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Intervention russe en Syrie ou le retour de la realpolitik

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Grâce au soutien militaire russe, les forces gouvernementales syriennes ont repris leurs offensives. Et Poutine est en train d’imposer son leadership dans la région.

Par Roland Lombardi*

Pour la 1ère fois depuis le début du chaos en Syrie et en Irak, Daech et d’Al-Qaida sont réellement inquiets. Et Poutine est considéré par les Arabes comme un soutien sérieux, fort et fidèle. Comment est-on arrivé là ?

La stratégie russe

Rappelons une nouvelle fois que la stratégie de la Russie en Syrie a le mérite de la cohérence et de la clarté : soutien inconditionnel à Bachar El-Assad, lutte contre Daech et tous les autres mouvements islamistes. Vladimir Poutine soutient El-Assad car, mieux informé et surtout plus réaliste que les dirigeants occidentaux, il sait pertinemment qu’il n’y a pas d’autre alternative valable au «boucher de Damas». Aucune ! C’est peut-être déplaisant mais c’est malheureusement la seule et unique réalité.

En effet, depuis presque 5 ans, aucun «commandant Massoud syrien» n’a émergé de l’Armée syrienne libre (ASL) et, depuis le début de la guerre civile, aucun ministre ou général du régime n’a été sérieusement pressenti pour se substituer d’une manière ou d’une autre à Bachar et son clan. De plus, contrairement à ce que les médias occidentaux affirment, au-delà de toutes les minorités religieuses et ethniques qui composent la Syrie, El-Assad est aussi et encore soutenu par au moins la moitié de la population syrienne (même sunnite). Mais par-dessus tout, le maître du Kremlin ne veut absolument pas d’une victoire des islamistes à Damas. Les conséquences et les répercutions seraient catastrophiques dans le nord du Caucase, sur les frontières orientales de la Russie et dans les anciennes républiques soviétiques d’Asie centrale. Si Assad venait à tomber, les 2.000 jihadistes russes (surtout venant du Caucase), partis en Syrie combattre le régime alaouite, pourraient revenir en Russie et commettent des actes terroristes ou tout simplement déstabiliser les régions musulmanes de la Communauté des Etats indépendants (CEI). C’est dans cette même optique que la Russie (comme l’Iran d’ailleurs) apporte son aide au gouvernement afghan dans sa lutte contre les talibans.

Pour la première fois donc, depuis l’intervention soviétique en Afghanistan de 1979 à 1989, l’armée russe intervient directement au Moyen-Orient. Poutine a placé minutieusement ses pièces. Des navires, des avions de combat, des drones et près de 3.000 soldats d’élite (Spetsnaz, parachutistes, troupes de marine de «la Mort Noire», conseillers et anciens officiers de la guerre victorieuse de Tchétchénie…) sont déjà positionnés. Et depuis le 30 septembre, les avions de combat et les missiles de Moscou bombardent des cibles de Daech mais aussi d’autres groupes islamistes qui s’opposent au régime d’El-Assad.

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Les djihadistes tchétchènes en Syrie inquiètent Poutine.

Mieux, pour les Russes, il n’y a pas d’opposants armés «modérés» et tous les groupes rebelles sur le terrain sont «des groupes terroristes». D’ailleurs, ils n’ont pas tout à fait tort puisqu’il n’y a plus que quelques idéologues pour croire encore à l’existence de rebelles «laïcs et démocrates»… Il ne serait donc pas étonnant que l’ASL (ou ce qu’il en reste) soit aussi ciblée. Le sénateur américain John Mc Cain avait sûrement raison. Toutefois, les Russes ne se gêneront absolument pas pour bombarder tous les groupes opposés à El-Assad, tous, sans exception, même ceux entraînés et armés par la CIA !

Politique «du fait accompli» et risques calculés

Certes, la France, la Turquie et l’Arabie saoudite poussent des cris d’orfraie. Ankara a même vivement protesté auprès de l’Otan des violations de son espace aérien par des appareils russes. Mais cela ne compte pas. Poutine est un calculateur froid, un fin joueur d’échecs et il a toujours plusieurs coups d’avance. Il est loin d’être un «chien fou» et sait très bien ce qu’il fait. Même lorsqu’il utilise la politique «du fait accompli», les risques sont toujours très bien calculés.

