Nidaa Tounes, dont les divisions ne peuvent plus être cachées, est puni par où il a péché : formation improvisée, volonté de ratisser large et pauvreté programmatique.
Par Moncef Dhambri
Une simple «visite privée» de Hafedh Caïd Essebsi en Turquie – et sa rencontre politiquement et protocolairement «inexplicable» avec le président Recep Tayyip Erdogan – a mis mal à l’aise Nidaa Tounes. Bottant en touche, la direction du parti répond que le fils de BCE a «le droit» de faire les déplacements qu’il souhaite. Serait-ce vraiment tout?
L’on s’étonne, depuis de nombreux mois, voire plus, que Nidaa Tounes puisse ainsi «laver son linge sale» sur la place publique, comme il l’a fait en de nombreuses occasions. L’on s’offusque qu’en une si courte carrière d’un peu plus de 3 années le parti de Béji Caïd Essebsi soit, à tout instant, sur le point de voler en éclats.
A l’intérieur du parti, on parle très souvent de désaccords et de départs. A l’extérieur, les appels du pied et les invitations se répètent pour que les insoumis ou les réfractaires «nidaaïstes» prennent le maquis et rejoignent tel ou tel mouvement…
La tente de tous les «non» au projet islamiste
Tout simplement, l’on oublie que la tente «nidaaïste» a abrité, sans faire beaucoup attention aux détails, la masse vaste et variée de celles et ceux qui ne voulaient plus des islamistes nahdhaouis au pouvoir. Le simple rejet qu’inspiraient la démarche insidieuse d’Ennahdha, sa sournoiserie et son complot de radicalisation islamiste d’une Tunisie majoritairement et traditionnellement modérée ne pouvait à lui seul constituer un projet politique – et encore moins une alternative économique, sociale et culturelle sérieuse et solide.
Nidaa Tounes, en somme, est puni par où il a péché, c’est-à-dire, en raison de sa formation improvisée, de sa volonté démesurée de ratisser très large, sa pauvreté programmatique ou l’inexistence de fondement doctrinaire, son attachement excessif à la personne de son père fondateur, M. Caïd Essebsi (BCE), et les ambitions légitimes et illégitimes des lieutenants de ce dernier. Autant de tares, donc, qui ne pouvaient qu’éclater au grand jour – hier, comme aujourd’hui, autant que demain…
Il importe peu de savoir si l’implosion du parti de BCE allait avoir lieu sur un court, moyen ou long terme… Pour l’essentiel, elle était inévitable.
Très vite – trop vite – installé aux commandes des affaires du pays, Nidaa Tounes, qui n’avait au départ que des équilibres approximatifs, a démontré que ses références politiques ne représentaient qu’une «corde de sable». Depuis le jour où, fin 2011, les clés du pouvoir ont été remises à Ennahdha et ses associés d’Ettakatol et du CpR, BCE et les autres fondateurs du Nidaa n’ont fait qu’imaginer des dénominateurs communs, très vagues et minimalistes, pour trouver un terrain d’entente qui pouvait contenter tous les déçus du 23 octobre 2011.
En juin 2012, lorsque Nidaa Tounes a été créé, on trouvait dans cette formation politique, qui s’est construite autour d’idées simples, voire réductrices, telles que «servir de contrepoids crédible à la Troïka» et «équilibrer le paysage politique tunisien», à peu près tout et tous. La «coalition arc-en-ciel» nidaaïste comprenait toutes les tendances et toutes les sensibilités politiques possibles, imaginables et inimaginables. Pour y être, il suffisait de dire «non» à Ennahdha et à son projet d’islamisation de la Tunisie et de dénoncer les incompétences de la Troïka.
Bien évidemment, pareille démarche fourre-tout, où il s’agissait tout simplement de rassembler tous ceux qui se sont portés volontaires pour «mettre le bâton dans les roues» des Troïka 1 et 2, ne pouvait servir de socle partisan solide, ni tenir une longue route. Un parti politique, une véritable formation politique, se construit sur une assise doctrinaire bien plus forte que des impressions, des sentiments ou le malaise et l’aversion que suscitaient les Rached Ghannouchi, Hamadi Jebali, Ali Larayedh, Moncef Marzouki et autres Mustapha Ben Jaâfar…
Hafedh Caïd Essebsi, l’électron libre qui n’en fait qu’à sa tête (ici reçu par le président turc Erdogan à Ankara).
Fumeuse «unité dans la diversité»
Le rejet d’Ennahdha par une bonne partie de l’opinion publique a poussé les «islamo-démocrates» vers la porte de sortie et ouvert au parti de BCE la voie de la prise des pouvoirs législatif et exécutif. Le navire nidaaïste a traversé sans trop d’encombres les eaux tumultueuses des législatives du 26 octobre dernier. Le cafouillage qu’a suscité la composition de certaines listes nidaaïstes candidates au scrutin législatif d’octobre 2014 a pu faire craindre le pire, mais, d’une manière générale, l’orage est vite passé et le vice de forme originel du Nidaa a été escamoté pour célébrer le score très honorable de 86 sièges dans la première Assemblée des représentants du peuple (ARP) de la deuxième République de Tunisie.
On pouvait continuer de croire, au lendemain des élections d’octobre et novembre derniers, qu’il existait une matrice idéologique nidaaïste autrement que cette instinctive détestation d’Ennahdha et des Nahdhaouis qui unissait pêle-mêle les modernistes, progressistes, destouriens, syndicalistes et autres oppositions de la société civile. On pouvait, pour un temps également, balayer sous le tapis les anachronismes, inadéquations, anomalies et autres malformations du Nidaa, pour passer très vite à la page suivante – en attendant le congrès du parti qui, hypothétiquement, devrait se tenir l’hiver prochain.
D’ici ce rendez-vous décisif, le parti de BCE va devoir se contenter de ce vœu pieux que Nidaa Tounes reste une formation politique construite autour de l’idée vague et fumeuse de «l’unité dans la diversité», une formule politicienne qui, très souvent, cache mal l’inexistence d’une véritable ligne idéologique directrice.
Certes, malgré les approximations de ses principes et son flou, Nidaa Tounes a réussi à contrebalancer la force et la popularité d’Ennahdha, mais ces faiblesses ont donné lieu, en de nombreuses occasions, à des tiraillements dans les rangs nidaaïstes, et ils continueront de le faire.
Ces déchirements s’affirmeront chaque jour encore plus, pour plusieurs raisons et sur bon nombre de questions, notamment celle de la «succession», car tous les Taïeb Baccouche, Mohsen Marzouk, Lazhar Akremi, Mondher Belhaj Ali, Hafedh Caïd Essebsi, Khemaïs Ksila et Abdelaziz Kotti – pour ne nommer que quelques uns des dirigeants nidaaïstes les plus en vue – ont tous des chances, des compétences et, en tout cas, des prétentions plus ou moins égales. Sans oublier, non plus, que l’élément destourien de Nidaa Tounes – terme toujours difficilement définissable – aura, lui également, son mot à dire et qu’il n’hésitera pas à se faire entendre…
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