Tunisie. Légitimité ou pas, la «troïka» a le dos au mur

Entre inactions et maladresses, entre incompétences et mauvaise foi, entre démissions et fuites en avant, le bilan d’Ennahdha est loin, très loin, d’être reluisant.

Par Moncef Dhambri*

On a accordé aux disciples de Rached Ghannouchi et leurs suiveurs le bénéfice du doute, et ils se sont montrés dangereusement douteux. L’on a accepté l’idée selon laquelle il fallait un certain temps pour que les amis de Hamadi Jebali, associés aux «innocents» du Congrès pour la République (CpR) et d’Ettakatol, apprennent la gestion des affaires de notre pays, et ils ont échoué… Pire, mal inspirés, incapables et animés de la plus honteuse des assurances et de la plus dictatoriale des arrogances, ils ont tout raté, ils ont tout gâché. Aveuglés par leur insondable inconscience, ils continuent de s’accrocher au pouvoir, à leur «légitimité».

De la faillite à la terreur

Leur gouvernement, leur règne qui dure depuis 10 ou 12 mois – une  éternité, devrai-je dire – ne se raconte plus qu’en petites anecdotes et blagues qui nourrissent abondamment les pages Facebook, en faux-pas et sur-place qui ne se comptent plus, en tâtonnements et revirements indescriptibles, en régressions et en chute libre…

Il ne leur reste plus rien pour défendre leur cause et leur faillite est totale. Ils n’inspiraient pas confiance, au lendemain du 23 octobre 2011. Aujourd’hui, jour de l’anniversaire des premières élections libres de l’histoire de la Tunisie, ils sèment l’effroi.

Une certaine «candeur» électorale, un chèque en blanc que leur ont remis certains d’entre nos concitoyens les a installés au pouvoir. Une fois aux commandes des affaires du pays, leur islamisme de café du commerce, leurs prêches de quat’ sous, leur droits-de-l’hommisme dépassé, leur savoir-faire très approximatif et leur bricolage populiste ont très vite montré leurs limites.

Il ne s’agissait pas seulement d’implorer Allah pour faire tourner la machine économique, pour attirer les investisseurs et les touristes, pour délier les cordons de la bourse de nos bailleurs de fonds.

Toutes les générosités, enthousiasmes et considérations qui ont accueilli notre 14 janvier traînent aujourd’hui les pieds, ont tari ou nous tournent tout simplement le dos.

Que reste-t-il aux Nahdhaouis et à leurs associés du CpR et d’Ettakatol?

Leur «légitimité électorale», disent-ils et répètent-ils à qui veut les entendre.

Qu’est-elle au juste cette légitimité à laquelle les affamés du pouvoir tiennent comme à la prunelle de leurs yeux?

Il y aurait deux types de réponse que l’on peut apporter à cette question: ce que la légitimité était au départ et ce qu’elle est devenue à l’arrivée.

D’abord, le 23  octobre 2011, nous avions élu 217 représentants à l’Assemblée nationale constituante (Anc). Comme son nom l’indique, cette autorité était supposée se concentrer sur la tâche de la rédaction de la Loi suprême du pays. Elle aurait pu se contenter d’une révision pointue et très serrée de l’ancien texte et aurait pu trouver très facilement pour cette charge les moyens matériels et humains dont elle avait besoin pour s’acquitter de cette responsabilité dans des délais courts.

En comités restreints et experts, la Constituante aurait pu nous épargner les longues attentes, les fuites organisées ou incontrôlables, les controverses et les crises auxquelles on a eu droit pendant cette «éternelle année».

Nos constituants ont vu «gros», très gros, et choisi de «se hâter lentement». Le confort et les avantages de représentants du peuple ont offert aux membres  de l’Anc une polyvalence trop grande pour eux: outre la rédaction de la constitution, ils ont formé un gouvernement, élu un président de la république, fait les lois, ratifié conventions et accords internationaux, etc.

C’est la somme totale de toutes ces tâches, cette omniprésence et cette omnipotence qui ont brouillé les cartes de la transition démocratique et créé la confusion à laquelle nous assistons aujourd’hui. Il s’agit, en vérité, de plusieurs confusions. Nous ne citerons, ici, que quelques uns de ces cafouillages.

Essentiellement – exclusivement, devrions-nous dire – le mandat de l’Anc aurait dû être constitutionnel. Une trentaine d’experts d’entre les élus aurait suffi pour s’accorder sur les principes fondamentaux du texte constitutionnel et la manière dont celui-ci sera amendé à l’avenir. Cela aurait pu être une opération simple qui aurait servi à parer au plus pressé et permis de passer aux choses suivantes. Et ces dernières étaient, et sont toujours, nombreuses, très nombreuses.

