La loi tunisienne, qui criminalise les rapports homosexuels consentis entre adultes, est discriminatoire, a déclaré Human Rights Watch (HRW).
L’organisation ajoute, dans un communiqué publié mercredi, que cette loi ouvre la porte aux abus perpétrés par la police à l’encontre d’hommes homosexuels ou perçus comme tels.
Les autorités tunisiennes ont poursuivi au moins 7 hommes en justice pour des rapports sexuels entre personnes consentantes de même sexe dans deux affaires judiciaires importantes au cours des six derniers mois. Tous les hommes en question ont été condamnés en vertu de l’article 230 du code pénal, qui criminalise la «sodomie» avec des peines pouvant aller jusqu’à 3 ans de prison, rappelle HRW, qui a mené des entretiens avec 5 hommes ayant été condamnés. Tous ont affirmé que la police leur a fait subir des violations graves de leurs droits humains, y compris des passages à tabac, des examens anaux forcés de même que des humiliations répétées.
L’Etat doit enquêter sur les mauvais traitements
«Le gouvernement tunisien n’a pas à se mêler des comportements sexuels privés des gens en les brutalisant et en les humiliant sous le prétexte de faire respecter une loi discriminatoire», a déclaré Amna Guellali, directrice du bureau de Tunis de HRW. «La Tunisie devrait rayer de ses codes de telles lois archaïques, et les membres de la police qui ont maltraité ces hommes devraient être tenus pour responsables», a-t-elle ajouté.
Le gouvernement devrait prendre des mesures pour abroger l’article 230 du code pénal et émettre une directive enjoignant une cessation immédiate des examens anaux dans le cadre des procédures d’enquête entreprises par la police afin de déterminer le comportement sexuel d’une personne, a déclaré l’organisation de défense des droits humains. Le gouvernement devrait également enquêter sur les rapports faisant état de mauvais traitements, y compris en mettant en place un mécanisme de plainte confidentiel pouvant servir à tous les cas d’abus commis par les membres de la police.
En septembre 2015, à Sousse, ville située à 120 kilomètres de Tunis, la police a arrêté «Marwen», un étudiant de 22 ans dont le prénom a été changé pour sa protection. Le tribunal de première instance de Sousse l’a condamné à un an de prison pour sodomie, en partie sur la base du rapport médical relatif à un examen anal entaché de graves irrégularités.
Dans un autre cas documenté par HRW, la police a arrêté en décembre 6 étudiants dans la ville de Kairouan, à 166 kilomètres de Tunis, alors qu’ils étaient dans leur logement d’étudiants, pour des accusations de sodomie et leur a fait subir des examens anaux. Le 10 décembre, le tribunal de première instance de Kairouan les a condamnés à 3 ans de prison et a ordonné leur bannissement de Kairouan pour une période supplémentaire de 5 ans.
La cour d’appel de Sousse a réduit la peine dans les deux affaires – à 2 mois dans la première, et à un mois dans la seconde. Mais ces hommes conservent leurs condamnations sur leurs casiers judiciaires et ont déjà purgé une peine de prison.
Des examens anaux inutiles et traumatisants
Human Rights Watch a interviewé séparément 4 des 6 étudiants après leur remise en liberté provisoire dans l’attente de l’audience d’appel. Elle a également interviewé Marwen, qui a été remis en liberté après 2 mois. Elle a également interviewé leurs avocats, 3 militants d’associations concernées par les droits des minorités sexuelles de même qu’un médecin légiste familier avec l’emploi des examens anaux en Tunisie. L’organisation a, par ailleurs, analysé les documents judiciaires, les rapports d’enquête de la police de même que les rapports médico-légaux des examens anaux des cinq cas.
Depuis le moment de leur arrestation jusqu’à leur remise en liberté, ces jeune hommes ont décrit plusieurs abus commis par la police, y compris des remarques humiliantes et dégradantes à propos de leur homosexualité présumée, de même que des passages à tabac dans les commissariats et dans la prison.
Ils ont également décrit la manière dont les médecins légistes dans les hôpitaux publics les ont soumis à des examens anaux, avec l’objectif prétendu de trouver des «preuves» d’un comportement homosexuel.
Selon Physicians for Human Rights, les examens anaux n’ont aucune valeur médicale ou scientifique pour déterminer si un rapport sexuel anal entre personnes consentantes a eu lieu. En outre, ces examens représentent une forme de torture ou de traitement cruel, dégradant et inhumain, interdit par la Convention contre la torture, le PIDCP et la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples.
Les 5 hommes ont déclaré à HRW que les passages à tabac, les humiliations et les examens anaux les ont traumatisés et au moins quatre ont dit que leurs familles et communautés les avaient rejetés. «La douleur physique s’en va, mais la douleur psychologique et émotionnelle persiste», a déclaré l’un des étudiants en relatant ce qu’il a vécu.
Une ombre sur les avancées en matière de droits humains
Les poursuites pour des comportements sexuels privés entre des adultes consentants portent atteinte aux droits à la vie privée et à la non-discrimination garantis par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques auquel la Tunisie est signataire. Le Comité des Nations Unies pour les droits de l’homme, qui est chargé de surveiller le respect du Pacte, a clairement précisé à plusieurs reprises que l’orientation sexuelle est un statut protégé contre la discrimination en vertu de ces dispositions. Le Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire a statué que les arrestations pour relations sexuelles entre adultes consentants du même sexe sont, par définition, arbitraires.
Ces droits sont reflétés par la constitution tunisienne de 2014. L’article 24 oblige le gouvernement à protéger les droits à la vie privée et l’inviolabilité du domicile. L’article 21 stipule : «Les citoyens et les citoyennes, sont égaux en droits et devoirs. Ils sont égaux devant la loi sans discrimination aucune.» L’article 23 interdit «la torture morale et physique».
Les militants tunisiens qui ont publiquement condamné ces poursuites ont fait face à des tentatives de les réduire au silence. Le 4 janvier 2016, le tribunal de première instance de Tunis a notifié Shams, qui s’était enregistrée auprès du gouvernement en mai 2015 comme une organisation travaillant pour soutenir les minorités sexuelles et de genre, que le tribunal suspendrait ses activités pendant 30 jours. La suspension a fait suite à une plainte de la part du secrétaire général du gouvernement, qui, en décembre, a envoyé un avertissement au groupe, le notifiant de mettre fin aux violations présumées de la loi sur les associations après que le vice-président de Shams a publiquement condamné les poursuites pour relations sexuelles entre adultes consentants du même sexe. Le 23 février, le tribunal administratif a annulé la décision et levé la suspension.
«Le traitement abusif de ces hommes de la part des autorités tunisiennes, simplement parce qu’elles les suspectent d’homosexualité, jette une ombre sur les avancées en matière de droits humains accomplies par le pays depuis la révolution», a conclu Amna Guellali. «La police devrait arrêter de dépouiller des hommes de leur dignité à cause de leur orientation sexuelle.»
Source : communiqué.
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