‘‘Jaou’’, le mot est décliné sur une affiche jaune tapissant les murs de Tunis. C’est une manifestation d’art contemporain organisée par la Fondation Kamel Lazaar.
Par Anouar Hnaïne
«Jaou»? Ambiance, fête, amusement, distraction…, le mot est difficilement traduisible. Soit. Une atmosphère joyeuse. Qui plus est, implique l’art contemporain dans toutes ses dimensions. Comprenez, expositions, performances, installations, échanges de vues et forcément symposium. Les amateurs sont contents, les artistes participants le sont davantage, les exclus sont amers et les galeristes jubilent.
Des pistes et des propositions
La manifestation, qui se tient dans des lieux différents, est éclatée dans tous les sens, thématique et géographique, échanges d’idées au Musée du Bardo, devenu temple du savoir, et démonstration d’œuvres dans les incontournables galeries de la banlieue nord de Tunis.
La mayonnaise a pris rapidement, le public nombreux chemine vers l’art, tant mieux, c’est la joie. Jaou! L’événement, qui a sa 3e édition, est parti le 28 mai au rythme d’un TGV, hallucinant.
Installation de l’artiste irakien Adel Abidin (Ph. Boris Innovation Consulting).
A Dar El Marsa, inauguration somptueuse d’une exposition de Ahmed Farid, artiste égyptien travaillant sur des supports classiques, toiles, et qui a choisi des sujets actuels: la liberté, la lutte pour la liberté. Personnages récurrents dans sa peinture: une fleur, des colombes, une brouette et des personnages stylisés. Ce qui nous rappelle un fameux marchand ambulant, déclencheur des Printemps arabes. Le reste, c’est-à-dire l’exécution, est d’une inventivité extraordinaire, couleurs, pâte, composition, plans… l’exposition continue.
Un symposium au Musée national du Bardo, modéré par Anthony Downey, rédacteur en chef de ‘‘Ibraaz’’, rassemblent des personnalités connues pour débattre d’un thème d’actualité: «La culture à l’épreuve des conflits». Les intervenants, sans exception, ont caressé le sujet sans l’approfondir ni l’enrichir, pourtant, enrichi par l’actualité politique, les violences et le lot quotidien des terreurs, il se prête à beaucoup d’interprétations, de digressions, etc. Une séance de faible intensité, vite oubliée. Regrets tout de même.
La mosquée, centre d’art
Vendredi. Matinée riche, abondante en sessions. Thinkers and Doers, des jeunes responsables d’entreprises, de start-ups en arts visuels, en communications et autres équipements de recherche présentent leurs projets. Avis aux amateurs.
All The World’s A Mosque (Ph. Boris Innovation Consulting).
Suit une éblouissante intervention de Slavs and Tatars, un collectif polémique qui couvre plusieurs médias et un large éventail de registres culturels. Où il a été question du mur de Berlin, du Land Art, des Guggenheim, de l’art contemporain dans les Emirats arabes, du Coran, des anciennes idéologies communistes, du mécénat, de l’islam, de l’art d’avant-garde, bref un maelstrom d’images, de discours vertigineux à vous donner le tournis.
L’après-midi est consacré aux visites des galeries, œuvres contemporaines, des noms connus sur la place, des notoriétés internationales, les inévitables galeries «sidibousaïdiennes» et «marsoises» sont prises d’assaut: l’heure est à la découverte de l’art dans la joie. Jaou, encore et toujours!
Samedi, fin d’après-midi. Le clou de l’événement se déroule à Carthage, devant l’amphithéâtre. Une file infinie attend son tour pour découvrir l’exposition annoncée tambours battants, ‘‘Le monde entier est une mosquée’’. Publics nombreux, curieux en attente patient pour admirer ou critiquer des œuvres contemporaines dans des conteneurs.
De mémoire d’amateur, on n’a jamais assisté à une scène pareille. Soit. Plusieurs conteneurs couleurs en cubes, à étages, couleur rouille, ça ne ressemble ni de près, ni de loin à une mosquée.
‘‘Le monde entier est une mosquée’’ défend un argument «discutable». On lit dans le catalogue «Jaou» : «… qu’on ne s’éprenne pas sur le titre, ‘‘Le Monde entier est une mosquée’’ n’est pas une tentative d’annexer la terre entière à un rite ou à un lieu musulman. Ce n’est pas non plus faire œuvre de prosélytisme. C’est faire du monde un seul lieu de prière voué au Dieu de tous.»
Et que fera-t-on donc de ceux qui ont exclu Dieu de leur vie, de ceux qui font de la spiritualité, telle que l’art, un Dieu en dehors de la religion? Evacuons ce type de remarques, ce titre est à notre sens surfe sur la vague de «la mode» et se veut «consensuelle».
Entrons sans préjugés dans cette fameuse mosquée. Qu’y trouve-t-on? Des œuvres de haute tenue, résolument contemporaines et inspirées. On y découvre tout l’univers d’une mosquée, des photos de diverses architectures musulmanes, des installations relatives à la pratique de la prière, des tableaux qui renferment tous les produits dérivés du bon musulman, des chaussures différentes sur un tapis, une vidéo iconoclaste où un orateur qui a tout d’un publicitaire, discours, démarche rapide, etc., montre les rayons débordant des centaines, des milliers de produits de consommation.
«Que reste-t-il à consommer au paradis?», semble conclure l’artiste. Et toutes les propositions sont de cette veine, incisives, pertinentes, sans complaisance, et participent à l’élaboration d’une vision chaotique de la mosquée.
Cette exposition courageuse, iconoclaste, intrigante pour les uns, agitée par des idées novatrices pour les autres, mériterait à notre avis d’être prolongée ou carrément installée pour longtemps de façon à ce qu’elle serve de lieu de visite avec guide. Une mosquée où l’on débat des buts, de la portée des œuvres d’art? Un rêve à la portée de Lina Lazaar qui en a eu l’idée.
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