Lors de ses dernières prestations, le vieux routier de la politique a su impulser de la confiance en réactivant l’idée de l’éthique en politique et le sens du compromis. Pourvu que son «nida» (appel) soit entendu par tous!
Par Monia Mouakhar Kallel*
Le second Béji Caïd Essebsi a brillé par son sens de la répartie, la richesse de ses références et son humour hilarant. Cette semaine, il a franchi un pas de plus: le séducteur (ou l’amuseur comme disent les sceptiques) s’est montré un véritable «animal politique» pour reprendre la métaphore bien connue.
Réactivation de l’idée de l’éthique en politique
Deux traits distinguent un leader politique: la clarté de sa vision et la cohérence de son projet. On peut émettre des réserves sur le premier point, mais sur le second, M. Caïd Essebsi était incollable du moins au niveau du discours.
Dans un contexte où la plupart des chefs politiques nous bercent de belles formules qu’ils démentent à l’instant même où ils les prononcent, l’initiateur de Nida Tounes (Appel de la Tunisie) a su rester cohérent avec lui-même et maître de son langage. Il a produit du sens et conféré à sa proposition une place incontestable dans le paysage politique. Au centre de son «nida», ou de son appel, figure le «wifak» (large mot englobant à la fois l’accord, l’entente, la coordination, l’harmonisation, le consensus) qui présuppose l’acceptation de l’autre et de ses différences.
Ces lieux communs, l’invité de Nessma TV (dimanche 23 septembre) a pu les concrétiser en respectant les règles du jeu démocratique et en faisant ce qu’il dit. «L’éthique politique» par laquelle il a débuté l’interview n’était pas une simple annonce formelle, mais une ligne de conduite qu’il s’est imposé jusqu’à la fin. C’est ainsi qu’il a évité à la fois les formulations blessantes, pathétiques ou vulgaires et le calme plat ou la complaisance creuse. Ses «pointes» sont renversantes. Au journaliste qui lui demande si la coexistence de profils différents au sein de Nida Tounes ne compromet pas le devenir du parti comme s’est arrivé au Congrès pour la République (CpR), il répond: «On n’est pas le CpR». Idem pour la question du «mauvais héritage» que lui reprochent les maîtres nahdaouis, «le seul héritage que j’ai laissé, c’est eux».
Elévation du niveau du débat
Indépendamment de la véracité (ou la fausseté) de leur contenu, ces petites phrases, qui se démarquent du discours grandiloquent et des démonstrations démagogiques quotidiennement entendus (ou lus), élèvent le niveau du débat et le centrent sur les vrais défis à relever. Elles constituent également «une bouffée d’oxygène» (expression souvent employée par les récepteurs) qui réconcilient le Tunisien avec la politique et les politiciens. Car le réel danger qui guette aujourd’hui la démocratie naissante est le désengagement du citoyen. Tous ceux qui comparent la marche de la révolution tunisienne au scénario algérien le disent et les nouveaux sondages des intentions de vote le confirment.
Depuis 18 mois, les chefs des partis, les oulémas et les cheikhs, censés représenter l’élite, s’engouffrent dans des logiques étroites voire haineuses et unanimistes. Sur les chaînes de radio et les plateaux de télévision, ils viennent proférer des discours de portiers (dans le fond et la forme) qui se cristallisent autour des personnes (ou des partis politiques) au lieu de porter sur les règles du vivre ensemble, les programmes politiques ou les feuilles de routes. Il en résulte une fragilisation des rapports entre les familles politiques et une perte de confiance entre gouvernants et gouvernés, or celle-ci est nécessaire à tout exercice du pouvoir.
Le sage Confucius a déjà signalé que tout gouvernement a besoin de trois choses: les armes, la nourriture, la confiance; si tu perds les armes, garde la nourriture et la confiance; si la nourriture vient à manquer, avec la confiance tu peux encore gouverner. Mais si elle seule disparaît, tout pouvoir cesse.
Merci si El Béji de nous avoir impulsé de la confiance en réactivant l’idée de l’éthique en politique même si notre chemin est encore long et que votre Nida est loin d’être entendu par tous !!!
*Universitaire.
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