Sur le plan diplomatique d’abord. Dans sa résolution pour une grande coalition en Syrie contre Daech, présentée lors de son discours à l’Onu, le président russe bénéficie du soutien de l’Iran bien sûr, mais aussi de toutes les nations importantes de la région comme la Jordanie, l’Irak et, surtout, il faut le souligner, l’Egypte.

De plus, les diplomates russes ont été les plus actifs sur ce dossier et ils ont consulté, au préalable de leur intervention, les Israéliens et même les Saoudiens et les Turcs (pourtant farouchement anti-El-Assad). Au Conseil de sécurité de l’Onu, la Chine est depuis le début derrière Moscou (des bâtiments chinois seraient aussi sur zone…). Quant aux Européens, les gouvernements britannique et allemand se sont déjà ralliés sur la position russe à l’égard de Damas. Rappelons aussi que les services de renseignements italiens et espagnols ont déjà, depuis bien longtemps, repris langue avec le régime syrien…

Finalement, dans cette affaire, seul compte pour les Russes l’avis de l’Iran, d’Israël et bien sûr des Etats-Unis. On connaît la position et l’implication de l’Iran. Concernant Israël, on a dit et écrit beaucoup de bêtises sur le rôle de l’Etat hébreu dans la crise syrienne. Mais en réalité, les Israéliens, dont le Premier ministre a été reçu à Moscou le 21 septembre, apprécient, de manière certes discrète mais bien réelle, qu’une puissance intervienne enfin sérieusement dans le dossier syrien. Quant aux Etats-Unis, le lundi 28 septembre à l’Onu, son président, Barack Obama, bien que réservé sur le sort du «tyran» de Damas qui «massacre des enfants innocents», avait tout de même déclaré, dans un sursaut de réalisme géopolitique, qu’il était prêt, afin de trouver une issue à la guerre en Syrie, à travailler avec la Russie et l’Iran qui sont pourtant les soutiens indéfectibles du régime de Bachar El-Assad.

Certes depuis le débuts des frappes russes, les Américains se disent inquiets et émettent eux aussi des protestations officielles et grandiloquentes au sujet de l’ampleur de l’offensive russe en Syrie. Mais en coulisse, l’administration Obama n’est sûrement pas mécontente de cette intervention dans le guêpier syrien… en espérant peut-être aussi son échec secrètement…

Quoi qu’il en soit, n’oublions pas qu’aux Etats-Unis, l’efficacité des bombardements est largement discutée et que la stratégie américaine est le sujet de vifs débats politiques. Enfin, le soutien de Washington à des groupes islamistes ou clairement se revendiquant d’Al-Qaida passe très mal dans l’opinion publique américaine…

De plus, les Etats-Unis n’ont combattu Daech que très frileusement jusqu’ici. Ils sont paralysés par la crainte des bavures et des éventuels dégâts collatéraux comme dernièrement en Afghanistan sur l’hôpital de Kunduz. Mais plus que tout, c’est le spectre de l’intervention désastreuse en Irak de 2003 qui plane encore…

Par ailleurs, certains responsables militaires américains en reviennent de leur soutien à la «rébellion» syrienne. Le Pentagone et la CIA avaient prévu d’organiser, de former et d’armer une unité de 5.000 rebelles «modérés». Ils n’ont pu en recruter qu’une centaine qui, pour une part, se sont fait tuer, et pour l’autre, sont passés avec armes et bagages chez les djihadistes ! Signe des temps et alors que les Russes intensifient leurs frappes en Syrie, les Américains viennent de décider la réduction leurs aides financières à la «rébellion»

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Des Syriens manifestent, devant l’ambassade de Russie à Damas, leur soutien à l’intervention russe en Syrie.

Par contre, l’armée russe, elle, ne va pas faire dans la dentelle et n’ira pas de main morte. Les «dommages collatéraux» seront eux, fort possibles… Aussi, l’espace aérien syrien étant désormais très encombré, le risque de collisions entre appareils russes et de la coalition américaine reste élevé.

