‘‘Clash’’ (‘‘Eshtebak’’ pour le titre arabe original), film d’auteur de l’Egyptien Mohamed Dhiab, vient de sortir sur les écrans tunisiens précédé d’une très bonne critique.
Par Fawz Ben Ali
Deuxième long-métrage de fiction du jeune cinéaste et écrivain égyptien, ce film avait raflé 4 prix à la 27e édition des Journées cinématographique de Carthage (JCC 2016) : Tanit d’Argent, meilleur montage, meilleure image et prix Nejiba Hamrouni décerné par le Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT).
Autant dire que le public tunisien était impatient de découvrir un film qui a beaucoup fait parler de lui. Et il n’a pas été déçu.
Connu pour son souci permanent de filmer les évolutions de la société égyptienne, Mohamed Dhiab s’inspire souvent de faits de société réels, comme dans son premier long-métrage ‘‘Les femmes du bus 678’’ (2010) où il traite du harcèlement sexuel des femmes dans la ville du Caire.
Une mésaventure à l’issue incertaine
Face au bouillonnement politique et social que connaît l’Egypte depuis la révolution du 25 janvier 2011, le cinéaste, comme du reste tous les artistes de son pays, s’est attardé dans ce second long-métrage de fiction sur une journée cruciale de l’histoire contemporaine de l’Egypte, celle du 3 juillet 2013, jour du renversement du président islamiste Mohamed Morsi.
Le film commence avec des scènes de manifestations massives survenues ce jour-là, et face auxquelles, les policiers se sont mis à balancer dans un fourgon cellulaire tous ceux qui se trouvaient par malchance sur leur chemin.
Le fourgon devient dès lors un panier à salade où une dizaine de personnes d’origines sociales et d’opinions politiques divergentes se retrouvent embarquées dans une mésaventure à l’issue incertaine (un journaliste, un photographe, une femme avec son mari et son enfant, une jeune fille voilée, un anarchiste, un copte, un salafiste…) Angoissés et sceptiques, ils préfèrent par méfiance garder la distance. Mais le calme laisse vite place à des menaces et des tracasseries.
La caméra qui ne quitte pas le fourgon (car le film en entier est tourné en huis-clos) guette la tension des rapports qui ne cesse de monter en crescendo. Alors que le journaliste qui travaille pour Associated Press se trouve accusé d’être un mercenaire à la solde de l’Occident, la fille voilée et le jeune adolescent, eux, s’amusent à mener le jeu insidieux du rond et de la croix sur les parois du fourgon, qui apparait d’ailleurs sur l’affiche du film, et qui symbolise le clash. «A l’école, on joue à l’armée et on exécute les Frères» (par allusion au mouvement des Frères musulmans), lui lance-t-il. Inébranlable, elle rétorque de suite : «Nous, on préfère massacrer les soldats !»
Plaidoyer pour le vivre ensemble
Mais les deux camps sont condamnés à coexister et à endurer les mêmes souffrances en cette journée de canicule. Commençant à étouffer dans cette minuscule prison roulante, ils tentent alors de laisser leurs idéologies de côté et d’instaurer un semblant d’ordre. Les gestes de solidarité apparaissent dans les deux camps et la politique cède la place à un plaidoyer pour le vivre ensemble.
Le cinéaste s’est risqué à montrer les islamistes comme des êtres sensibles et humains envers leurs «ennemies». Un choix qui lui a valu «des menaces émanant de différents organes de l’Etat égyptien», déclare-t-il. La presse gouvernementale n’a pas non plus manqué de discréditer le film dès sa sortie.
Dans son décor exigu, entre partisans et contempteurs des Frères Musulmans, le film est à l’image d’une Egypte, qui, jusque-là, n’avait jamais connu une division aussi aiguë et parfois sanglante. Depuis les grillages métalliques, unique ouverture sur le monde extérieur, les personnages deviennent spectateurs de cette ville à feu et à sang qui sombre dans le chaos.
Mohamed Dhiab triomphe aux JCC 2016.
Tout en restant collée aux personnages, la caméra de Mohamed Dhiab nous offre des angles de prises de vue très variées malgré l’unité de lieu, un parti pris primordial qui réussit à tenir le spectateur en haleine 97 minutes durant et à répondre à des exigences techniques et artistiques de haut niveau, alliant une mise en scène théâtrale et une dimension documentaire dans la retranscription des faits réels.
Totalement maîtrisé aussi bien sur le fond que sur la forme, ‘‘Clash’’ est un chef-d’œuvre du cinéma arabe contemporain à voir en ce moment sur les grands écrans des salles tunisiennes.
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