La montée des leaders populistes démagogues augure de dangereux soubresauts qui mettront à mal la paix mondiale.
Par Dr Mounir Hanablia *
Le 30 janvier 1948, la grande figure de la résistance indienne au colonialisme britannique, le Mahatma Gandhi, tombait au cours d’une réunion publique, sous les balles d’un terroriste.
Terroriste n’était pas en ces temps-là synonyme de musulman, l’assassin était en effet un Hindou de haute caste prénommé Nathuram Godsé, membre d’un parti chauviniste hindou, le Rashtriya Swayam Sevak Sang (RSSS) ou Corps des Volontaires Hindous, qui avait planifié l’assassinat pour des raisons politiques, parce qu’il avait tenu Gandhi pour responsable de la partition de l’Inde, de la perte pour les Hindous de la vallée de l’Indus, et malgré les horreurs des émeutes communautaires et les millions de personnes tuées ou déplacées lors du plus grand exode de l’Histoire, de la défense de la communauté musulmane résidant en Inde.
Gandhi était un partisan de la coexistence pacifique entre les communautés et pour lui, les Hindous et les Musulmans étaient l’œil droit et l’œil gauche de l’Inde; cela lui avait coûté la vie.
Le parti RSSS, lui, devait survivre à l’exécution de Godsé, à l’emprisonnement de son fondateur, Veer Savarkar, et à son interdiction pendant quelques années. En effet, il allait plus tard renaître de ses cendres et constituer le creuset politique où tous les dirigeants des partis populistes qu’on nommerait nationalistes hindous feraient leurs classes politiques, avant d’occuper le pouvoir à Delhi, ainsi que cela serait le destin de certains parmi eux.
Le monde selon Modi
Narendra Modi en constitue l’un des exemples les plus achevés. Cet homme d’origine modeste, fit pour la première fois la une de la presse mondiale en 2002, lorsque, en tant que gouverneur du Gujerat, il fut accusé d’avoir organisé les émeutes communautaires contre les Musulmans, sinon de n’avoir pas pris les mesures nécessaires pour les empêcher, après l’incendie du Subarmati Express, un train transportant des activistes hindous en provenance d’Ayodhya, la ville où la mosquée Babri avait été détruite, dix ans auparavant, par une foule importante de militants hindous encadrée, pour des raisons électorales, par les partis politiques chauvinistes.
Elu Premier ministre en 2014, M. Modi, outre le climat politique délétère qu’il a laissé s’instaurer contre les musulmans, à l’occasion de la répression menée contre les sécessionnistes du Cachemire, soutenus selon lui par le Pakistan, a décidé de mesures autoritaires dont certaines prêtent à sourire : aujourd’hui, en Inde, les séances de cinéma débutent par l’hymne national et les spectateurs doivent marquer leur respect en se levant; d’aucuns en refusant de le faire ont été jugés et condamnés.
Sur un autre plan, la soudaine décision, complètement démagogique, du Premier ministre de supprimer les billets de banque dans le but d’instaurer la monnaie numérique, a déstabilisé le système bancaire et paralysé l’économie dans un pays qui demeure très en retard dans le domaine et où les transactions quotidiennes s’effectuent le plus souvent grâce à la monnaie habituelle.
D’autre part M. Modi a instauré de nouvelles relations restrictives avec la presse, à qui il n’est désormais plus possible de se renseigner hors les déclarations officielles ou les informations publiées sur les réseaux sociaux. Et désormais seuls les journalistes dociles, c’est-à-dire employés par une agence gouvernementale, sont choisis pour accompagner le Premier ministre, ou pour l’interviewer, ce qui élimine les questions gênantes ou indésirables. Et force est de constater que la presse a été complètement décrédibilisée et que son rôle de contre-pouvoir a été sérieusement entamé depuis l’arrivée au pouvoir du gouvernement actuel.
Le plus grave, toutefois, est constitué par les mesures prises à l’encontre des pays voisins auxquels les pouvoirs chauvinistes et populistes finissent invariablement par avoir recours.
Le détournement des eaux de l’Indus décidé unilatéralement par M. Modi a été qualifié par les autorités pakistanaises d’acte de guerre qui ne demeurerait pas sans réaction. Des menaces à ne pas prendre à la légère puisque le pays dispose d’un arsenal nucléaire.
