La Tunisie contracte des crédits pour payer d’autres crédits, plus chers et plus difficiles à obtenir. Elle migre ainsi d’une spirale d’endettement à celle du surendettement .
Par Mohamed Rebai *
Depuis janvier 2011 et jusqu’au 10 juin courant, la valeur dinar tunisien face à l’euro a chuté de 26,16% (2,4127 – 1,9124). Mais le désastre total est dans la grande débandade du dinar face au dollar américain. En effet, durant la même période, la dégringolade a été de 48,75% (2,1372 – 1,4368).
D’une spirale d’endettement à celle du surendettement
Faut-il savoir qu’une bonne partie des crédits contractés par la Tunisie à l’étranger sont payables en dollar. Il en est de même en ce qui concerne les hydrocarbures et les produits alimentaires, qui constituent 45% de nos importations. Imaginez l’hémorragie qui va suivre.
Ce que nous avons obtenu des bailleurs de fonds depuis la «révolution de la brouette», nous le payons aujourd’hui 60% plus cher, si on ajoute à ce glissement continu du dinar, le taux effectif global (TEG) calculé à partir des caractéristiques d’un prêt, qui incorpore tous les éléments relatifs au coût du prêt (taux d’intérêt, coût de l’assurance, frais de dossier, timbres fiscaux…). A ce rythme, nous atteindrons d’ici la fin de l’année 2016, le taux de 100%.
Dans cette perspective totalement nouvelle et incongrue, la Tunisie ne sera pas mieux lotie que le Zimbabwe. Ne parlons pas de l’Ethiopie, qui vivait il y a quelques années dans la faim et la malnutrition et qui devient aujourd’hui un pays émergent.
Il faut savoir aussi que la masse de la monnaie scripturale (crédits) favorisera énormément l’inflation et accélérera l’érosion du pouvoir d’achat des citoyens. Et puis tout cet argent n’a pas servi à relancer la machine de production. Il a été en grande partie affecté aux salaires d’une armada de fonctionnaires qui se roulent les pouces et entretiennent la corruption à tous les niveaux, à l’indemnisation des islamistes et des victimes de la révolution et du terrorisme.
Mais il n’y a pas que le côté négatif. Théoriquement, le glissement continu du dinar doit servir à booster les exportations qui deviennent plus abordables pour les clients étrangers. Mais, par un curieux paradoxe, la balance commerciale extérieure de la Tunisie (importations-exportations) est toujours déficitaire (12 millions de dinars en 2015). Dans la même année les exportations ont baissé de 2,8% malgré le bradage de nos produits. Ce ne fut qu’une fuite en avant qui a montré ses limites.
Voilà où nous en sommes, sans compter les autres agrégats économiques en chute libre.
Nous prenons des crédits pour payer d’autres crédits de plus en plus chers et difficiles à obtenir. Ainsi, nous migrons d’une spirale d’endettement à celle du surendettement. En 2016, la dette extérieure tunisienne atteindrait 67,5% du PIB contre 48% en 2011. C’est une démence absolue. Nous vivons dans la plus grande bulle de dettes depuis l’indépendance.
A titre de comparaison, la dette française s’établit en 2016 à 97,5% du PIB. Celles de la Grèce à 170%, de l’Italie à 135%, du Portugal à 130%, des Etats-Unis à 110% et du Japon à 230%.
L’ensemble de ces pays surendettés n’ont cependant pas de quoi s’inquiéter. Excepté la Grèce et le Portugal, qui vivent de la charité de l’Union européenne (UE), le reste des pays industrialisés dispose d’une grande machine de production capable de payer.
Par contre, les Tunisiens ne peuvent plus continuer à s’endetter parce qu’ils sont en train de dilapider leurs ressources minières (phosphate), d’acculer 3.500 entreprises à mettre la clé sous le paillasson et de ternir l’image du tourisme. Ils se retrouvent face à un cocktail inédit et explosif : dette élevée, croissance nulle, chômage persistant et appauvrissement de la population. La machine est vraiment grippée.
D’une économie de rattrapage à une économie de croissance
Difficile de s’en sortir sans réformes de tous les secteurs clés de l’économie tunisienne notamment la fiscalité, l’agriculture et le tourisme, sans sabrer drastiquement la contrebande et sans remettre les gens au travail.
Le passage d’une économie de rattrapage à une économie de la croissance par l’innovation, la productivité, la justice sociale, la maîtrise des déficits publics oblige à changer nos modes de pensée.
Nous avons parlé dès 2012 de l’annulation de la dette «odieuse», une jurisprudence en matière de droit international relative à une dette contractée par le sherpa d’un régime autoritaire et qui doit être remboursée lors de la transition démocratique. De nombreux pays du sud en ont profité. «Nous ne payons rien ! Nous exigeons réparation !», disent-ils. Après quelques années de procédure, ils ont obtenu gain de cause.
Nous avons également parlé d’un éventuel rééchelonnement de la dette publique extérieure ou de sa conversion en projets gagnants-gagnants. Mais les politiques ont d’autres chats à fouetter. Ils n’ont pas fini de se répartir les postes et les privilèges pour gouverner plus tard un pays en ruine.
Je pense qu’on va sauter une génération sans pouvoir métamorphoser le style de vie des Tunisiens âprement recherché par une nébuleuse politico-religieuse.
* Economiste.
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