C’est pourquoi, pour éviter les incidents mais aussi afin de mettre en place une certaine coordination et entretenir le dialogue, des officiers russes rencontrent de plus en plus régulièrement des officiers américains mais aussi israéliens…

Colère de la Turquie et de l’Arabie saoudite

Depuis presque 5 ans et le début des «printemps arabes», la stratégie de l’Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie (soutien aux Frères musulmans et aux groupes islamistes) a échoué partout, en Tunisie, en Libye, en Egypte… En Syrie, Riyad, Doha et Ankara, adeptes du double-jeu, appuient (certes indirectement) encore Al-Qaida, Al-Nosra et d’autres mouvements islamistes ainsi que l’ASL qui n’est plus que l’ombre d’elle-même. A terme, avec l’armée russe qui entre à présent dans la danse, leur échec sera consommé et ils n’auront plus qu’à suivre l’évolution de la position des Etats-Unis vis-à-vis de la stratégie de la Russie décrite plus haut. D’autant plus que le royaume saoudien est à présent fort occupé au Yémen et que la Turquie (qui bombarde d’ailleurs les Kurdes en Irak !) connaît de graves troubles internes…

Positions surréalistes de la France

Mais alors qu’en est-il de la France? Le spectacle est pour le moins sidérant. Malgré une certaine évolution(1) après les incohérences, les atermoiements et les cafouillages, il est triste de voir que la France n’a plus d’interlocuteur valable en Syrie, qu’elle n’est plus écoutée dans la région et qu’elle se retrouve totalement isolée et hors-jeu ! Elle n’est même plus consultée! La position radicale dans le discours du président français à l’Onu, sur le «bourreau» El-Assad qui «est à l’origine du problème et qui ne peut faire partie de la solution», n’a fait que marginaliser un peu plus la France.

Les dernières frappes aériennes françaises en Syrie, justifiées par le «droit de légitime de défense préventive», ont eu lieu juste avant les grands discours des chefs d’Etats aux Nations Unies. Il fallait bien sûr marquer le coup. Les secondes frappes françaises en Syrie, et plus précisément à Rakka, ont eu lieu dans la nuit du 8 au 9 octobre. Toujours très symboliques, espérons cependant qu’elles auront au moins le mérite d’éliminer purement et simplement un certain nombre de djihadistes français qui auraient pu revenir un jour ou l’autre sur le territoire français…

La position surréaliste de la France à propos du régime de Damas est le résultat direct de sa diplomatie économique (alignement sur la politique néfaste et désastreuse de ses riches clients du Golfe) et de l’émotionnel (bien qu’à géométrie variable…). Elle est aussi et surtout le fruit d’analyses totalement fausses dès le début de la crise. Christian Chesnot et Georges Malbrunot évoquent très bien toutes ces graves erreurs dans leur livre, ‘‘Les Chemins de Damas’’, paru en 2014.

Les dirigeants français sont restés sourds aux avertissements de nos militaires, de nos services de renseignements ou, surtout, des vrais spécialistes de la Syrie comme l’ancien responsable de la DGSE, Alain Chouet, ou le géographe, Fabrice Balanche. J’avais moins même prédit qu’Assad ne tomberait pas aussi facilement que certains l’affirmaient(2). Même les anciens ministres des Affaires étrangères et expérimentés comme Jean-Pierre Chevènement et Hubert Védrine, qui dénonçait l’Irrealpolitik des gouvernements français, ne furent jamais entendus. Au lieu de cela, les responsables français ont préféré se fier aux conseils angéliques de deux ou trois politologues et orientalistes, considérés (à tort) comme les plus grands spécialistes français du monde arabe.

Ce sont pourtant ces mêmes idéologues qui affirmaient, depuis le début, qu’El-Assad tomberait en quelques semaines, que les Russes et les Iraniens lâcheraient le régime, et qui soutiennent encore mordicus (frisant le ridicule) qu’une opposition laïque et démocratique existe encore ! Il y a encore quelques semaines, «ce petit milieu du Damas-sur-Seine», comme l’appelle Alain Chouet, avait encore le culot de déclarer que «bombarder Daech n’était pas la solution, qu’il fallait plutôt bombarder Assad» et, comble de l’absurde, qu’il fallait mieux «miser sur les islamistes modérés» !

Le problème pour la sécurité des Français, les intérêts et l’image de la France, c’est que ces doux rêveurs sont toujours là et qu’ils parlent encore aux oreilles de nos ministres et de nos diplomates…

Pour faire changer d’avis le président français et le Premier ministre sur la Syrie, il faudrait peut-être que Bachar El-Assad se décide à acheter une vingtaine de Rafale… qui sait ?

