Le terrorisme a frappé très fort et le tourisme tunisien est durement atteint. Les visiteurs étrangers reviendront-ils un jour en Tunisie?
Par Simon Calder*
La liste mondiale des cas désespérés des destinations touristiques s’est rallongée. Désormais, aux côtés de l’Afghanistan, de l’Irak et de la Somalie, l’on compte aussi la Tunisie.
En effet, le Foreign Office britannique a décidé d’ajouter le nom de ce pays à son tableau des «no-go destinations» du monde, ces zones interdites où il est très risqué pour le ressortissant du Royaume-Uni de s’aventurer. La raison de cette déprogrammation de la Tunisie est toute simple: en une courte période de temps, entre mars et juin 2015, plus d’une cinquantaine de visiteurs étrangers, y compris plus de 30 citoyens britanniques, ont trouvé la mort en Tunisie, au Bardo et à Sousse.
Les terroristes peuvent frapper n’importe où en Tunisie
Le gouvernement du Royaume-Uni demande d’être convaincu que les autorités tunisiennes sont capables d’éviter un autre massacre horrible, tirant la conclusion — hâtive, aux yeux des Tunisiens — que le danger terroriste reste très élevé et que la menace d’un «nouvel attentat demeure hautement probable.»
Pire encore pour le pays, dont le sort de centaines de milliers de ses citoyens dépend de l’industrie du tourisme, est l’évaluation sombre faite, cette semaine, par le gouvernement australien qui se résume en une formule lapidaire: «les terroristes ont accès à tous les endroits en Tunisie.» Et pour ceux qui nourrissent encore quelques doutes, les autorités de Canberra fournissent un rapport détaillé des zones interdites en Tunisie: «ces 2 attaques (du musée du Bardo et de l’hôtel Riu Imperial Marhaba d’El-Kantaoui à Sousse, Ndlr) ont été menées par des individus qui étaient inconnus aux autorités tunisiennes et en utilisant des armes ordinaires. La nature de ces attentats complique la tâche des autorités de ce pays, qu’il s’agisse de prévenir ces attaques ou de les déjouer…»
L’alerte rouge donnée, la semaine dernière, par le gouvernement de David Cameron aux ressortissants britanniques, leur déconseillant vivement – voire leur interdisant – tout séjour et tout déplacement en Tunisie, a déclenché un véritable pont aérien pour le rapatriement des milliers de touristes, qui ont été accompagnés sous haute surveillance sécuritaire des hôtels où ils résidaient vers les aéroports du pays, afin qu’ils regagnent sains et saufs le Royaume-Uni.
L’image de ce branlebas de combat, de ces départs en catastrophe sans précédent et de cet abandon de la destination touristique tunisienne restera ineffaçable… Le touriste britannique ne reviendra pas de sitôt en Tunisie.
Le voyagiste Jet2, un des principaux tour-operators britanniques, a déjà éliminé la Tunisie de ses programmes pour l’été 2016. Et les agences de voyages australiennes, cette semaine, ont insisté auprès de leurs clients d’éviter «non seulement les endroits réputés comme étant très fréquentés par les étrangers – et pas seulement par eux – comme les bâtiments des représentations diplomatiques occidentales, les installations pétrolières, les quartiers résidentiels, les hôtels, clubs, restaurants, bars, écoles, marchés, lieux de cultes, les évènements d’activités de loisir en plein air et sites touristiques.»
Bref, cette liste des éliminations australienne laisse peu, très peu, de choix pour le touriste australien souhaitant visiter la Tunisie.
Avons-nous à faire à un pays ou à une denrée?
La Tunisie a une frontière longue de près de 500 kilomètres, poreuse et hors de tout contrôle, avec un pays dont l’Etat n’a pas fini de rechercher sa légitimité: la Libye, pays d’Afrique du nord qui, lui aussi, figure sur la liste «no-go» du Foreign Office. Autant dire, donc, que Tunis éprouve le plus grand mal à persuader l’Ouest qu’elle est en mesure de contrôler les choses et qu’elle peut garantir la protection des visiteurs étrangers. Mais, le jour où le pays remontera la pente sécuritaire et retrouvera sa place parmi les «pays sûrs» (et ce qualificatif demeure, bien évidemment, relatif), pourra-t-il drainer de nouveau la masse d’un demi million de touristes britanniques qui auraient pu «normalement» visiter la Tunisie en 2015?
