De gauche à droite Krol, Kasperzak, Leekens et Coelho.
Le syndrome de l’entraîneur national étranger est-il révélateur d’un certain état d’esprit régnant au sein de la Fédération tunisienne de football?
Par Dr Mounir Hanablia *
Depuis plusieurs années, on fait appel à des étrangers pour diriger l’équipe nationale de football. Est-ce que cela obéit à une nécessité objective?
Humberto Coelho, Ruud Krol, Georges Leekens…, que de noms se sont succédé sans rien laisser de concret. Pourtant la plus belle page de l’équipe nationale, celle de la Coupe du monde de l’Argentine, en 1978, a été justement écrite par un entraîneur tunisien, Abdelmagid Chettali, qui avait justement succédé à un entraîneur étranger, André Nagy, écarté après un nul à Tunis contre la Libye aux éliminatoires de la Coupe du monde.
Chettali, Dhib, Benzarti et les autres
L’apothéose de l’ère Chetali avait été le match contre l’équipe de Pologne, alors l’une des meilleures du monde, où évoluait alors l’actuel entraîneur Henryk Kasperczak, comme défenseur, et auquel cet attaquant racé que fut Hammadi Agrebi fit subir quelques dribbles dont il doit sûrement encore se souvenir.
Chetali a conduit la sélection Tunisie à la Coupe du monde de l’Argentine.
Chetali parti, ce fut ensuite le tour de Hmid Dhib, mais son expérience tourna court, et après un brillant match aller en éliminatoires de la Coupe du monde contre les Green Eagles du Nigéria, alors sans conteste l’équipe africaine la plus forte, dont notre équipe sortit vainqueur 2-0, le match retour à Lagos se termina sur le même score en faveur des Nigérians sans que les Tunisiens n’eussent démérité, et l’épreuve des pénaltys nous valut l’élimination. Cette élimination, on ne la lui pardonna pas, et Hmid Dhib fut limogé alors que l’équipe sous sa direction avait été brillante.
Il paraîtrait que les entraîneurs tunisiens en équipe nationale eussent souvent souffert d’interférences dans l’exercice de leurs fonctions autant de la part de la presse traditionnellement critique, que du cadre administratif de la fédération, assez prompt à se mêler des questions techniques, en particulier le choix des joueurs, ou même de certaines personnalités politiques possédant des intérêts dans le sport.
Malgré cela les entraîneurs tunisiens ont toujours répondu présent quand la situation l’exigeait, même pour assurer des intérims, comme Ali Selmi lors de la Coupe du monde en France, en 1998, ou Faouzi Benzarti.
Curieux le destin de ce grand entraîneur dont tout le monde reconnait les compétences et dont le palmarès est éloquent, en particulier cette finale de la Coupe du monde des clubs sous les couleurs du Raja de Casablanca; on ne l’a jamais laissé travailler le temps nécessaire pour bâtir une grande équipe nationale compétitive. On se serait plaint paraît-il de son caractère difficile, voir irascible, mais cela justifiait-il pour autant qu’au moindre incident on le mette dehors?
Roger Lemerre a remporté la Coupe d’Afrique des nations avec la sélection Tunisie.
L’esprit défensif de M. Kasperczak
Certes on rétorquera que la Coupe d’Afrique, fut remportée, à Tunis, sous la direction de Roger Lemerre, et que les deux finales continentales disputées et perdues, celles de 1965 et 1994, le furent sous les directions d’un encadrement étranger, André Gérard en 1965 face au Ghana, après avoir mené 2-1, et Henryk Kasperczak en 1996 face aux Bafanas d’Afrique du Sud. Ce dernier match, largement à la portée de notre équipe, fut pourtant perdu, les joueurs avaient en effet d’entrée de jeu adopté une tactique défensive qui permit au Sud-africains de gagner en confiance et de finir par marquer, sur des carences… de la défense tunisienne, deux buts en l’espace d’une minute.
Afin de définir une vision globale de la situation, disons que la Tunisie, dans les années 60, bénéficia de l’apport de trois entraîneurs yougoslaves, Kristic, Matosic et Radojitic, qui en compagnie de leurs compatriotes au sein des clubs tunisiens, aidèrent à l’éclosion de nombreux joueurs talentueux et imprimèrent à notre football ce fond technique et ce jeu spectaculaire qui devait persister jusqu’à la fin des années 70.
Puis il y eut la période Kasperczak et Lemerre, ceux qui ont duré plus longtemps, qui transforma radicalement notre football de technique et spectaculaire en physique et défensif; une évolution qui, il faut le dire, a été également et malheureusement celle du football brésilien.
Si Roger Lemerre devint un entraîneur dans la droite ligne de ce qu’il fut, c’est-à-dire un défenseur qui n’évolua jamais que dans des équipes défensives, avec des entraîneurs défensifs comme Georges Boulognes ou Louis Dugauguez, il n’en a pas été de même de Kasperczak qui, ayant appartenu à la grande équipe de Pologne vainqueur des Jeux olympiques, et 3e du Mondial de 1974, avec Deyna, Lato, Szarmach, Lubanski et Boniek, cultivait un jeu créatif qui lui a permis de battre entre autres l’Italie de Mazzola et de Rivera et de tenir la dragée haute à l’Allemagne.
Une carence dans notre football
On peut se demander si Kasperczak entraîneur national, toujours soucieux d’abord de limiter la casse, n’a jamais eu d’autre préoccupation que de soigner sa propre réputation professionnelle. Mais le fait est là: il n’y a plus depuis près de 20 ans de grands attaquants tunisiens et l’équipe nationale s’en ressent, et c’est plutôt paradoxal alors que des joueurs issus de l’émigration comme Sami Nasri, Wissem Ben Yedder, Hatem Ben Arfa, ou Sami Khedhira, font aujourd’hui les beaux jours des grands clubs étrangers.
Ceci pour dire qu’il y a certainement une carence dans notre football, par l’adoption de systèmes de jeux privilégiant le physique sur le technique, qui n’aident pas à l’éclosion des joueurs techniques et créatifs. Et il y a un manque de continuité dans le travail technique, chaque entraîneur débarquant à la tête de l’équipe nationale avec ses propres conceptions, si ce n’est ses propres intérêts, et imposer ses vues à l’équipe nationale.
Le résultat est une politique à courte vue et l’absence de joueurs de talent. Un résultat que la politique à courte vue des clubs pour recruter des joueurs et des entraîneurs étrangers, ne fait qu’amplifier.
Si on veut que notre football sorte de l’ornière, il faudrait que la fédération établisse avec les entraîneurs tunisiens, seuls à même de collaborer sur le long terme, d’abord des relations de travail basées sur le respect, ensuite un programme de travail sous la supervision du sélectionneur national, visant à la formation de joueurs tunisiens avec la collaboration des clubs sans qui rien ne puisse se faire, et que ces derniers acceptent de ne plus aller recruter à l’extérieur à grands frais des joueurs et des entraîneurs qui au bout de quelques années n’auront absolument rien apporté au football du pays. C’est une nécessité non seulement sportive, mais également, vu le contexte, économique. Sport populaire par excellence, le football ne peut pas se dissocier de la condition générale du pays.
* Cardiologue, Gammarth, La Marsa.
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