La décision de la mise en flottement du dinar tunisien est le couronnement de la mauvaise gestion des finances publiques et des équilibres extérieurs au cours des 6 dernières années.
Par Mohamed Chawki Abid *
Ayant délaissé l’usage d’anti-inflammatoires en 2012 et d’antibiotiques en 2014, la Tunisie est en passe de se faire administrer des traitements lourds, dans l’espoir de continuer à bénéficier partiellement de la confiance des bailleurs de fonds.
Avec l’implémentation forcée par le Fonds monétaire international (FMI) de certaines mesures particulièrement douloureuses pour les couches pauvres et la classe moyenne (suppression de la caisse de compensation, surpression fiscale dans l’iniquité, allègement des services publics, mise en flottement du dinar…), les mafias multicolores (prédateurs assistés, importateurs-rentiers, champions de l’évasion fiscale, opérateurs de la fuite de capitaux, réseaux d’économie souterraine, barons de la contrebande…) vont continuer à faire prospérer leurs business sans être inquiétés, moyennant une contribution proportionnelle au financement des partis politiques au pouvoir.
Laisser-faire, laisser passer
Au lieu d’agir pragmatiquement face aux problématiques et insuffisances, en combattant toutes les formes de malversation et en traitant radicalement les pathologies structurelles, les gouvernements successifs se sont évertués à ménager l’oligarchie politico-financière jusqu’à constater l’effondrement total des fondamentaux économiques et le dérapage inélastique des déséquilibres macroéconomiques.
Depuis plus de 5 ans, les spécialistes et les initiés n’avaient cessé d’appeler à la mise en place d’actions salutaires dans une perspective d’atténuation des dérapages financiers et de réparation des fondamentaux socioéconomiques. Ces actions consistent à :
1) enclencher les «clauses de sauvegarde» prévues dans les accords de libre-échange en vigueur pour réduire le déficit commercial abyssal avec certains pays;
2) suspendre l’importation des biens de consommation superflus (articles de luxe, secondaires ou ayant des équivalents fabriqués localement);
3) décréter une série de mesures d’encouragement en faveur des secteurs producteurs, notamment l’agriculture et l’industrie, en vue de redresser l’investissement et la production, et booster l’exportation et l’emploi;
4) gérer pragmatiquement les importations, tout en accordant la priorité aux produits de consommation de 1ère nécessité (céréales médicaments…), matières premières, et équipements;
5) mettre un terme au laxisme au copinage et à l’impunité dans la gestion de toutes les formes de malversation et de corruption (évasion fiscale, fraude administrative, fuite de capitaux, pillage de richesses, abus de biens sociaux, etc.).
Le crash programmé du marché de change
Toutes ces recommandations, et bien d’autres non moins importantes, semblent rester lettres mortes. Après avoir classé le dossier des déficits périlleux de la balance commerciale et de la balance courante, le chef du gouvernement Youssef Chahed a donc fini par recourir à la solution bestiale pour ne pas mécontenter les malfaiteurs et les spéculateurs du pays.
Par ailleurs, je me réfère à la lettre d’intention ayant été signée et adressée à Christine Lagarde, le 2 Mai 2016, par les deux massacreurs des finances (l’ex-CEO de la BADEA et l’ex-ministre des Finances actuellement planqué au palais de Carthage).
Ce mémorandum de capitulation vient d’être rappelée par le FMI pour sa mettre en force, notamment en matière de flexibilité de la politique de change, ce qui va vraisemblablement «crasher» notre marché de change et accélérer la fuite des capitaux, tant par voie de surfacturation des importations, que par voie de sous-facturation des exportations des biens et services, ainsi qu’à travers les filières mafieuses classiques (proches et/ou donateurs des partis politiques au pouvoir).
Maintenant que la dévaluation du dinar tunisien (TND) vient d’être dictée par le FMI et d’être annoncée par le gouvernement dit d’union nationale, les harkis qui nous ont pitoyablement gouvernés vont bien se marrer des Tunisiens eu égard à la transformation du dinar en monnaie de singe. Il en est de même pour les affairistes et flibustes dont certains reconnaissaient clairement qu’ils n’ont pas envie de rapatrier leurs capitaux pour des raisons de coût d’opportunité.
Hier, mardi 18 avril 2017, la ministre des Finances Lamia Zribi est sortie sur les médias pour nous faire un constat de mauvaise gestion des finances publiques et des équilibres extérieurs, terme de 6 ans de laxisme et de nonchalance face aux déficits vertigineux des différentes balances de la nation.
Ce bricolage volontaire a été marqué par un refus d’enclenchement des mesures de sauvegarde prônées par l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et prévus dans les conventions de libre-échange, et par la non application des mesures prudentielles consignées dans la loi N° 96-106 et la loi N° 99-09.
Pour y remédier, l’Argentière de l’Etat nous a annoncé avec triomphalisme que «le dinar va être livré à lui-même, pour favoriser un ralentissement des importations et une reprise des exportations et du tourisme».
Dimanche dernier, le chef de gouvernement a promis d’incriminer tout acte de mauvaise gestion et de l’assimiler à une malversation fortement punissable. S’il est honnête et patriote comme il prétend l’être, je l’invite à regarder de près les prestations du gouverneur de la Banque centrale ainsi que celles des deux ministres des Finances et du Commerce.
* Ingénieur économiste.
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