Le chantage économique exercé sur le Népal, pays enclavé dont toutes les importations transitent à travers l’Inde, constitue un autre exemple des mauvais rapports établis avec le voisinage, en particulier lorsque ces pays sont obligés, en raison de droits de douanes instaurés par l’Inde, d’acheter les produits indiens.
Les coups de tête de Trump
Tout ceci rappelle évidemment ce qui se passe actuellement aux Etats Unis, avec la politique de Donald Trump à l’encontre des migrants ou des résidents issus de certains pays musulmans, du mur qu’il a décidé de construire sur la frontière avec le Mexique dont ce pays devrait supporter le coût, de la suppression des accords de libre échange nord-américains, de l’interdiction de certains droits accordés aux femmes comme celui de l’avortement.
Quant aux rapports avec la presse, ils sont carrément détestables : M. Trump a décidé ce que ses collaborateurs ont qualifié d’informations des «faits alternatifs» opposables à ceux rapportés par les médias, et qui seraient communiqués à travers les médias ou les réseaux sociaux, ou encore le porte-paroles officiels de la Maison Blanche. Ces «faits alternatifs» ont été purement et simplement qualifiés de mensonges par les journalistes.
En attendant la foule est descendue dans la rue dans de nombreuses villes du pays en particulier à New York où elle a manifesté devant l’aéroport JFK pour exiger la libération des migrants retenus par les services de l’immigration.
Fait notable, de nombreux juifs américains participent à ces manifestations en faveur des droits à l’immigration de musulmans, et c’est d’autant plus remarquable que certains parmi leurs membres les plus éminents ont critiqué le soutien apporté par le Premier ministre israélien à la construction du mur sur la frontière mexicaine. Une bourde qui a créé un incident diplomatique non seulement avec le Mexique, mais également avec la communauté juive de ce pays, forte tout de même de 50.000 personnes. Mais l’intervention du premier ministre israélien dans un domaine qui ne concerne son pays ni de près ni de loin n’est évidemment pas dénuée de calculs politiques : ayant obtenu le feu vert de Trump pour la colonisation des territoires occupés, il désire sans doute s’en rendre l’obligé afin d’obtenir le transfert de l’ambassade des Etats-Unis à Jérusalem, ce qui légitimerait du même coup la souveraineté israélienne sur tous les territoires occupés depuis Juin 1967.
Peut-être même l’ambition de Netanyahu est-elle d’impliquer les Etats Unis dans une dernière guerre, contre l’Iran.
Montée des leaders populistes démagogues
Mais abstraction faite de toutes ces péripéties, le fait est là : tout comme Modi et, dans une large mesure, Netanyahou, Trump est en train de mettre en place un système de gouvernement basé sur l’exclusion ethnique, et les mesures unilatérales visant les pays étrangers qu’ils soient ou non voisins. Et quelles seraient les réactions de nations comme la Chine ou la Russie face à des mesures d’ordre économique ou stratégique en Mer de Chine ou en Ukraine, que le bouillant président américain déciderait à leur encontre sans en mesurer suffisamment les conséquences?
Mais le plus réconfortant dans tout ceci demeure la réaction du peuple américain, qui semble bien faire la part entre le terrorisme islamiste, contre qui on a justifié depuis plusieurs années un état de guerre prolongé, et les citoyens issus des pays musulmans détruits par cette même guerre, et dont l’accueil relève non seulement du droit humain, mais aussi des nécessités de la lutte contre un pouvoir autoritaire menaçant les libertés de ses propres citoyens, la paix mondiale, et l’équilibre écologique de la planète.
Le véritable problème demeure qu’au sein des démocraties, l’accession au pouvoir de leaders populistes démagogues, dont le point commun est le bellicisme, soit redevenue possible du fait de la défiance que nourrissent désormais les peuples vis-à-vis d’élites politiques déconsidérées par leurs politiques au service des oligarchies.
On ignore cependant si les choix stratégiques de la nouvelle administration américaine seront aussi dangereux que ceux de son prédécesseur, en Ukraine, et dans les Pays Baltes.
Quelle politique envers les musulmans ?
Concernant les pays musulmans, ainsi que l’ont noté beaucoup de commentateurs, les auteurs des attentats sur le sol américain ont été essentiellement des Saoudiens. Pourtant l’administration américaine s’est bien gardée d’interdire l’accès de son territoire aux sujets de ce pays ou ceux des autres Etats du Golfe. Mais elle s’est empressée d’étendre le Ban-Muslims aux… Iraniens, qui n’ont jamais rien eu à avoir avec aucun acte terroriste commis sur le territoire des Etats-Unis.
