‘‘Thala mon amour’’ est un film contre l’oubli des combats collectifs contre la dictature et un bel hommage aux femmes tunisiennes combattantes des régions intérieures.
Par Fawz Ben Ali
‘‘Thala mon amour’’, l’un des films tunisiens sélectionnés à la compétition officielle des longs-métrages de la 27e édition des Journées cinématographique de Carthage (JCC 2016), est sorti dans les salles le 11 janvier courant, une date qui ne semble pas être fortuite, puisque le film est construit sur fond des émeutes sanglantes survenues à la ville de Thala durant les 3 jours qui avaient précédé la révolution du 14 janvier 2011.
Après des courts-métrages en noir et blanc sur l’amour et l’exil, le jeune cinéaste Mehdi Hmili s’aventure dans la réalisation de son premier long métrage ‘‘Thala mon amour’’ où il choisit de rendre hommage à sa ville natale, mettant à l’affiche Fatma Ben Saïdane, Najla Ben Abdallah, Ghanem Zrelli, Moez Baatour …
Un film construit sur fond des émeutes sanglantes survenues à Thala en 2011.
Une approche plus lucide de la révolution
Le film a connu un grand succès auprès du public durant la semaine des JCC où il avait fait salle comble durant ses 3 projections, mais moins auprès du jury puisqu’il est parti bredouille côté prix. Il faut dire que la barre était placée assez haut cette année dans la sélection des films, surtout face à la perfection technique de ‘‘Clash’’, l’originalité de ‘‘Zaineb n’aime pas la neige’’ ou encore l’émotion débordante de ‘‘3000 nuits’’.
Bien que son histoire s’inscrive dans les nuits du 8, 9 et 10 janvier 2011, ‘‘Thala mon amour’’ s’avère bien plus qu’une retranscription des événements de la révolution. Avec le recul de ces six années passées, il apporte une nouvelle approche plus lucide et moins chimérique sur les enjeux de la révolution à travers l’histoire d’amour de deux jeunes originaires de la ville de Thala. S’éloignant de l’image classique du couple glamour, le film se monte novateur et gagne en justesse et en sincérité.
Fatma Ben Saïdane et Ghanem Zrelli.
Après 3 ans de prison pour son implication dans la révolte du bassin minier de Gafsa en 2008, Mohamed, incarné par Ghanem Zrelli, s’évade et arrive à Thala sous le feu des émeutes et les balles de la dictature. Ces «agitations» ne signifient rien pour lui car tout ce qui compte à ses yeux c’est retrouver sa bien-aimée et camarade de militantisme Houreya, jouée par Najla Ben Abdallah. Mais ce que Mohamed ignore, c’est que Houreya a fait table-rase de leur histoire. Elle s’est mariée et semble mener une vie tranquille. Mais on se rend vite compte que cette dernière n’a pas réellement changé. Froide avec son mari et lassée de son travail, cette vie monotone ne lui ressemble pas et semble même l’exaspérer.
Najla Ben Abdallah excellente dans le rôle de Houreya.
Au cœur du militantisme féminin
A travers le personnage de Houreya, le film fait un clin d’œil aux milliers de femmes qui travaillent dans les usines de textiles et pointe du doigt les conditions déplorables et l’exploitation dont elles sont victimes. Mais Houreya ne tardera pas à lancer un vrai mouvement de révolte au sein de l’usine; le reste des femmes n’hésiteront pas à la suivre et à poursuivre la rébellion jusque dans les rues pour faire face à une injustice encore plus monstrueuse, celle de la dictature de Ben Ali.
Une mention spéciale ici à Najla Ben Abdallah, qui, après son rôle de bourgeoise arrogante dans la série télévisée ‘‘Maktoub’’, s’est métamorphosée à 180 degrés pour sa première apparition au grand écran en entrant dans la peau d’une thaloise pure et dure et en s’appropriant avec une grâce naturelle l’accent de la région.
Fatma Ben Saïdane retrouve également dans ce film un rôle authentique qui lui ressemble et qui lui rend justice après les très décevants ‘‘Zizou’’ et ‘‘Woh’’. Mehdi Hmili lui offre ici un beau rôle, celui d’une mère rurale simple mais ô combien généreuse envers son pays. Avec ces deux personnages, on est au cœur du militantisme féminin sans prétention.
Mohamed, quant à lui, ne croit pas à cette révolution, «tout ce qui se passe est un mensonge !», n’arrêtera-t-il pas de dire. Pour cet ancien prisonnier politique, l’esprit de révolte est mort avec l’insurrection du bassin minier de 2008. Ses trois années de prison ont fait de lui un être lucide et sceptique face à ces événements qui, selon lui, n’aboutiront à rien. «Je sais ce que je veux, je ne veux plus mourir», lance-t-il. Une déclaration que le cinéaste a empruntée du héros du roman ‘‘Voyage au bout de la nuit’’ de Louis Ferdinand Céline. Tout comme Bardamu, Mohamed est un anti-héros qui porte une vision teintée de désespérance. D’ailleurs le film baigne dans l’obscurité, un choix esthétique que le cinéaste a dû faire pour accentuer la sensation d’angoisse et de détresse.
Mehdi Hmili avec son équipe aux JCC2016.
Un amour voué à la mort
Après un long chassé-croisé, les deux amoureux se retrouvent enfin lors d’une cérémonie funéraire d’un jeune martyr de la révolution, un contexte métaphorique qu’on pourrait assimiler à cet amour voué à la mort. Car cette bouleversante étreinte de ces deux corps n’est que le début de la fin de leur histoire, une fin qui annonce néanmoins la renaissance de Houreya.
Dans cette déclaration d’amour à sa ville natale Thala, Mehdi Hmili rend également un bel hommage à la femme tunisienne et particulièrement aux femmes combattantes des régions intérieures. Tout comme le célèbre ‘‘Hiroshima mon amour’’ de Marguerite Duras et Alain Renais, ‘‘Thala mon amour’’ se veut un film contre l’oubli, où le drame individuel se fond dans le drame collectif.
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