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Doit-on maudire la révolution tunisienne ?

Revolution-5-ans-apres

Cinq ans après, la «révolution du jasmin» et le «printemps arabe» nous valent stress, misères et angoisses. Et si peu d’espoir.

Par Anouar El Fani*

En ces temps incertains, mornes, lourds de menaces et de périls pour notre pays, où tout peut basculer dans l’absurde et l’irrationnel, où la guerre civile n’est pas qu’une pure vue de l’esprit, qu’un simple fantasme ou spectre à conjurer, que d’énormes points d’interrogation!

Je dois battre ma coulpe et convenir que je me faisais une idée exagérément positive de mes compatriotes. Et, à en croire les échos et les commentaires que je lis et entends ici et là, je suis loin d’être le seul dans ce cas. Nous sommes certainement très nombreux à avoir un peu trop présumé des capacités et des aptitudes de notre peuple, à lui avoir prêté des qualités et des atouts dont il était, en réalité, manifestement dépourvu.

Le barbare s’est réveillé en nous

Ainsi, on croyait naïvement et dur comme fer que la république laïque et progressiste, instaurée par Bourguiba après l’indépendance, était devenue au fil des décennies une forteresse imprenable, que ses multiples conquêtes faisant table rase d’un passé peu ragoûtant, donc détestable, étaient irréversibles.

Le tribalisme, les luttes claniques d’un autre âge, les tendances centrifuges et particularistes, le régionalisme, le sectarisme confessionnel, autant de tares qu’on supposait, sinon définitivement éradiquées, du moins sublimées par le mouvement national ou enterrées et relevant davantage du fantasme que de la réalité concrète. Elles n’étaient, pensait-on, qu’un des aspects hérités des siècles obscurs de la décadence, que misérables résidus d’une société attardée en voie d’extinction, en somme qu’un mauvais souvenir lié à la présence coloniale.

Hélas ! Il a bien fallu déchanter peu de temps après notre «révolution» (du 14 janvier 2011), car le barbare, anarchiste, rebelle, sournois et destructeur, qui sommeillait quelque part en nous, s’est soudain réveillé pour révéler au grand jour son visage le plus hideux. Et pour beaucoup d’entre nous, notamment une certaine élite politique imbue des idées universalistes des Lumières, le réveil a été brutal et douloureux.

Incertitude du présent, peur du lendemain

Un affreux spectre plane en effet au-dessus de nos têtes, il rôde déjà à nos frontières, chez le voisin libyen, semant la désolation et la mort. L’angoisse, la peur du lendemain, le stress s’installent et taraudent de plus en plus de compatriotes désemparés. A telle enseigne qu’il n’est même plus incongru de les entendre, sans cesse plus nombreux, maudire véhémentement le «Printemps arabe», responsable à leurs yeux de tous les maux, de tous les insidieux poisons qui minent aujourd’hui le monde arabo-musulman. Ou alors appeler de leurs vœux un despote éclairé et visionnaire comme sauveur, tel Bourguiba en son temps. «Tout sauf cet innommable bordel !» revient de plus en plus souvent comme un leitmotiv dans la plupart des conversations.

Je dois avouer qu’il m’arrive, face à l’actualité brûlante et tragique, de m’interroger et de me poser, sans la moindre mauvaise conscience, ces questions toutes simples : sommes-nous prêts et aptes à adopter et à assimiler la démocratie comme système de gouvernement des hommes? En sommes-nous vraiment dignes, compte tenu de nos lourds handicaps, de nos vieilles pesanteurs, de notre grand retard dans tous les domaines? L’islam est-il tout bonnement compatible avec la république, soluble dans la démocratie et la laïcité, et inversement?

Il va sans dire que la réponse à toutes ces interrogations essentielles est loin d’aller de soi…

Une certitude cependant : l’immense et fol espoir né d’un bien éphémère «printemps» a laissé place à une énorme désillusion. Notre avenir est pour moi un insondable et angoissant mystère.

* Fonctionnaire à la retraite et écrivain.

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