée du désert de la vie une capacité d’adaptation autorisant une souplesse politicienne, y compris éthique, que ne possèdent pas ceux qui n’ont pas eu à vivre de telles avanies. Cela ne le dédouane point, il est vrai, du refus de pratiquer la politique éthiquement, la poléthique ainsi que je la nomme, mais est-il le seul à le faire? Grâce au soutien qu’il a eu le talent de glaner en un Occident dont les intérêts matériels priment les valeurs, il est en Tunisie le seul en mesure d’oser innover sur des sujets sensibles, même s’il ne le fait pas encore ou alors à contrecœur afin de contrer les stratégies ennemies; qui donc, chez les Destouriens, a osé dire autant que certains de ses proches sur la libération des mœurs?

M. Ghannouchi, bien évidemment, ne s’est pas encore prononcé sur le sujet de l’inégalité successorale, laissant à son alter ego de Carthage le soin de jouer de cette carte en ce mauvais jeu attentiste qui ne peut tromper que ceux qui le veulent et s’y adonnent. Il est vrai aussi qu’on n’a eu nul acte concret de la part de son parti, le plus important au parlement, pour rompre avec la tromperie politicienne généralisée à l’honnêteté. Qu’on ne s’y trompe pas, cependant! C’est du fait de l’inertie des supposés modernistes que les islamistes s’autorisent à ne rien faire. Il suffit que ceux-là arrêtent leur complicité objective avec le conservatisme religieux pour que le parti islamiste soit obligé de donner la suite concrète impérative au discours de certains des proches de son chef préfigurant une stratégie de rechange.

Il n’est donc ni exagéré ni faux de dire que la politique intégriste d’Ennahdha est produite par les supposés démocrates qui conditionnent les initiatives de l’islam politique n’ayant autrement aucun avenir en Tunisie. Par conséquent, il suffit que les militants des valeurs — qu’ils soient ou non des acteurs politiques — osent agir, mais efficacement et à bon escient, pour que les religieux, présentés à tort comme les plus conservateurs, se révèlent enfin les plus novateurs sur les sujets sensibles. Qu’on présente donc les projets de loi consensuels, tout en étant radicaux, qui existent et qu’on les défende dans les médias pour les faire entrer au parlement; on verra alors s’ils seront ou pas votés!

Faut-il rappeler, à ce sujet, l’importance des médias de nos jours et que dix députés suffisent pour l’initiative de la loi? Faut-il rappeler aussi le libellé de ces textes dont la symbolique est aussi importante sur l’imaginaire populaire que les retombées en termes d’inconscient collectif, aidant à y faire sauter les freins empêchant la moindre évolution, et qui sont moins religieux que dogmatiques? Ils alimentent à la fois le salafisme religieux et un salafisme profane; et c’est à ce niveau qu’il importe d’agir en premier, ne serait-ce que parce que cela ne nécessite qu’une loi, ou même juste l’abolition de textes administratifs, en matière par exemple d’égalité successorale, d’abolition de l’homophobie , de dépénalisation de la consommation du cannabis, de l’alcool et des libertés sexuelles entre majeurs et des bonnes moeurs.

Point de salut hors du système de droit européen

Selon l’adage connu : Qui peut le plus peut le moins, de tels sujets sont capitaux et urgents, la moindre avancée en leur domaine étant de nature à faire des pas de géants sur le reste des problèmes sociaux. Ce n’est qu’en faisant sauter de tels goulots d’étranglement qu’on pourra envisager sereinement les autres avancées impératives pour un pays qui n’a que le choix, par ailleurs, de mieux s’arrimer à l’Occident afin de réussir sa transition démocratique. Que cela soit pour l’État de droit, la lutte contre la contrebande, la corruption ou la corruption, rien ne se fera sans la transformation du statut de la Tunisie de sujet en acteur de droit. Ce qui impose d’innover en matière de diplomatie et d’obtenir ce que l’Union européenne ne saurait éluder si nous avons enfin le courage de demander la formalisation de notre dépendance actuelle par l’adhésion en bonne et due forme.