Plus sérieusement, il n’y a jamais eu et il n’y a toujours pas d’alternative sérieuse au président syrien. Que cela nous plaise ou non, il faut compter avec lui. Face aux risques grandissants que représentent le terrorisme et l’afflux massif et sans précédent des réfugiés, certains leaders européens l’ont déjà intégré. Nos dirigeants, eux, ne l’ont toujours pas compris et préfèrent persévérer dans un aveuglement idéologique.

Enfin, déclarer que «Bachar El Assad ne peut être la solution en Syrie» est une preuve de plus de la méconnaissance de l’histoire et des réalités de la région. Car après les accords de Taëf d’octobre 1989, ceux qui se sont entretués et massacrés au Liban pendant dix ans, ont finalement réussi à déposer les armes et à se réconcilier…

En attendant, Paris et le Quai d’Orsay, nous l’avons vu ces derniers jours et afin de dissuader leurs «partenaires» d’accepter les arguments de Moscou, se sont lancés dans un véritable travail de sape diplomatique et médiatique de la stratégie russe en Syrie ainsi que dans une campagne internationale, irréaliste et totalement dépassée, de «Assad Bashing» : rapport «César», enquête pénale pour «crimes de guerre» ouverte par le parquet de Paris contre Assad…

Risque d’embrasement ?

De fait, à chaque fois que les Américains reculent avec faiblesse sur un dossier, les Russes avancent avec force. On l’a vu hier en Crimée, en Ukraine, en Egypte et aujourd’hui en Syrie.

Pour l’instant, tant que les Russes parlent aux Américains, aux Iraniens et aux Israéliens, il n’y aura pas d’embrasement dans la région. Poutine ne déclenchera pas une Troisième guerre mondiale pour la Syrie. Obama, le prix Nobel de la Paix en 2009 et dont le mandat touche à sa fin, non plus. Ce sera difficile mais je pense au contraire que les Russes et les Américains finiront, tant bien que mal, par s’entendre sur les dossiers syrien et irakien. Ainsi, l’entrée en action de l’armée russe en Syrie a paradoxalement poussé les diplomates et les militaires russes et américains à dialoguer, échanger et se coordonner comme jamais ils l’ont fait auparavant…

Pour conclure, les Américains, même passifs, timorés et en période pré-électorale, ont toutefois pris conscience que les solutions au Moyen-Orient viendront des pays les plus déterminés comme la Russie et l’Iran. Pour la première fois depuis le début du chaos en Syrie et en Irak, les terroristes de Daech et d’Al-Qaida sont réellement inquiets. Vladimir Poutine est considéré à présent comme un sauveur pour les chrétiens d’Orient et les Kurdes. Pour tous les Arabes, qu’ils soient ses alliés ou ses adversaires, le président russe se présente comme un soutien sérieux, fort et fidèle. Trois qualités particulièrement respectées et très appréciées en Orient… Dans tous les cas, c’est lui qui a repris l’initiative et le leadership dans la région. Et depuis quelques jours, grâce au soutien russe, les forces gouvernementales syriennes, aidées du Hezbollah libanais et des troupes spéciales iraniennes, ont repris leurs offensives…

Bien sûr, nul ne peut encore prédire si l’intervention russe en Syrie sera à terme un échec ou une réussite. Mais par contre, ce qui est certain, c’est que les gesticulations de la diplomatie française ne serviront à rien. Le président français fera finalement ce que lui dira de faire le président américain. Et pour la France, ce sera un nouveau fiasco diplomatique ridicule (un de plus !)… comme en août 2013 !

* Consultant indépendant, associé au groupe d’analyse de JFC Conseil.

Notes :
1 – Le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabuis, a déclaré, il y a quelques jours à Tanger dans une réunion du 5+5 : «La France est convaincue que tant que le président syrien, Bachar El-Assad, est à la responsabilité il sera impossible d’obtenir l’unité nécessaire en Syrie à cause des crimes qu’il a commis», notant l’impératif d’avoir un gouvernement de l’union nationale composé de certains éléments du régime, y compris des cadres de l’armée, et des membres de l’opposition «non terroriste», afin «de pouvoir travailler de concert avec l’armée syrienne pour se retourner contre Daech et les groupes terroristes».
2 – ‘‘Econostrum’’.

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