L’UGTT, qui s’apprête à tenir son congrès, doit revoir son rôle et son positionnement à l’ère du pluralisme politique et syndical. Et, surtout, se démocratiser et de moderniser.
Par Fathi Hammami *
Un rendez-vous important se dessine à l’horizon : le 23e congrès national de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), dont les travaux se dérouleront du 22 au 25 janvier courant.
Evidemment, cette grand-messe ne dérogera pas à la règle de celles qui ont précédé. Elle créera l’événement au regard de la place remarquable qu’occupe l’organisation syndicale sur la scène nationale, sans compter l’influence directe des résultats du congrès sur le climat social et politique dans le pays.
Attentive aux enjeux et problématiques d’ordre national et consciente de son poids considérable en Tunisie, nonobstant les rares moments de doute ou de déroute, l’UGTT a souvent eu une influence positive sur l’évolution historique de notre pays.
Une organisation impliquée dans la vie politique
L’UGTT a activement participé au combat national pour l’indépendance et la construction de l’Etat moderne. Elle a été d’un grand soutien à la révolte des jeunes et à leurs revendications relatives à l’emploi et à la dignité, qui entraîna la chute de la dictature de Ben Ali, le 14 janvier 2011.
Elle a contribué, également, à la réussite du dialogue national, lors de la crise politique de l’été-automne 2013, démarche s’inscrivant dans son adhésion énergique à la construction démocratique post révolution.
L’organisation a su s’impliquer dans la vie politique sans négliger la nécessité de se prémunir contre toute ingérence ou le devoir de défendre les intérêts matériels et moraux de la classe ouvrière.
Cette mission historique – alliant la revendication sociale et le dialogue politique – a été un exercice périlleux, faisant souvent marcher l’organisation sur une corde raide. Mais elle a aidé à asseoir la singularité de l’UGTT et sa réputation. Cette organisation, dont l’histoire est jalonnée de sacrifices et de martyres, jouit, en effet, aujourd’hui, d’une position qui force l’estime. Elle est comme «une tente qui abrite tous les Tunisiens, par-delà leurs obédiences politiques»?, comme aiment à dire les syndicalistes, non sans fierté.
Le dialogue permanent avec le gouvernement.
Quel rôle national pour l’UGTT ?
Naturellement, le congrès est l’espace adéquat pour discuter de ce positionnement à l’ère du pluralisme politique et syndical et des enjeux importants auxquels fait face le pays. Il reste, cependant, à savoir si les délégués au congrès sauront assurer la réussite de ce moment important et le préserver des tiraillements électoraux. On l’espère bien. Sinon, le congrès se réduirait à un conclave pour désigner un nouveau «pape» et ses «prêtres».
Ceci dit, on pourrait se demander si ce congrès va marquer un changement dans la ligne de conduite de l’UGTT, qui déciderait d’abandonner le champ de l’action politique pour se confiner, à l’avenir, dans les revendications syndicales et corporatistes. Loin de toute spéculation, ce revirement nous semble improbable, n’en déplaise aux adversaires du mouvement ouvrier qui voudrait voir son rôle réduit aux questions syndicales.
Le débat sur le rôle national de l’UGTT ne doit pas s’éloigner beaucoup de certaines constantes qui la définissent en tant qu’organisation non partisane militant pour l’égalité, l’équité et la liberté, mais qui revendique un droit de regard sur les affaires du pays. Ses membres ne peuvent, certes, pas (ou ne veulent pas) postuler à des mandats électifs (présidentiel, législatif ou municipal) sous la bannière de l’UGTT. Ils doivent cependant s’interroger sur les moyens de renforcer leur rôle de partenaire national et de confirmer leur leadership de la société civile. Pour cela, l’organisation ne doit pas se contenter de s’appuyer sur la légitimité historique que lui confèrent ses combats passés : cette légitimité doit être renforcée constamment et la grosse machine a besoin d’être graissée et huilée. Des restructurations, des réformes et des réajustements demeurent donc nécessaires pour moderniser l’organisation et renforcer la démocratie en son sein, conformément aux principes de la transparence et de la bonne gouvernance.
Le nouveau siège de l’organisation à la cité El-Khadhra jugé trop moderne et peu pratique.
Renouvellement, rajeunissement et modernisation
Dans ce contexte, il convient de généraliser la règle des deux mandats électifs à toutes les structures dirigeantes. Cette règle, qui est appliquée au niveau du bureau exécutif, doit être élargie aux autres instances. Elle sera d’une grande utilité pour le renouvellement et le rajeunissement de l’organisation
Il convient également de revoir le système de prise de décision, jusqu’ici fondé sur une forme de représentation verticale qui ne favorise pas le débat contradictoire et le respect du droit d’expression de la minorité. Les systèmes de délégation et de la votation devraient être mis en place graduellement pour garantir une consultation permanente de la base. Pourquoi, par exemple, ne passe-t-on pas au vote à propos d’un différend relatif à la poursuite ou non d’une grève?
Sur un autre plan, l’établissement du système du quota pourrait permettre une meilleure représentation des femmes au sein des structures dirigeantes.
Pour marquer cette volonté de renouvellement, les dirigeants de l’organisation doivent aussi œuvrer à débarrasser le discours syndical de la langue du bois, du paternalisme et de la surcharge idéologique, qui l’ont toujours marqué jusque-là.
* Ancien cadre syndical et ancien membre du comité directeur LTDH.
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