Tunisie. La Compagnie des phosphates de Gafsa au food du tunnel

La relance de l’économie et des entreprises n’est pas pour le lendemain; elle dépendra de la réussite de la transition politique. Cela est valable pour cette entreprise dont vit toute une région.

Par Kilani Bennasr*

En Tunisie, à peine l’entreprise a-t-elle acquis des habitudes de travail et commencé à rivaliser en production les entreprises maghrébines et européennes, la révolution du 14 janvier 2011 et ses conséquences sont venues entraver l’activité entrepreneuriale dans le pays.

Une entreprise dans l’impasse

Les études faites sur les grandes entreprises comme la Compagnie des phosphates de Gafsa (Cpg) arrivent à la conclusion que le système actuel est responsable de la dégradation de cette entreprise. La direction serait encore non démocratique et non transparente et continue à prendre des décisions sans concertation; le personnel, ni impliqué ni satisfait, finit par manquer d’enthousiasme.

La Cpg se dirige vers l’impasse pour plusieurs raisons dont la baisse de la production, l’insubordination au sein de la société, la situation d’insécurité sur le plan national, l’encadrement anarchique des revendications sociales dans le bassin minier et la sourde oreille du gouvernement vis-à-vis des doléances de l’entreprise et du bassin minier en général.

D’autres raisons, moins visibles mais tout aussi importantes, en l'occurrence les pratiques discriminatoires vis-à-vis des villes minières du bassin. Mis à part les ouvriers et quelques spécialistes qui étaient recrutés localement de manière plus ou moins objective parmi les jeunes, l’embauche des cadres avait toujours favorisé les diplômés proches des hommes au pouvoir et venant des zones côtières. Une bonne proportion de jeunes diplômés et anciens hauts cadres du bassin minier se soucient fort peu de leurs villes natales et préfèrent le confort des grandes villes du nord, et ne se rappellent de leur origine que quand on prononce leur nom de famille, pour montrer qu’eux aussi sont du sud-ouest, puisque, contrairement au passé, l’appartenance à cette partie du territoire serait à présent au même titre que la mode ou redevenue une fierté.

L'extraction du phosphate, seule industrie dela région.

L'extraction du phosphate, seule industrie dela région.

La Cpg et ses riches pilleurs

En outre, la Cpg avait toujours été convoitée par les riches tunisiens, particulièrement ceux de Gafsa et de Sidi Bouzid. Très proches du pouvoir et des directeurs de la compagnie, dont certains étaient de moralité douteuse, ces insatiables fortunés avaient pris l’habitude de rafler les marchés de services de la Cpg et défendre leur (droit) au «beurre et à l’argent du beurre». Ces pratiques n’ont pas disparu. Elles seraient encore là, pas plus loin que le bout du nez!

Jusqu'à ce jour, vingt mois après la révolution, on n’arrive pas à admettre en Tunisie que les habitants du bassin minier sont légitimement prioritaires et ont même droit à une compensation équivalente aux années durant lesquelles d’autres régions se sont enrichies à leurs dépens.

Les réactions du gouvernement provisoires sont même punitives, on devient plus répressif contre les manifestants pacifiques, ce qui explique aussi les rares visites de la région par les hauts responsables du pays.

En ce moment, rien ne prouve que le gouvernement soit en train d’agir pour satisfaire les revendications sociales du bassin minier, ni de s’occuper de l’entreprise en général et de la Cpg en particulier.

Dans l’état actuel des choses, la Cpg est chancelante, puisqu’elle est à quelques temps de l’épuisement du stock de matière première qui, dit-on, datait de la période d’avant 2011, et qu’elle ne serait pas en mesure de remplacer.

Sit-in de chômeurs devant le siège de la Cpg à Tunis

Sit-in de chômeurs devant le siège de la Cpg à Tunis.

Il était une fois la «kobbania»

Le mal du pays ne guette pas seulement ceux qui vivent à l’étranger mais réveille également la nostalgie à la région natale, au hameau ou «douar»  d’origine.

Depuis le temps des Français, nous habitions au patelin de Lortess (beau jardin en latin), à 15 kms à l’est de Gafsa. Tous les habitants du village se rappellent des jours de prospérité avant et au début de l’indépendance; les enfants étaient heureux, bien habillés, bien nourris et contents d’aller à l’école, grâce au travail motivant de leur père à la «kobbania», la Compagnie des phosphates de Gafsa.

Notre ancienne demeure familiale, en forme de cercle, au bord de la GP15, était faite de simples constructions et de trois chambrées héritées de l’armée française par mon grand père Ahmed Essalah, alors cheikh d’El-Guetar.

Mon père nous avait toujours raconté combien était belle la cité des Français à Gafsa-gare et que, cinquante ans après, il n’avait pas oublié la musique qu’émettaient les magnifiques radio-transistors Philips, une merveille de l’époque.

A Gafsa, le 9 septembre, lesmanifestants exigent leur part des recettes de phosphates, principale ressource de la région.

A Gafsa, le 9 septembre, lesmanifestants exigent leur part des recettes de phosphates, principale ressource de la région.

Sur son chemin en rentrant à pied de Gafsa, il ralentissait le pas, épanoui par la propreté du quartier et la douceur musicale européenne qui sortait des maisons de fonction réservées aux cadres et ingénieurs de la Cpg.

Pour mon père et pour certains autres peut-être, c’était la belle vie, car cette netteté et ce charme de la vie à Gafsa-gare étaient exceptionnels et n’existaient nulle part. Maintenant, les mêmes anciennes rues de Gafsa-gare n’ont pas changé mais tout est méconnaissable, à l’image de l’entreprise mère: la Cpg.

La révolution est mal partie

La relance de l’économie nationale et des entreprises, y compris de la Cpg, n’est pas immédiate ni pour le lendemain; elle dépendra avant tout de la réussite de la transition politique. Car sans stabilité politique, il est difficile, voire impossible, de relancer l’entreprise.

Sit-in dechômeurs à Gafsa- Sans diplôme, sans travail, sans épouse, sans rien...

Sit-in dechômeurs à Gafsa- Sans diplôme, sans travail, sans épouse, sans rien...

Il malheureux de dire que la révolution est mal partie pour la Tunisie, quant à ceux qui y croient encore, on n’y peut rien pour eux !

* Colonel retraité.

 

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