Comme quoi toutes ces promesses d’éradication du terrorisme ne s’appliquent déjà nullement aux Etats qui les financent, qui les soutiennent, et dont ils partagent la même idéologie morbide, le wahhabisme.
Comme quoi le pacte du Quincy, qui avait été conclu entre le président Roosevelt et le roi d’Arabie Abdelaziz, a toujours cours malgré le 11/09 : les Américains gardent le monopole du pétrole de l’Arabie en échange de la protection qu’ils accordent à cette dynastie accommodante.
Penser que les Etats-Unis puissent ainsi se débarrasser d’un Etat mercenaire qui joue le rôle de caisse noire au service de leur gouvernement relèverait en effet de la chimère. Cet Etat avait déjà, en 1979, avec l’invasion soviétique de l’Afghanistan, financé la guerre qui aurait raison, 12 ans plus tard, de la puissance soviétique. Il avait par ailleurs joué un rôle inestimable au service des intérêts stratégiques américains dans l’émiettement de ce qui restait de la solidarité arabe lors des jours ayant précédé la guerre du Golfe en 1991, en rendant impossible toute solution diplomatique. Et avant cela, en 1973, lors de la guerre d’Octobre, l’embargo sur le pétrole, en surenchérissant sur les prix, avait sauvé la mise du Cartel Pétrolier, les sept soeurs, avait soumis les économies Européennes à une inflation dont elles étaient sorties meurtries, et avait fourni aux stratèges américains la raison pour préparer la guerre qu’ils mèneraient 18 années plus tard pour occuper les puits du pétrole dans le Golfe et s’assurer une position dominante dans le marché des énergies fossiles de la planète.
Donc, la doctrine stratégique de Donald Trump, s’il s’avère capable d’en concevoir, ne risque certainement pas de remettre en question cette position acquise de haute lutte en cessant de soutenir un régime politique dont l’obscurantisme demeure le meilleur garant de la sauvegarde des intérêts américains. Des intérêts qui au Moyen Orient, outre l’écoulement du pétrole, reposent sur le soutien inconditionnel et jamais remis en cause accordé à l’Etat d’Israël.
Et en Afrique du Nord? La guerre en Libye ne semble prête de s’éteindre. Et on ignore encore si une recomposition politique de la région est à l’ordre du jour. Un signe, toutefois, le récent limogeage de l’islamiste Abdelilah Benkirane par le Roi du Maroc, bien renseigné et conseillé, laisse supposer que l’administration américaine n’apportera plus aux partis islamistes le soutien qui fut celui de l’équipe de Barack Obama et d’Hillary Clinton.
Si donc l’ère Trump a commencé par des mesures bruyantes et spectaculaires, il y a fort à parier que, par rapport à l’ère Obama, il n’y aura pas de rupture franche, du moins sur le plan de la politique extérieure.
Daech va-t-il s’installer dans la durée ?
L’Amérique est une superpuissance dont les intérêts se définissent sur le long terme et qui ne dépendent pas, sauf circonstances exceptionnelles, des choix faits par une seule administration. Et la question essentielle, celle ayant trait à l’organisation terroriste de l’Etat islamique (Daech), n’a pas encore été résolue. Les combats continuent autour de Mossoul, et il n’y a toujours pas de décision militaire. Daech s’installe semble-t-il dans la durée. Un rôle lui serait-il imparti dans l’équilibre stratégique international?
La nomination, par ailleurs, de James Mattis, un ancien de l’Irak, à tête du Pentagone, laisse supposer que, durant l’actuel mandat, l’Irak continuera d’occuper le devant de la scène.
Le mordant de ce militaire à la retraite, qui avouait éprouver du plaisir à abattre ceux qu’il qualifiait de terroristes, se situe bien dans la ligne de Donald Trump, un homme bruyant, exubérant, raciste, suprématiste et antiféministe, qui soulève déjà dans la rue la contestation et la colère populaires, mais dont les toutes récentes décisions démagogiques ne présagent nullement de la suite. Il demeure en particulier nécessaire d’évaluer les conséquences de ses mesures protectionnistes sur l’économie et la politique mondiales avant de savoir vers quelle direction le monde se dirigera durant son quadriennat.
* Cardiologue, Gammarth, La Marsa.
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