Le Livre blanc relatif à la réforme du système éducatif ne règle pas les problèmes liés aux conditions de travail souvent de certains enseigant(e)s.
Par Abdallah Jamoussi *
Fruit d’un labeur de longue haleine, de contacts directs, de constats sur le terrain, de pression exercée dans tout sens, le ‘‘Livre blanc’’ né au paroxysme de la tempête, est supposé répondre aux attentes, selon son propre initiateur, le ministre de l’Education. Dès sa publication sur le web, «certains ont déjà effectué un tirage PDF du texte intégral : contenu dans plus de 160 pages», a indiqué celui qui m’a livré le paquet d’imprimés, en tas sans reliure, insinuant que c’est l’œuvre complète; alors, il est possible qu’on se soit contenté d’un travail semi-fini, du moins pour l’heure !
Si c’est le cas, qu’en est-il de la méthode ?
Au premier abord, on me fit savoir, qu’à première approche, l’ouvrage ne semble pas aussi révolutionnaire qu’on ne le pense et même d’y ajouter : «Train train quotidien à la même cadence!; ce qui veut dire que le volet culturel, sur lequel on a misé pour produire des transformations qualitatives, garde sa forme; tant au point de vue structurel que relationnel.»
Serait-on bloqué, au seuil idéologique, alors qu’on pensait avoir établi des passerelles à la démocratie ?
On a beau broder les nuées de rayons volés aux étoiles filantes, sauf que cela ne change en rien la grisaille du factuel.
Malheureusement, le rapport au cadre enseignant ne rend pas l’écho de la réforme.
Mon interlocutrice est doctorante en arts plastiques et pour de bonnes raisons, elle est bien informée sur les arcanes des modifications apportées à l’enseignement. Au terme d’un long cursus et des activités associatives diversifiées, elle a été envoyée, voici bientôt 6 ans, dans un village à plus de 300 kilomètres de chez-elle. Mère de deux enfants, elle devait réconcilier entre son devoir de mère de famille et d’enseignante à proximité de nos frontières avec l’Algérie; mais elle ne lâcha pas pour autant. Sa passion pour la peinture et la photo, son intérêt pour les nouvelles conceptions en matière de communication soutiennent ses efforts sous un joug titanesque.
C’est pour rendre hommage à toutes et à tous ceux, qui sont obligés de quitter leur domicile, à l’aube, pour effectuer des trajets sur l’étendue de trois gouvernorats en transport commun, que je prête ma plume, afin que l’on prenne conscience de la portée des peines qu’endurent les enseignantes et les enseignants nommés dans des établissements scolaires, à l’étendue d’un pays de chez-eux, pour des salaires de misère, dont les trois quarts se volatilisent entre frais de transport et d’hébergement de leurs enfants séquestrés dans des crèches ou dans les pensions de l’enseignement payant – sans parler de ce que comporte la navette entre plus de deux gouvernorats de déboires liés aux correspondances et en récurrence par des moyens de transport public vétustes et peu ponctuels. Le calvaire de la rareté de ces moyens conjuguée avec les pannes et les grèves ne pouvaient que se traduire en malaises ou maladies et, au meilleur des cas, en fâcheux retard, dont la responsabilité est hautement lourde.
Comment exceller dans la méthode, lorsque l’émetteur du savoir et, en même temps, le générateur du climat de confiance dans l’univers interactif plie sous la fatigue, l’incompréhension de l’autre et même sous la menace terroriste, dans ces zones du bout du monde, désaffectées de leurs élites ?
Séquence depuis l’amont ; grandeur nature humaine
«J’aurais dû céder à la tentation : trois à quatre fois mon salaire, une seule fois. Et on m’aurait, au moins, réduit de la moitié cette trajectoire astronomique.» L’ambiance s’égaie par un sourire, à l’idée qu’on pourrait en fin d’année soumettre le calcul des distances qu’elle avait parcourues, en années lumières, en prenant pour unité de mesure le quantum, par respect de l’exactitude, notion qui se perd, abruptement, dans les méandres, dès qu’il s’agit de politique.
Je me rappelle avoir entendu notre ministre de l’Education promettre, dès sa nomination à la tête de ce ministère, qu’il procéderait de facto au rapprochement de conjoints. Et depuis, il n’y avait pas eu de surprise – pour la progéniture du pélican de Musset, qui n’ont plus qu’à manger le cœur de leur mère, retournée bredouille d’une longue quête de nourriture pour sa couvée. La métaphore de cet oiseau qui s’éventre et offre son cœur de plein gré, privilégiant la conservation de sa race est éloquente.
– Mais, qu’est-ce que tout cela a à voir avec tes reproches aux directives énoncées dans ‘‘Le Livre blanc’’ ?
– Non, pas des reproches; des critiques. Je veux dire : une autre façon de voir.
– A propos de quoi, tu veux parler ?
– De paradigmes ! Vous voyez, c’est du fond qu’il s’agit : autrement dit, cela ne concerne pas mon cas personnel, lors même que je me constitue partie prenante, dans cette réforme: et au nom de tout enfant, injustement enclavé dans son mutisme, suite à son abandon par sa mère, partie à l’aube, pour rentrer une semaine plus tard, au milieu de la nuit. Combien sont les enfants qui ont des mamans théoriques. En pratique, je représente en tant que mère l’équivalent de la fraction du temps que je passe chez-moi : un quart de maman. Pour la partie manquante, on me disait, «on n’y peut rien et on fait passer d’autres», en exprimant le même cliché de désolation. Envahie par une vague de mélancolie, elle se tut. Elle réfléchit un moment, avant de lancer : «C’est inhérent ! Problème de conjoncture ; il faut l’avouer, c’est inhérent. Sauf que personne n’ose changer d’une façon subtile, cet ordre à l’envers. C’est là qu’il faut creuser, si l’on veut réellement déclencher un nouveau processus et changer de paradigme».
* Universitaire.
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