La conférence de Michel Onfray, avant-hier, à Tunis, n’était pas pour tout le monde, mais pour une poignée de «bourgeois francophones».
Par Mohamed Sadok Lejri *
L’Institut français de Tunisie (IFT) et la salle du 4e Art accueillent la 11e édition de Doc à Tunis du 5 au 9 avril 2017. Grâce au concours de l’ambassadeur de France en Tunisie, Olivier Poivre d’Arvor, les organisateurs de cette manifestation culturelle ont pu recevoir la visite d’un invité de marque, en l’occurrence le philosophe français très médiatique Michel Onfray. Sa conférence, «Le temps long de la laïcité», a eu lieu vendredi 7 avril 2017, au 4e Art, au centre-ville de Tunis. Il y avait une grande affluence du public à l’entrée de la salle de théâtre et le philosophe libertaire y est apparu en «guest-star».
Université populaire, dites-vous ?
Beaucoup de jeunes voulaient assister à la conférence. A peine arrivés sur les lieux, ils ont décidé de rebrousser chemin, hélas, car, lors de la programmation initiale, on avait annoncé que l’entrée serait gratuite. A l’entrée de la salle de théâtre, ces jeunes ont levé les yeux au ciel et ont fait volte-face à l’annonce du prix du billet qui était fixé à 10 dinars.
C’est là que j’ai rencontré deux jeunes étudiants qui étaient venus assister à la conférence et avec qui j’ai sympathisé. L’un d’entre eux est originaire de Zarzis et prépare un master en sociologie. Il n’a jamais lu un livre de Michel Onfray, mais l’avait fortement apprécié dans certaines de ses apparitions disponibles sur internet, et notamment dans celles où il fait une critique sans complaisance de la politique étrangère française au Proche-Orient.
Ces deux jeunes se sont rendus au 4e Art pour en savoir plus sur l’auteur de ‘‘Contre-histoire de la philosophie’’ et l’écouter parler de laïcité, mais le prix du billet les en a dissuadés.
N’y allons pas par quatre chemins : qu’a-t-elle de «populaire» cette université qui ne propose même pas un accès libre et gratuit au public? Honte à Michel Onfray d’avoir accepté que ses hôtes souscrivent à cette logique mercantile et à cette pratique ségrégationniste qu’est la sélection par l’argent!
Michel Onfray est un brillant intellectuel qui a fait de la liberté, de la justice, de la révolte et de l’hédonisme les fondements de sa pensée. Etant lui-même issu d’un milieu très modeste (sa mère était femme de ménage et son père ouvrier agricole), il a toujours été proche des préoccupations des petites gens. Pour quelqu’un comme lui, à quoi ça sert de donner une conférence devant un parterre de bourgeois francophones totalement acquis à sa cause? Au lieu de prêcher des convertis, il aurait dû s’adresser au commun des Tunisiens.
Culture spectacle brodée de paillettes
M. Onfray gagnerait à ce que son discours atteigne la masse car, jusqu’ici, seule une certaine «élite intellectuelle» accède à ses livres et apprécie ses apparitions télévisuelles. Or ses idées libératrices et sa répugnance pour l’oppression s’adressent aussi et surtout à cette masse populaire.
Décidément, les Tunisiens ont l’art de transformer les rendez-vous intellectuellement dignes d’intérêt en un truc événementiel. Les gens paient et il y en a qui y vont comme s’ils allaient à un spectacle de show-biz.
Avant-hier, au 4e Art, de l’avenue de Paris, la culture a été réservée à un petit nombre d’individus qui connaissaient d’avance ce qui allait être dit dans la conférence, elle a été réservée à une catégorie qui cultive l’entre-soi et qui n’a honte de rien.
Michel Onfray en Tunisie… Ou quand la culture est mise en spectacle et brodée de paillettes.
* Universitaire, chercheur.
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