Les Tunisiens emprisonnés dans la logique aberrante d’Ennahdha: «Tous ceux qui ne me ressemblent pas sont mauvais, car je suis le bon par excellence»?» Ben Ali ne disait pas autre chose…
Par Abdallah Jamoussi*
Le chantier de déblayement s’avère nécessaire, après le délabrement engendré par l’entrechoc entre révolution et contre-révolution. Il y a eu trop de dégâts psychologiques suite aux tiraillements tournés parfois en confrontation idéologique et en échauffourées. Le déblayement des gravats est un rituel pratiqué au quotidien, aux courts moments d’accalmie.
Distance-critique, objectivité et scepticisme éclairé
Bien que le baromètre penche vers le beau-fixe, rien ne dit que les réunions, interdites pour certains, ne fassent de ce climat clément le silence qui précède la tempête. En prévention contre la récidive, il serait bon de ne pas se fier aux palliatifs et de se focaliser sur la source génératrice de conflits quasi-éternels, étant donné que tout dit que la vacuité culturelle ne provient pas d’un déficit au niveau de la lecture, mais plutôt d’une lecture subjective et superficielle…
Il serait donc nécessaire de sensibiliser les jeunes à la lecture-critique. Une lecture qui doute et doute du doute. La notion de liberté se cultive. Le demi-siècle passé dans la construction d’un pays sorti de l’occupation, aurait négligé l’importance de fonder l’esprit critique. Ce dont on souffre actuellement ne serait que le produit de ce manque. Nous avons jusque-là pris le produit intellectuel pour de l’argent comptant et cru à la belle propagande généreusement rémunérée en vue de promouvoir certaines idées allées avec certains programmes politiques.
Pour l’heure, il y a de quoi prendre une distance-critique et construire l’objectivité en partant d’un scepticisme éclairé. Autant dire de l’information qui pollue nos airs et qui se sert de techniques stéréotypées capables de nous engager sur de fausses pistes.
Une fracture sociétale sur une toile fond culturelle
Ce qui affecte notre climat politique, depuis des années, n’est-il pas le fruit d’une stratégie ayant tissé sa toile à l’insu de la société, afin de produire cette situation enchevêtrée dans laquelle devrait s’imbriquer la révolution d’un peuple qui continuera à militer pour juguler la corruption, le népotisme, l’injustice et l’exclusion et pour faire valoir son droit à la liberté d’expression. Un simple pronostic peut montrer que l’effort s’effectue actuellement loin de ce centre d’intérêt, si comme on avait bien des problèmes à résoudre en préambule. Certes, il y a eu, depuis longtemps, une tendance à nourrir chez-nous une fracture sociétale sur une toile de fond culturelle. Ce passé désagréable ne nous rappelle-t-il pas les mesures entreprises à l’égard de la pensée qui ne correspondait pas au moule officiel? Il fallait dire que la répression était par moments rude, abrupte, trop coercitive, en somme. Mais, elle ne concernait pas spécifiquement les islamistes.
Toutefois, ce genre d’embargo sur l’activité intellectuelle n’aurait pas dégénéré en animosité si on n’avait pas cultivé le ressentiment entre deux franges de la société tunisienne. Maintenant, que ceux qui ont posé la règle de jeu sont passés, voici où nous en sommes!
Un important écart entre deux sphères
Les contours de notre texture culturelle sont clairs; tout prouve que nous souffrons d’un syndrome plus accentué que le mur de Berlin», lors même que nous vivons côte-à-côte. Cela paraîtra bizarre pour certains, alors que les faits dénoncent un état de latence: une sorte de volcan endormi et susceptible, à tout moment de cracher ses laves.
Suffit-il de se barricader derrière de fausses apparences ou de tronquer l’histoire pour démanteler une barrière psychologique, dans l’espoir de combler un gouffre chimérique? Il est pourtant vrai, hélas, qu’il n’y a jamais eu de mur de séparation en béton entre les Tunisiens; si tant avait été l’obstacle, il aurait été facile de le démolir. Ce dont souffre notre peuple est plus résistant que le béton; car c’est de la force du vide qu’il est question. Une force qui aspire et qui engloutit ses lisières. Je parle d’un important écart entre deux sphères.
Quel ennemi imperceptible est cette force vis-à-vis de laquelle, on ne sait comment prouver la présence d’un mur réel!
Vue à l’œil nu, la situation dénote une activité souterraine et l’élaboration de programmes dans les interstices. Le manque de clarté qui plane sur la constituante a affecté l’ambiance et généré une sensation d’être dans une salle, dans l’attente d’un verdict qui ne tombera pas, avant que les issues du dialogue ne se referment.
Dans un tel contexte de manque de transparence et d’ouverture, on ne peut que se laisser envahir par le doute, à propos de cette tergiversation qui caractérise l’élaboration de la constitution et le manque de clarté dans les doléances de certains députés. C’est le pressentiment qui s’empare de tout un chacun égaré sur une voie dont il ignore l’issue. Le climat de suspicion en corrélation avec un jeu de masques dénonce un rapport faussé avec la réalité d’un pays en sursis et n’ayant rien à voir avec cette brouille. Un pays, qui a payé en vies humaines son droit à la transparence et au progrès, assiste à son espoir avorté goutte-à-goutte. Pourtant, de la révolution, on ne faisait que parler – pour banaliser la notion. On apprend bien des trucs de contre-révolutionnaires. N’empêche que la technique soit obsolète.
