Si les dirigeants politiques veulent aider l’INS à consolider son indépendance, ils ne doivent pas chercher à entraver ses travaux et à s’ingérer dans ses activités.
Par Salah El-Gharbi
Selon les dernières publications de l’Institut national de la statistique (INS), le taux de la «pauvreté extrême par milieu de résidence» dans notre pays aurait reculé. En effet, ce taux qui était de 7,7% (moyenne nationale) en 2000 aurait connu une chute significative, pour atteindre les 2,9% en 2015. Selon ces mêmes sources, la «pauvreté en milieu non-communal» se trouverait divisé par deux pour la même période en passant de 15,2 à 6,6.
Statistiques, polémiques et postures
Au lieu de susciter la satisfaction générale, ces données statistiques, à priori objectives, émanant d’une prestigieuse institution et élaborées par des techniciens irréprochables, deviennent l’objet de polémiques. Aussitôt publiées, elles viennent alimenter les commentaires des politiques, susciter des postures, à droite comme à gauche.
Ainsi, Fadhel Ben Omrane, député Nidaa Tounes, a été le premier à s’emparer des résultats de cette enquête pour fustiger le travail de l’INS en l’accusant de «tromper le public» en présentant des «chiffres erronés». Se targuant de ses supposées connaissances en matière économique, il a remis en question la fiabilité des procédés de calcul utilisés par les statisticiens de cette institution qui n’a jamais été aussi indépendante que depuis que la «troïka», l’ancienne coalition gouvernementale conduite par le parti Ennahdha, a quitté le gouvernement en janvier 2014.
A gauche, et au nom du Front populaire (FP) , Mongi Rahoui, président de la commission de finances à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), fidèle en cela à sa posture populiste, s’est saisi – très opportunément – de la publication de ces données statistiques pour fustiger les responsables de l’INS, leur prêtant des intentions malveillantes, les accusant d’être à la solde du pouvoir en place, qui chercherait, selon lui, à maquiller les chiffres pour satisfaire aux exigences du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale (BM), les deux institutions bouc-émissaires de la gauche altermondialiste.
D’ailleurs, cette même attitude a été revendiquée par le Parti des patriotes démocrates unifié (PPDU, Watad), membre du FP, qui a contredit les chiffres de l’INS en insistant sur «l’augmentation des taux du chômage et de l’inflation, la dévaluation du dinar, la diminution du pouvoir d’achat».
L’ingérence politique par le dénigrement
Que des responsables politiques s’acharnent de la sorte sur une vieille institution comme l’INS, connue pour son sérieux et son rôle essentiel dans les orientations économiques du pays, cela donne une idée sur les qualités intellectuelles et morales de certains de nos hommes politiques, qui se complaisent dans les postures de dénigrement tout azimut, s’enferment dans les considérations impressionnistes et se méfient des chiffres, fussent-ils frappés du sceau de l’objectivité scientifique. Au lieu d’admettre la réalité socio-économique et de réfléchir aux moyens de l’améliorer, ils préfèrent se cacher derrière des ritournelles sur la conspiration des institutions internationales contre les «pays pauvres», comme si ces institutions n’ont pas mieux à faire que nous tendre des chausse-trappes pour nous empoisonner la vie. C’est pathétique et c’en est devenu vraiment fatiguant.
Qui manipule qui? En fustigeant le travail de l’INS, que fait-on sinon manipuler l’opinion qui a besoin d’instruments sûrs et de repères fiables qui l’éclairent sur l’état du pays dans tous les domaines? Si certains s’offusquent – et c’est le cas de le dire – de la diminution du taux de pauvreté en Tunisie depuis 2010, ce serait, on l’a compris, parce qu’ils craignent que ce résultat soit utilisé comme argument politique par leurs adversaires politiques.
Si l’on veut aider l’INS à consolider son indépendance, il est du devoir des dirigeants politiques de ne pas chercher à entraver ses travaux et à s’ingérer dans ses activités. Car il est de l’intérêt de tous que cette institution reste à l’abri des calculs politiciens et des polémiques partisanes.
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