La Tunisie, à l’image de ses vestiges archéologiques, tombe en ruines, victime de l’inculture et de l’incivisme qui sont bel et bien devenues des tares nationales.
Par Tarak Arfaoui *
Bulla Reggia cité numide, phénicienne puis romaine est, sans faire de jeu de mots, un monument de notre patrimoine national, un site historique unique en son genre dans le monde romain antique du fait de l’architecture de ses villas construites en 2 plans dont un souterrain, et qui demeurent dans un état de conservation exceptionnelle.
Le laisser-aller des autorités
C’est une bénédiction en Tunisie de posséder ce genre de trésor, et l’Etat devrait en principe tout faire pour bien le conserver et le mettre en valeur. Il s’agit là de notre patrimoine le plus précieux, notre richesse et la mémoire de nos ancêtres.
Mais grande fut ma surprise lors d’une visite récente sur les lieux de constater non sans amertume l’insuffisance de la maintenance des lieux du fait de la désinvolture et le laisser-aller des autorités (in)compétentes qui ne laisse présager rien de bon pour sa conservation.
Insuffisance de la maintenance des lieux du fait de la désinvolture et le laisser-aller des autorités.
En effet, pour atteindre le site, il faut emprunter la route nationale qui mène à Jendouba et là tout visiteur sera surpris de voir que ladite route coupe le site historique en deux le traversant en plein milieu.
Cette route hyper fréquentée entraîne immanquablement son corollaire de désagréments de pollution et de vibrations engendrées par les véhicules et surtout les poids lourds dont les effets délétères sur les ruines sont bien connus, et de «nassabas», taudis et commerces en tout genre qui vont défigurer le lieu.
Dans d’autres pays, cette route aurait été tout simplement éliminée et détournée depuis belle lurette.
Le comble de l’irresponsabilité
Cerise sur le gâteau : juste en face de l’entrée du site et à peine 20 mètres des thermes imposantes de Julia Memia, une mosquée a été érigée (avec quelle autorisation?) au style tarabiscoté, construite sur les ruines de la nécropole avec ses dépendances qui jurent totalement avec l’état des lieux.
«Nassabas», taudis et commerces en tout genre qui défigurent le lieu.
Bien sûr, d’autres constructions ont commencé et dévasté la façade du site et un village juste mitoyen des ruines a vu le jour.
Le comble de l’irresponsabilité et de l’inculture des «ingénieurs» du ministère de l’Equipement (?) est mis en évidence sur la plaque indiquant ce village aussi bien à l’entrée qu’à la sortie et m’a laissé autant pleurer de rire que de tristesse : le nom latin de Bulla Regia a été «tunisifié» par ces incultes en Bella Rigia.
Pour entrer dans le site, il faut bien s’acquitter d’un ticket au tarif il faut bien le dire symbolique. Les locaux sont vides, le bureau d’accueil est fermé et il ne faut pas chercher une quelconque documentation, carte ou souvenirs pour la simple raison qu’il n’y en a pas.
L’hygiène des lieux laisse à désirer et les toilettes sont une honte pour un site touristique. Le musée, quant à lui, pour faire bel effet, est bel et bien en ruines et fermé à double tours depuis quelques années selon le préposé sur place.
L’entrée bien gardée donne accès à un site grandiose. Malheureusement, en dehors d’une toute petite pancarte délimitant un plan minuscule et illisible et un texte bilingue sommaire, rien n’indique un quelconque itinéraire ou indication ou panneau explicatif.
S’il a la malchance de ne pas tomber sur un guide (Mme Amel en l’occurrence, un guide vraiment professionnel), le touriste lambda qui va s’aventurer entre les ruines n’aura d’autre choix qu’implorer la triade capitoline pour trouver son chemin. Certes, des trépieds sont bien installés devant quelques monuments mais aucun texte n’y figure! La broussaille et la végétation qui envahissent les lieux ont fait le reste pour plonger le site dans la désolation.
Les «ingénieurs» du ministère de l’Equipement incapables de faire transcrire correctement le nom de la cité antique.
Dépravation et construction anarchique
Que dire de ce constat bien amer sinon que le pays, à l’image de ses ruines, tombe en ruines, que l’inculture et l’incivisme sont bel et bien devenues des tares nationales, que la médiocrité et l’incompétence telles des maladie pernicieuses se sont incrustées lentement dans le génome de certains Tunisiens irresponsables qui au train où vont les choses vont dilapider par leur comportement et leur irresponsabilité l’un des biens les plus précieux que nous ont légués nos ancêtres numides et romains.
Le ministère des Affaires culturelles, premier responsable, ne ferait-il pas mieux, au lieu d’organiser des festivals à coup de dizaines de millions de dinars, de mettre le paquet pour faire un audit de l’état des lieux de nos sites historiques, de bien les conserver et les restaurer et d’y interdire formellement et sans aucune complaisance toute dépravation ou construction anarchique. L’exemple de Bulla Regia n’en est qu’un échantillon.
* Médecin de libre pratique.
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