Le système bancaire tunisien, trop éclaté et constitué de banques de taille réduite, ne saurait accompagner l’internationalisation de l’économie tunisienne. Les opérations de rapprochement/fusion sont donc nécessaires pour constituer des pôles financiers nationaux de dimension régionale.
Telle est la conclusion de l’intervention de Hakim Karoui, directeur chargé des Fusions et acquisitions dans la zone Afrique-Méditerranée chez Rothschild & Cie Banque, qui intervenait au 1er Forum d’Ineum Consulting (IC), organisé le mardi 28 septembre, à l’hôtel Sheraton, à Tunis, sur le thème: «La reconfiguration du secteur bancaire pour soutenir le développement des pays émergents de la Méditerranée: exemple de la Tunisie».
Vue des participants au Forum Ineum Consulting
De prestigieux autres banquiers ont pris part à ce forum, tels Charles Milhaud, président de la Commission d’étude de création d’une banque dédiée au financement du co-développement en Méditerranée, Khalil Ammar, Pdg de la Banque de financement des petites et moyennes entreprises (Bfpme), et Karim Hajjaji, directeur financier de la Société Générale Global Investment Management & Services, autour de Chiheb Mahjoub, président d’Ineum Consulting.
Trois Tunisiennes pour une Marocaine
«Les rapprochements/fusions entre banques tunisiennes sont-ils nécessaires?», s’interroge d’emblée Hakim Karoui. «Oui. Il faut le faire», répond-t-il aussitôt. Pour convaincre l’auditoire de la nécessité de ces rapprochements-fusions, le conférencier compare le bilan moyen des trois premières banques tunisiennes avec ceux des trois plus importants établissements bancaires dans des pays sud-méditerranéens comparables, comme le Maroc, la Jordanie et l’Egypte.
Le taux de bancarisation en Tunisie fait certes meilleur qu’au Maroc, mais le total bilan des trois premières banques tunisiennes réunies est de moindre importance que celui de la première banque régionale, Attijariwafa Bank en l’occurrence, montre M. Karoui, chiffres à l’appui. En effet, le total de bilan de la première banque marocaine s’élève à 25, 579 milliards de dinars, contre «seulement» 3,248 milliards de dinars pour la Biat, 3,125 mds de dinars pour la Stb et 2,973 mds de dinars pour la Bna.
Le système bancaire tunisien est assez homogène. Il se caractérise par une répartition équilibrée entre banques publiques, banques privées et banques à capitaux étrangers et/ou de développement. Mais le secteur compte trop de petites banques, dans un marché relativement exigu, et aucun «champion national» capable de jouer un rôle régional.
«Pourquoi chercher à avoir des banques de grande taille?», s’interroge M. Karoui. Il répond : «Les banques de grande taille permettent de professionnaliser les process, de prendre des risques plus importants, de mieux accompagner les Pme, de financer les grands projets dans les domaines des télécoms, de l’énergie et des infrastructures…»
Accompagner les entreprises nationales à l’étranger
La Tunisie, qui cherche à internationaliser son économie, ne saurait y arriver avec des banques dont la capacité de prêt est relativement faible et qui, de ce fait, ne peuvent financer des projets de dimension régionale ou internationale. Sur un autre plan, le fait d’avoir des banques de réseau permet de mieux capter les flux de fonds des Tunisiens résidents à l’étranger, d’accompagner les entreprises nationales dans leurs activités à l’étranger et de mieux faire connaître le pays à l’extérieur, explique M. Karoui. Il fait remarquer, à ce propos, qu’en France, beaucoup d’opérateurs économiques ne savent pas qu’une filiale d’Airbus et certains équipementiers aéronautiques se sont installés en Tunisie. «Le projet de création de la Tunisian Foreign Bank va dans la bonne direction», concède le banquier en soulignant que «les banques sont de formidables ambassadeurs.»
Toute en se félicitant du fait que la nécessité d’opérer des rapprochements/fusions fait désormais consensus en Tunisie, M. Karoui admet néanmoins que de pareilles opérations sont complexes et difficiles à mettre en œuvre. Cette complexité et cette difficulté proviennent d’un certain nombre de facteurs.
Analysant le tissu économique et bancaire tunisien, le directeur chez Rothschild & Cie Banque constate que les 9 grands groupes privés tunisiens concentrent leurs activités dans 8 secteurs. «Tout le monde fait la même chose», dit-il, en déplorant ce manque de spécialisation. «Ce sont des conglomérats familiaux investissant dans des domaines proches», note-t-il. Et d’expliquer: «La logique serait que chacun se spécialise dans un métier ou des métiers complémentaires. Avec 4, 5 ou 6 métiers différents, cela crée des difficultés de trésorerie, d’investissement, etc.»
Faible présence des groupes tunisiens à l’étranger
D’où vient cette concentration? Le conférencier avance une explication anthropologique: les familles tunisiennes sont traditionnellement communautaires et endogames. Elles sont au centre de la vie sociale et économique. On fait des affaires entre frères. On se lègue les biens économiques de génération en génération, mais au sein du même clan. Cela donne un sentiment de sécurité, mais crée aussi, au sein des entreprises familiales, une réticence à vendre, à échanger des actifs, à restructurer les groupes pour éviter l’émiettement, voire même à s’ouvrir sur le marché international. D’où, la faible présence des grands groupes tunisiens à l’étranger, à l’exception de trois «champions»: Poulina, Elloumi et Altea Packaging.
Les banques, en Tunisie, sont à l’image des entreprises. Les premières ont d’autant moins de raison à s’internationaliser qu’il n’existe pas vraiment de demande en ce sens de la part des secondes.
Comment, dans ce cas, les opérations de rapprochements/fusion pourront-elles être effectuées? Ce processus est inéluctable, estime M. Karoui. Car, de nouveaux acteurs pourraient être intéressés par une implantation dans le pays et auraient besoin de s’allier à des banques de la place. De nouveaux métiers et de grands projets sont également en train d’être mis en place en Tunisie arrivent, qui auraient besoin d’accompagnement bancaire. La création d’une plate-forme financière régionale oblige les acteurs nationaux à chercher des partenariats avec des groupes à capitaux internationaux. La fusion de la Société tunisienne de banque (Stb) et de la Banque de l’habitat (Bh) sera un jalon important dans ce processus.
«Le paysage bancaire tunisien va changer dans la douleur, mais il va changer», prédit M. Karoui. Qui ne voit que des avantages dans l’avènement prochain de banques de taille plus grande: il y aura plus de financement pour les Pme et les grands projets, plus d’emplois pour les diplômés du supérieur, une meilleure canalisation des fonds des ressortissants et des entreprises basés à l’étranger et un signal fort en direction des entreprises désirant s’internationaliser… Que des bénefs, en somme.
R. K.
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