Monter les Tunisiens contre d’autres Tunisiens

Donc, en lieu et place de cette formule peu coûteuse et moins accaparante, nos constituants ont préféré prendre leur temps – et donc le nôtre! – et se perdre dans les subtilités et les méandres d’un texte auquel – sauf le respect que je dois à nos chers élus – la plupart des membres de l’Anc pouvaient parfois ne rien comprendre…

Un an après, la légitimité électorale est devenue cette poudre aux yeux des Nahdhaouis qui a monté les Tunisiens contre d’autres Tunisiens, a brûlé l’ambassade des Etats-Unis et tué Lotfi Naqdh, pour ne citer que quelques uns des faits saillants de cette supercherie.

Tous unis, le 14 janvier 2011, nous en sommes réduits aujourd’hui à chercher les ennemis parmi nous et les traîtres à la révolution, à imputer à l’opposition les échecs de la «troïka», la coalition au pouvoir, à séparer les croyants des mécréants, à se noyer dans la définition du sacré, à se crêper le chignon sur l’égalité femme-homme, à s’interroger s’il faut punir les violeurs ou la violée, à se demander si les médias de l’après-Ben Ali ont le droit à l’expression libre ou non.

Quel gâchis! Quelle honte! Quel capharnaüm!

Et lorsque, dans cette pagaille, l’Ugtt a pris l’initiative de recoller les morceaux de l’unité nationale éclatée et qu’elle a appelé au dialogue, la «troïka» a préféré n’en faire qu’à sa tête, balayer d’un revers de main le consensus, continuer à dicter ses conditions et vouloir imposer sa feuille de route. Tout cela au nom d’une légitimité usée jusqu’à la corde, une légitimité qui a perdu toute sa crédibilité, une légitimité qui n’a de sens que pour ceux qui s’accrochent à leurs fauteuils, une légitimité qui a le dos au mur….

Nous imaginons, à une distance de vingt-quatre heures, la séance plénière extraordinaire de l’Anc, mardi, où les membres de la coalition tripartite qui nous gouverne feront des proclamations festives.

Nous imaginons assez facilement cette scène où se mêleront, sans aucune gêne, le tragique, le comique et l’absurde de notre révolution.

Nous imaginons la tragique incapacité du trio Jebali-Ben Jaâfar-Marzouki peinant à expliquer que leur tâche a été difficile, qu’ils ont tout fait pour réussir… et que tout est simplement une affaire de temps et de patience.

Nous imaginons le comique de leur «je t’aime, moi non plus». Leurs discours faits de d’entente fausse et de platitudes, nous le savons à l’avance, n’impressionneront que la galerie majoritaire de l’Anc. Ils leur vaudront les ovations de leurs «coreligionnaires» dans la salle, mais ne seront d’aucun effet en dehors de l’hémicycle.

L’absurde effronterie de réclamer un sursis

Nous imaginons, aussi, que la «troïka» aura l’absurde effronterie de réclamer un sursis, une prolongation, elle qui, en un an, n’a fait preuve que d’insolvabilité. Elle qui, en douze mois, a collectionné les bourdes les plus innommables.

Non, quoique MM. Jebali, Ben Jaâfar et Marzouki puissent nous dire, nous ne pouvons plus imaginer que l’avenir de notre pays entre leurs mains soit une affaire garantie. Ce doute est permis, parce qu’Ennahdha, le CpR et Ettakatol ont voulu qu’il en soit ainsi.

* Universitaire et article.

 

Articles du même auteur dans Kapitalis :

Dans la Tunisie d’Ennahdha, on achève bien les cardiaques

Tunisie. Rached Ghannouchi: main dans le sac et conscience tranquille

Tunisie - Etats-Unis. Hillary Clinton rappelle à l'ordre Rafik Abdessalem

Allah, que la révolution tunisienne est tombée très bas!

Tunisie. De grâce, Cheikh Rached, occupez-vous de «vos enfants» salafistes!

Tunisie. Le dit et le non-dit sur le voyage de Marzouki au Qatar

Tunisie. Les Nahdhaouis et les Salafistes se tiennent par la barbe

La deuxième mi-temps de la révolution tunisienne

Jebali face aux «incorrigibles impertinences» des médias tunisiens

Droits des femmes en Tunisie: Ne touchez pas à notre parité!

Ennahdha ou la confiscation islamiste de la révolution tunisienne