Battu sur le terrain du football, Larbi Nasra et Hannibal TV poussent leur avantage sur le front des reality shows et des talk-shows sociaux. Avec ‘‘Al Nousameh Karim’’ et ‘‘Al Hakika’’, la chaîne privée réalise même de grands coups…
Il y a quelques années, c’était le talk-show sportif ‘‘Bilmakchouf’’ et l’émission d’information sportive ‘‘Souiâ Sport’’ qui dopaient l’audience de la première chaîne privée tunisienne. Le départ de la plupart des animateurs vedettes de ces émissions et leur passage avec armes et bagages chez la concurrence – tels Moez Ben Gharbia, ancien animateur de ‘‘Bilmakchouf’’, qui anime aujourd’hui ‘‘Stade 7’’, produite par Cactus Prod pour la chaîne publique Tunis 7 –, ont appauvri l’offre sportive de la chaîne.
Il n’y a pas que le football dans la vie
Etant, par ailleurs, privée de la diffusion des matchs des compétitions nationales et internationales dans lesquelles les grands clubs tunisiens de football sont engagés, et ne pouvant surenchérir pour acquérir les droits de transmission de ces compétitions, dont les montants ont carrément explosé ces dernières années, en raison de la concurrence imposée par les chaînes sportives des pays du Golfe, Hannibal TV n’a pas tardé à trouver la brèche (ou le filon en or): les reality shows et les talk shows sociaux.
A l’expérience, les affaires judiciaires et les réalités sociales révélées par la chaîne font pleurer dans les chaumières, soulèvent quelques lapins et, ce faisant, créent le buzz nécessaire à l’explosion des audiences. Les annonceurs y sont sensibles, eux aussi, pour le grand bonheur de M. Nasra.
On a beaucoup parlé, à ce propos, de l’immense succès d’‘‘Al Mousameh Karim’’. Le reality show présenté avec panache par Abderrazek Chebbi, qui a succédé à son frère, Ala Chebbi, passé lui aussi chez Cactus Prod, est désormais très suivi en Tunisie et dans le monde arabe, et particulièrement en Libye et Algérie.
On a aussi beaucoup parlé du succès du feuilleton télévisé ‘‘Njoum Ellil’’, produit et diffusé par Hannibal TV au cours des mois de ramadan 2009 et 2010, et qui lui a permis d’enregistrer des taux d’audience parmi les plus élevés au cours de ces mois. Quand on sait que les 30 jours de ramadan accaparent plus du quart des investissements publicitaires annuels télévisés des grandes marques, on estime à sa juste valeur le grand coup commercial ainsi réalisé par Hannibal TV.
La caméra baladeuse d’Arbia Hamadi Bessadok
Ce dont on parle moins, en revanche, c’est de la qualité d’une autre émission qui est en train de casser carrément le baromètre des audiences: ‘‘Al Hakika’’, le talk-show social animé par Arbia Hamadi Bessadok. Celle-ci, qui a succédé avec brio à Imen Bahroun, éconduite inexplicablement après des débuts prometteurs, a su donner du ton et du tonus à cette émission, qui marque un tournant dans la production télévisuelle tunisienne.
Tout en évitant d’imiter les recettes d’‘‘Al Mousameh Karim’’ – ce qu’on avait craint au départ –, cette animatrice de talent, et à la personnalité bien trempée, a su forcer l’admiration des téléspectateurs en traitant de sujets considérés jusque là comme tabous par les médias tunisiens. Elle a su montrer aussi l’autre face de la Tunisie, la moins reluisante : celle des pauvres, des perdants et des laissés-pour-compte. Car, ceux-là aussi existent, même si les médias ne les montrent pas trop…
La caméra baladeuse de l’émission a su, en effet, sortir des voies balisées et même des routes asphaltées pour aller à la rencontre de ces petites gens qui vivent dans des conditions d’extrême pauvreté. Elle a réussi aussi dénoncer certains phénomènes sociaux: la violence au quotidien, les arnaques, le laisser-aller de certains responsables, la bureaucratie, et même, samedi dernier, la corruption.
Les reportages, les micros-trottoirs et les interventions souvent bien informées des avocats présents sur le plateau (Me Hassen Badr et Me Sahbi Basly), le tout bien mixé par une Arbia Hamadi Bessadok maîtrisant bien ses sujets, nous valent une émission de haute teneur.
Gros plans sur les sujets qui fâchent
L’animatrice, tout comme ses invités, n’éludent pas les problèmes, mais tout en levant le voile sur les sujets qui fâchent, ils ne prononcent jamais un mot de trop. Pour éviter de choquer certains et d’en hérisser d’autres, ils s’expriment avec juste ce qu’il faut de précision et de pondération pour aider à la révélation de la vérité et, surtout, éviter de noyer celle-ci dans l’océan de langue de bois caractéristique de notre télévision nationale.
Quand Me Hassen Badr évoque certaines tares de l’administration tunisienne et lance à l’adresse des fonctionnaires: «Votre devoir est d’appliquer la loi et non les instructions», son discours fait mouche.
L’animatrice fait mouche également lorsqu’elle affirme que l’amélioration du pouvoir d’achat des fonctionnaires est le meilleur moyen pour les blinder contre la tentation de la corruption. Idem quand elle évoque la question de la corruption dans l’éducation nationale. Quand l’enfant réussit à l’examen grâce à l’argent versé par ses parents à quelque «éducateur» mal élevé, il y a de fortes chances que la pratique de la corruption soit banalisée à ses yeux, fait remarquer l’animatrice, en soulignant au passage la nécessité de commencer la lutte contre la corruption dès… l’école.
Quand on parle de la corruption ou de phénomènes similaires, il convient, bien sûr, de relativiser. Les chiffres, comme l’indiquera Me Badr, montrent que la corruption est moins visible en Tunisie que dans un pays comme la Norvège, pourtant considéré comme un modèle de bonne gouvernance, mais ce n’est pas une raison pour éviter d’en parler à la télévision. La chaîne Hannibal TV l’a fait, avec autant d’audace et que de doigté, et nous devons l’en féliciter.
Un dernière remarque pour la route: le succès de l’émission ‘‘Al Hakika’’ traduit un besoin de vérité (et de réalité) chez les téléspectateurs tunisiens que Larbi Nasra et ses équipes tentent de satisfaire non sans quelque talent. Un exemple à suivre…
Imed Bahri
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