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Réconciliation économique ou amnistie des malfaiteurs?

Evasion-fiscale

Si la Tunisie commençait par appliquer les lois sur les défaillants vis-à-vis de l’Etat, ses finances publiques afficheraient une bien meilleure santé.

Par Mohamed Chawki Abid*

«L’amnistie est l’expédient des gouvernements faibles.» (Hervé Bazin).

«Amnistie : acte par lequel les souverains pardonnent le plus souvent les injustices qu’ils ont commises.» (Pierre Véron).

A ces deux fameuses citations, je rajouterais deux commentaires significatifs :

– Nul n’est censé ignorer la loi, sauf les privilégiés, qui ont droit à la prescription, au sursis et à l’amnistie.

– L’amnistie est un élégant moyen pour le pouvoir d’innocenter ses partenaires et d’incriminer ses adversaires.

Un ballon de diversion

Le ballon de diversion lancé par le palais de Carthage a bousculé les plans d’urgence initiés par le gouvernement et entravé les chantiers réglementaires prioritaires planifiés par l’Assemblée des représentants du peuple (ARP).

En outre, il a suscité un débat déplaisant entaché de subjectivité et de précarité, aussi bien sur les médias que sur les réseaux sociaux. Certains sages pensent que ce projet est malvenu et risque d’introduire la société tunisienne dans une impasse similaire à celle de l’automne 2013.

Sur le plan économique, certains supporters sont allés jusqu’à mijoter subtilement une «démagogie spectaculaire» basée sur la lecture terrifiante d’un «diagnostic de crise» pour motiver triomphalement le CHOIX INCONTOURNABLE du projet de loi proposé par le président de la république Béji Caïd Essebsi (BCE), ou mettre le Tunisien devant le FAIT ACCOMPLI, sans toutefois pendre la peine d’élaborer une simple étude d’opportunité ni même un plan d’actions pragmatique.

J’aurais souhaité que ces éminents experts s’activent à argumenter leur dossier par une étude d’impact sérieuse de l’amnistie économique et du déversement du flux d’argent récupéré, sur, à la fois, les fondamentaux de l’économie nationale, les indicateurs des finances publiques ainsi que les attentes populaires pour les doléances sociales.

Ceci me renvoie aux annonces utopiques émises par les leaders de Nidaa Tounes lors de la campagne électorale, et je n’oublierai jamais la promesse de «tsunami d’argent émirati», promesse dont nous attendions depuis 10 mois un début de concrétisation.

D’autres solutions existent

Je demeure convaincu que des solutions financières existent et pourraient être concrétisées si l’on parvenait à chiffrer les enjeux de toutes les formes de malversation ayant frappé la Tunisie, dont je me limite à citer quelques indicateurs auxquels se rapprochent plusieurs estimations effectuées par divers organismes:

1) le volume annuel de la fraude fiscale est estimé à 10 milliards TND;

2) l’encours des crédits carbonisés auprès du système bancaire avoisine les 13 milliards TND;

3) le cumul des avoirs en devises évadés à l’étranger est évalué à 40 milliards TND.

Alors, pourquoi le gouvernement règne-t-il sans gouverner?

S’il commençait par appliquer les lois en vigueur sur les défaillants vis-à-vis de l’Etat (évasion fiscale, fraude douanière, mise en difficulté frauduleuse, infraction à la réglementation de change, corruption…), les finances publiques afficheraient une meilleure santé et les équilibres extérieurs connaîtraient une meilleure situation.

Sur le plan juridique, il est important de souligner que, dans son article premier, le projet de loi propose de gommer les malversations du passé sans garantir la non-récidive dans l’avenir. Ainsi, le citoyen honnête et respectueux de l’Etat se trouve toujours lésé vis-à-vis de son compatriote défaillant qui se fait systématiquement amnistier.

L’histoire révèle que le pays a fait l’objet de moult amnisties de toutes sortes, auxquelles n’ont profité que les contrevenants et les bandits hors-la-loi, le citoyen discipliné s’étant trouvé déloyalement sanctionné et l’Etat n’ayant ramassé que des miettes.

C’est malheureusement une rémanence déplaisante en Tunisie, et tant que cela ne change réellement pas, aucun développement durable n’est plausible et le risque de retournement de manivelle est possible.

Alors, pourquoi le gouvernement règne-t-il sans gouverner?

S’il s’engageait à réformer les appareils de d’Etat, l’Autorité et le Prestige de l’Etat seraient recouvrés.

Il va falloir donc commencer par les préalables, notamment l’entreprise des réformes requises: administrative, judiciaire, fiscale, douanière, réglementation de change, et autres, avant d’identifier une initiative de réconciliation efficace.

Aussi, ne serait-il pas rationnel du surseoir au projet jusqu’à bien garantir ses préalables?

* Ingénieur économiste.

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