Panoplie de mesures pour agir sur la conscience
Pour convaincre du non-sens de la révolution, il avait fallu faire taire les intellectuels à tout prix. Une fois déshéritée et vidée de son contenu, elle serait classée et enregistrée sous X.
Par ailleurs, il y a bien une piètre habitude d’exhiber publiquement son hostilité une fois envers les Rcdistes, une fois envers les bourguibistes, une autre fois envers la gauche et pour finir une animosité contre les syndicalistes. Cela ne n’insinuait-il pas que: «Tous ceux qui ne me ressemblent pas sont mauvais et que je suis le bon par excellence»?
A coup sûr, nous serions dans un univers hanté par l’absence de la mesure et dans lequel prévaut l’ego sur l’équité, le respect et la notion de justice. Et au pire, dans une logique de supercherie, car la realpolitik est tout autre que ce qu’on endure, depuis plus d’une année. C’est pour démontrer à quel point le hiatus est profond, dans ce continuum situé sur deux vecteurs opposés situés de part et d’autre de deux temporalités distinctes et éloignées.
Chez-nous, on peine à comprendre ce qu’on veut de nous, à répondre à l’ontologie: «Qui suis-je? Que frais-je ici? Où vais-je? D’où suis-je venu?». N’est-il pas douloureux de se sentir exilé dans son pays et accusé séance tenante d’un crime, qu’on n’a jamais commis. Et comme la communication implique le retour, il ne fallait pas s’étonner des troubles politiques qui s’en suivent. Il ne s’agit point dans un tel cas de demander des comptes à ceux qui s’exercent, mais de condamner une fausse méthode.
L’impression d’être dans un pays colonisé
Le gris foncé du discours politique ne résistera pas contre la logique fractale, dont use la quintessence d’une élite avec dextérité pour répondre à la violence par la non-violence. Entendre des inconnus te demander un laisser-passer dans ton pays, te traiter d’ignorant et de déraciné, t’interdire une réunion dans un cadre associatif autorisé et même d’agresser tout le monde, ne donne-t-il pas l’impression d’être dans un pays colonisé? Une fois l’image du colonisateur projeté sur ce système, la réaction attendue ne se fera pas attendre- sachant que le corps social est vacciné contre ce mal?
Le citoyen est dans le désarroi le plus total. Il n’entend pas revivre un passé caractérisé par le népotisme et la corruption derrière le paravent de la justice transitionnelle. Mais de qui se plaindre et à qui, lorsqu’on a affaire à l’arbitre? On ne saura t’entendre à travers ce vide creusé entre deux modes de cultures qui sectionnent notre société en deux entités opposées. On s’étonnera de ces propos, d’une manière déconsidérée, alors qu’il s’agit d’une logique fondée sur un principe en contre-sens de la quête de la vérité, du genre: déraisonnement raisonnable ou raisonnement déraisonnable. Cette démarche de l’esprit, ne manquera pas de détruire l’approche d’une solution par le biais du dialogue – en vue de traduire la différence en richesse.
C’est à partir d’un concept ambigu qu’on a construit ce principe-conducteur en usage, lequel principe consiste à accuser arbitrairement quelqu’un d’un crime qu’il n’a jamais commis puis de le sommer de prouver son innocence. Il pourra fournir mille alibis et mobiles, sans que cela lui serve à prouver son innocence, puisqu’on pourra les réfuter arbitrairement (Rappelons-nous qu’on parle d’un évènement qui n’a jamais eu lieu).
En Florence médiévale, on pouvait juger n’importe qui pour avoir développé certaines idées nuisibles ou entrepris des relations avec des forces occultes. L’accusé d’un tel acte ne s’en sortira du bucher qu’en braises. C’est selon cette logique qu’on a demandé à l’Iraq de prouver qu’il n’a jamais développé d’arme nucléaire… On serait, donc, face à une construction mentale qui tend à faire perdre la vérité – à la différence de la logique universelle, celle qui tend à la chercher. Une sorte de mesure d’exception évoquant l’univers de Franz Kafka, dans son roman ‘‘Le procès’’ et dans lequel, l’auteur décrit la passion d’un fonctionnaire qui s’étonne de voir des gens, de si bon matin, chez lui, en train de fouiller dans ses propres affaires, pour partir, enfin, sans rien emporter de chez-lui. Quelques jours plus tard, il apprend qu’il a été condamné par contumace. Le pauvre fonctionnaire ne sachant ni de quoi, ni pourquoi on le condamne, ni à quelle partie s’adresser, devra passer son temps et dépenser son argent à la recherche de l’instance qui s’est saisi de son dossier, mais vaine peine. Un soir, en rentrant, chez-lui, quelqu’un le prend en joue et tire. Absurde? Pourquoi, absurde? C’est une contre-vérité. Pour ceux qui croient détenir la vérité et c’est tout à fait logique.
* Universitaire.
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