Du temps du dictateur Ben Ali, l’Europe assurait déjà que la Tunisie pouvait prétendre à tous les droits en Europe à l’exclusion de ceux de membre. Ce qui est arrivé en Tunisie en 2011 ne permet-il pas de réclamer enfin un tel statut eu égard à la globalisation et à la mondialisation qui fait fi des frontières géographiques, n’étant plus que politiques et idéologiques? Si l’on tient à ce que la Tunisie devienne une source idéale pour agir efficacement pour la paix en Méditerranée, y contrer la haine dans le monde, on n’a que le choix de reconnaître sa méditerranéité et ses spécificités.

Pourquoi alors ne pas agir à cette fin, au lieu de se lancer dans des actions sans lendemain? Car Madame Moussi sait pertinemment que le parti Ennahdha est désormais une composante incontournable du paysage politique et qu’on ne peut l’en exclure, ce qui signifierait attenter à des équilibres instables allant au-delà de ce parti. Pourquoi le parti de Madame Moussi n’ose-t-il pas adouber ce que j‘ai proposé à la diplomatie tunisienne : la demande d’adhésion à l’U.E. et l’Espace Méditerranéen de Démocratie?

Et pourquoi n’a-t-il pas donc pas le courage de renouer avec la part visionnaire de l’oeuvre de Bourguiba, osant ce que personne n’ose sur Jérusalem, rappelant que le vrai service à apporter à la juste cause de Palestine est d’avoir dans l’État hébreu une ambassade à Tel-Aviv, qui servira le droit, la justice et les intérêts légitimes des Palestiniens mieux que toute autre initiative? Pour tout politique honnête et courageux, servir cette cause est de dire au gouvernement israélien, et aussi à son clone à la Maison-Blanche, qu’il a tort de faire fi du son propre acte de naissance, seule légalité qui vaille de 1947 et du statut international de Jérusalem. Où est un tel courage chez les Destouriens qui ne font la politique qu’à la manière inepte de leurs adversaires ? Où est aussi, chez eux, le courage de coller aux exigences des jeunes réclamant le droit à circuler librement avec l’outil sécurisé qu’est le visa de circulation?

Il n’y aura ni démocratie ni État de droit en Tunisie sans l’entrée de la Tunisie dans l’Europe. Et cela se fera dans une Méditerranée de paix où la Tunisie donne l’exemple d’avoir des relations diplomatiques avec tout État reconnu internationalement, y compris Israël, pour le rappeler à ses obligations dont il se défausse du fait de l’attitude inepte arabe de méconnaissance déjà les siennes. S’agissant de l’Europe, il est vrai que les dirigeants européens actuels, aussi conservateurs que nos islamistes, tiennent aux dogmes éculés, dont la fermeture des frontières, malgré ses effets néfastes dans la crise de l’Union, qui impose sa refondation; ce qui ne se fera que par une nouvelle politique méditerranéenne. Comme ils ne veulent s’y résoudre, le conservatisme étant plus confortable que les changements, il importe de les y aider en osant ce qui tombe sous le sens pour le service des intérêts des deux rives de la Méditerranée.

Ce sera le salut tout à la fois de cette mer guère plus commune et de la démocratie en Tunisie que les profiteurs des intérêts liés à un monde fini ne veulent qu’en sous-démocratie, un faux État de droit, n’étant que celui du similidroit. C’est un cadre propice à l’abri duquel peuvent prospérer les turpitudes du capitalisme sauvage, d’autant plus fort qu’il s’est allié à l’islamisme intégriste.

Voilà ce que tout patriote a le devoir d’en exiger la dissolution : l’alliance capitalislamiste sauvage! Les supposés nouveaux Destouriens le sont-ils assez pour abandonner la politique de gribouille à laquelle ils s’adonnent, singeant leurs adversaires? Au vrai, ils ne les traitent pas en ennemis, mais en complices, car en reproduisant leur stratégie d’exclusion et de rejet, ils renforcent l’islam politique, tout comme la méconnaissance d’Israël par les Arabes le sert dans son arrogance à se libérer d’un droit sans le respect duquel il n’a pas d’existence!

Bloc-notes : Comment les Destouriens peuvent-ils revenir au pouvoir?

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