Dans le cas où un référendum s’avérait inévitable, ne serait-il pas préférable de présenter deux projets de constitution, plutôt qu’un seul, au choix des Tunisiens?
Par Faik Henablia*
Le moins que l’on puisse dire est que la période, censée être transitoire, que vit notre pays, brille par sa longueur.
L’Assemblée nationale constituante (Anc), qui était censée faire diligence et rédiger une constitution dans un délai d’un an, se comporte beaucoup plus en parlement prenant ses aises et comptant s’installer pour une période beaucoup plus longue.
Une ambiance d’incompétence et d’amateurisme
Le gouvernement, quant à lui, censé expédier pendant ce temps-là les affaires courantes, et assurer deux ou trois tâches essentielles, dont la sécurité et l’organisation d’élections générales, décide de faire comme s’il disposait de la durée pour s’attaquer, ni plus ni moins, aux problèmes structurels du pays.
Le tout dans une atmosphère ahurissante d’incompétence et d’amateurisme.
Résultat, le pays s’enfonce dans la crise et la constitution n’est toujours pas prête.
Or qu’apprenons-nous par-dessus le marché? Que des divergences fondamentales entre les membres de l’Anc rendent impossible la rédaction d’une constitution cohérente et que seul un référendum débloquerait la situation.
Par conséquent, et si d’aventure la constitution était rejetée par les électeurs, cela voudrait dire retour à la case départ… Avec cette Anc et ce gouvernement.
Quels que soient les sentiments des uns et des autres vis-à-vis de ce pouvoir, il est bien évident que la Tunisie ne s’en relèverait pas. Nous ne pouvons tout simplement pas nous payer ce luxe, car notre pays a besoin de jeter, au plus vite, les bases d’institutions permanentes et de retrouver la stabilité nécessaire à son développement.
Afin d’éviter cela, j’avance l’idée suivante: dans le cas où un référendum s’avérait inévitable, ne serait-il pas préférable de présenter deux projets de constitution, plutôt qu’un seul, au choix des Tunisiens?
Deux constitutions à départager par les Tunisiens
Cela aurait plusieurs avantages:
* en premier lieu, cela éviterait un compromis et une synthèse impossibles tant les différences sont irréconciliables, entre, d’une part, les tenants d’un régime, disons avec toutes les précautions d’usage, républicain et à l’occidentale, et d’autre part, ceux d’un régime plus «théocratique», avec une forte dose de chariâ. Ainsi deux projets concurrents, correspondant à des visions et à des projets différents de société seraient présentés au suffrage des gens. L’un parlerait d’égalité entre hommes et femmes, par exemple, l’autre de complémentarité. L’un n’établirait aucune entrave à la liberté d’expression, l’autre sanctionnerait les atteintes au «sacré», etc;
* cela ferait aussi gagner du temps dans la mesure où les compromis seraient plus faciles à trouver à l’intérieur de chaque camp ou de chaque sensibilité;
* de plus, cela nous mettrait à l’abri de toute période dangereuse d’instabilité qui résulterait du rejet éventuel d’un projet unique de constitution. Car ne nous voilons pas la face, le pays va très mal et une telle hypothèse constituerait sans doute le coup de grâce;
* finalement, c’est le peuple souverain qui aurait le dernier mot en optant pour l’un ou l’autre de ces projets, à la majorité. Ainsi les chiffres, qui se seraient portés pour ou contre un projet unique de constitution, serviraient, dans cette hypothèse, à départager deux projets.
Il est bien évident que le scrutin devrait se tenir dans des conditions incontestables de liberté, de transparence et d’indépendance.
Mais il est vrai qu’une telle condition va de soi pour tout scrutin démocratique.
* Gérant de portefeuille associé.
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