Douze familles sont sommées de quitter la forteresse de la Karaka, à La Goulette, dans la banlieue nord de Tunis, avant d’être délogées par la force publique. Où iront-elles ?
Par Zohra Abid
C’est la question que se posent près de 40 personnes (adultes et enfants), depuis la visite nocturne, le 6 octobre courant, du gouverneur de Tunis Omar Mansour.
Ce dernier, qui était accompagné du chef du poste de la police, du maire et du délégué de la ville, a fait un tour des pièces occupées par des familles et qui ressemblent davantage à des cellules de bagnards (ce qu’elles étaient à l’origine) ou à des écuries qu’à des logements décents.
La décision vient d’en haut
«Le lendemain, le chef du poste de police est venu nous annoncer que la décision a été prise en haut niveau pour faire évacuer la Karaka dans les 10 jours. Où allons-nous ? Nous vivons dans ce lieu depuis toujours; nos enfants sont nés ici et nous sommes tous des chômeurs. Pour trouver de quoi manger, nous nous démenons avec des petits boulots ici et là», a expliqué à Kapitalis Mme Hasnaoui, qui aime se présenter comme la fille de feu Mohamed Hasnaoui (alias Loussif), ancien chauffeur du président Béji Caïd Essebsi, du temps où il était maire de la cité au lendemain de l’indépendance. «C’était à l’époque de Bourguiba qu’on nous a permis d’habiter ces lieux. Mais si on nous propose, aujourd’hui, une baraque n’importe où, on est prêt à partir tout de suite d’ici où nous ne disposons même pas des toilettes», a-t-elle ajouté, précisant qu’elle est la plus âgée de tous les squatteurs et qu’elle est prête à s’immoler par le feu (désormais une spécialité tunisienne) si on venait les faire évacuer par la force.
Comme des morts vivants
Le fils de Mme Hasnaoui, marié et père d’un enfant en bas âge, qui a déjà tenté, l’an dernier, de s’immoler par le feu devant la mairie de La Goulette, se dit prêt, lui aussi, à accomplir le même acte désespéré.
«Lorsque je me suis aspergé d’essence devant la mairie, tous les responsables sont venus me prier de ne pas allumer le briquet et m’ont promis de me trouver du travail. On est parti sur la base d’un accord. Ils m’ont autorisé à louer, pendant la saison estivale, des chaises et parasols aux baigneurs, comme je le faisais au temps d’Imed Trabelsi (ancien maire, aujourd’hui en prison, Ndlr) mais ils n’ont pas respecté leur parole. Car ils ont saisi mes équipements et les ont expédiés à la fourrière municipale», raconte-t-il, avant de rendre hommage au neveu de Leila Ben Ali et de regretter le temps où ce dernier était maire de La Goulette.
«Avant la révolution, ‘Si’ Imed a toujours pensé à nous en nous envoyant, en toutes occasions, toutes sortes d’aides. Aujourd’hui, on vit dans la précarité totale. On est des morts vivants», dit-il en nous faisant visiter les pièces d’une rare exiguïté où matelas et couvertures sont posés à même le sol. Certaines chambres ont des toits bas ne dépassant pas 1 mètre et demie, d’autres ont des toitures en zinc. L’humidité est très élevée, car on est en bord de mer. Et l’hiver on gèle.
La Karaka mérite bien un lifting
Dans la cour, qui accueillait auparavant les spectacles de feu Festival méditerranéen de la Goulette, offre le spectacle triste et désolant de gourbis, de linge tendu sur des cordes, de poubelles déversées et de vieilles portes et fenêtres abîmées et jetées à l’entrée de ce site historique, construit il y a un peu plus de 4 siècles sur l’emplacement d’une caserne, et qui a longtemps servi de bagne, avant d’être transformé en un espace d’animation culturelle.
Le problème presque insoluble pour les autorités locales est de trouver un compromis entre deux exigences irréconciliables: préserver ce site chargé d’histoire et trouver des logements décents pour les familles qui le squattent.
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