La réponse est «oui», sur le long terme – mais cela pourrait nécessiter des décennies, et non pas des années, ainsi qu’il a été le cas pour l’ancienne Yougoslavie. En 1990, un million de vacanciers britanniques se sont rendus dans ce pays – pour la plupart séjournant sur les villes côtières de la Croatie, une des républiques yougoslaves d’alors. Pour la présente année, l’on estime à près d’un demi-million, seulement, le nombre de touristes britanniques qui visiteront la Croatie. Le pays a gravi les échelons et opère désormais dans la classe du haut-de-gamme touristique, loin de la catégorie très bon marché des offres «99 £/semaine» qui a fait les jours de gloire de Yugotours (l’office yougoslave du tourisme, Ndlr), notamment pendant les années ’80.
L’Egypte, pays qui lui aussi a durement ressenti les attaques terroristes contre les touristes étrangers, a démontré que les activités de l’industrie du tourisme peuvent être boostées en réduisant les tarifs hôteliers et en offrant des subventions aux compagnies aériennes.
Alors qu’un pays comme la Tunisie possède une riche culture et qu’il attire un nombre appréciable de touristes haut-de-gamme, il pourrait être tenté de recourir à la formule facile du «soleil-sable-mer» pour réparer les dégâts économiques causés par l’horrible tuerie de Sousse. Mais cette solution de facilité fera de la Tunisie une denrée plutôt qu’un pays. Le gourou de l’industrie du voyage Neil Taylor estime que même cette stratégie peut échouer: «Il n’y a aucun sens à pratiquer des prix insensés. La sécurité reste la question fondamentale, et non pas le coût. Donc, baisser les prix de manière drastique n’y changera rien, c’est-à-dire que ces rabais ne garantiront pas nécessairement une reprise rapide de l’activité touristique.»
Le tourisme tunisien a besoin d’educationals
Au contraire, selon Neil Taylor, la Tunisie devrait lancer un programme d’information de grande envergure – educationals, dans le jargon de l’industrie du tourisme – reposant notamment sur l’organisation de voyages gratuits pour les professionnels britanniques du tourisme qui auront pour tâche de constater que la situation dans le pays est redevenue normale, que le pays est de nouveau hospitalier. Il cite ainsi l’exemple hong-kongais: «En l’espace d’une courte douzaine d’années, grâce à 2 grands educationals, Hong-Kong a tourné la page de la crise dévastatrice du SRAS (syndrome respiratoire aigu sévère) du début des années 2000. Les educationals ont valu à Hong Kong des couvertures médiatiques très positives et les réservations ont vite repris…»
Lyn Hughes, rédactrice-en-chef du magazine ‘‘Wanderlust’’, ne peut qu’adhérer à cette thèse: «La question de la sécurité doit bien évidemment être traitée de toute urgence, et de la manière la plus visible.» Cependant, ajoute-t-elle, la Tunisie devrait prendre conscience du fait qu’elle possède un produit touristique inexploité, celui des vacances offrant l’aventure dans le sens le plus large du terme – comme, par exemple, le cyclotourisme, la randonnée pédestre, l’équitation, la photographie et l’ornithologie. «L’amateur moyen du voyage aventure/culture/exploration est prêt à dépenser plus. L’argent que génère ce type de tourisme ‘‘peut aller plus loin’’ et toucher les communautés de l’intérieur du pays qui, autrement, ne tirent aucun profit du tourisme de masse qui est pratiqué sur la côte. Il crée des emplois sur toute l’étendue de l’année, non pas uniquement pendant l’été, et, par conséquent, maintient en vie des communautés entières», écrit-elle.
Ce conseil est en étroite relation avec une recommandation que j’avais soumise aux Tunisiens durant les jours paisibles qui ont suivi la chute de l’ancien dictateur, en 2011: permettre l’accès des lignes aériennes à faible coût. A l’époque, on m’avait répondu que la compagnie nationale Tunisair avait besoin d’un certain temps pour être restructurée et faire face à une nouvelle concurrence, avant que des compagnies comme easyJet et Ryanair puissent être invitées. Or, une des raisons qui explique pourquoi un pays comme le Maroc a pu s’en sortir réside dans le fait que ce dernier ait fait le choix d’une politique des ‘‘open skies’’ éclairée, ouvrant le ciel marocain à toutes les compagnies souhaitant le faire. Bien sûr, certains des passagers sont des personnes dont le budget est restreint, mais nombreux sont les voyageurs haut-de-gamme que j’ai eu l’occasion de rencontrer sur des vols low-cost à destination de Marrakech. En débarquant en Afrique du nord, ces voyageurs dépensent tout l’argent qu’elles ont économisé sur le prix du billet, et bien plus que cela. Et c’est ainsi que cette opération devient profitable pour le pays hôte.
Texte traduit de l’anglais par Marwan Chahla
Source: »The Independant ».
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