Une révolution et des désillusions.
La récente chute du cours du dinar tunisien (TND), qui n’a surpris que ceux qui voulaient bien l’être, doit nous interpeller quant au bilan de 6 ans de «révolution bénie».
Par Faïk Henablia *
A la fin des années cinquante du siècle dernier et en vue de donner un nouvel élan à une révolution bien à la peine, le pouvoir de Mao avait déclenché, en Chine, un vaste mouvement d’hystérie collectiviste, appelé «Grand Bond en Avant» dont les conséquences, transparence communiste oblige, ne furent connues que bien plus tard, à savoir quelque 50 millions de morts victimes de l’effroyable famine occasionnée. Si bien que ce bond ressembla beaucoup plus, dès lors, à un bond en… arrière.
Transparence mise à part, il y a tout lieu de se demander si, depuis 2011, la Tunisie ne serait pas, non plus, prise dans un reflux massif et irrésistible.
Que l’on en juge.
* Sur le plan économique et social, l’état des lieux est catastrophique. Le PIB atteignait 43 milliards de dollars US en 2015, soit le même niveau que celui de 2010, et en baisse notoire par rapport aux 49 milliards enregistrés en 2014.
La dette publique, de 40,5% du PIB en 2010, a atteint près de 52% en 2015, et, selon les prévisions, devrait allègrement franchir la barre des 63% en 2017.
Le taux de chômage est de l’ordre de 15,5%, contre 14% en 2011, après avoir connu des valeurs de l’ordre de 17-18% entre 2011 et 2013.
Le désordre social est sans précédent : manifestations, grèves, blocages de routes, occupations d’usines, dégradation voire destruction de l’outil de travail. C’est le règne de l’obstruction systématique à chaque fois que les revendications ne sont pas satisfaites sur le champ.
Le pays est livré aux ordures et immondices, attirant chiens errants et… sangliers !
Sur un autre plan, le farniente et le je m’en-foutisme sont de mise.
Et pour couronner le tout, incapacité affligeante du pouvoir et incurie criante des politiques.
En somme, 6 ans pour rien.
Est-il, dès lors, étonnant que les agences de notation aient dégradé la note de crédit du pays et que sa monnaie, le dinar, ait perdu près de 40% de sa valeur?
N’ayant plus la capacité de financer ses dépenses de fonctionnement, l’Etat en est réduit à faire appel au FMI, aux exigences et conditions pourtant bien connues…
FMI ou pas, il faudra pourtant bien se reprendre, pour peu que l’on veuille se sortir de cet engrenage infernal; et les larmes et le sang en perspective, relèvent tout simplement du bons sens.
«Vous chantiez? J’en suis fort aise. Eh bien! dansez maintenant», disait la fable.
* Déclin économique, mais aussi menace sur les acquis modernistes. Que les islamistes dits «modérés» aient tenté de détourner le cours des événements dans un sens favorable à leurs vues n’est un secret pour personne.
Malgré la belle résistance de la société civile, le combat est cependant loin d’être terminé tant il est vrai que les islamistes n’ont jamais renoncé à leur agenda consistant à imposer la charia, non plus frontalement, mais sournoisement, par la duplicité et la ruse.
Le nombre de plus en plus grand de femmes voilées est, à cet égard, un véritable indice de régression et de retour en arrière. 60 ans après la promulgation du Code du statut personnel, la rue tunisienne tend à ressembler à une rue libyenne, égyptienne ou soudanaise, pays pourtant largement en retard sur le plan des droits de la femme. De plus en plus de filles non pubères sont contraintes de porter le voile et l’on se demande pourquoi cette pratique n’est pas assimilée à de la maltraitance d’enfant. Est-ce une avancée ou une reculade?
Autre pratique, celle des prières de rogations pour la pluie; celles-ci ont toujours existé et des citoyens, en désespoir de cause, ont parfaitement le droit s’y adonnent. Mais que penser lorsqu’un membre du gouvernement, en l’occurrence le ministre des Affaires religieuses en personne, autrement dit un représentant officiel de l’Etat, y appelle publiquement? Est-ce une inflexion da la politique hydraulique et cela constitue-t-il un pas dans le sens du progrès?
Des imams, dont j’apprends avec stupéfaction qu’ils sont organisés en syndicat (mais à qui présentent-ils donc leurs revendications?) appellent à la prohibition, pourtant déjà appliquée en son temps aux Etats Unis, avec les résultats que l’on sait. Réclamer le retour à une pratique des années 30 constitue-t-il une avancée?
Les entraves non dépourvues d’efficacité, aux diverses initiatives visant à mettre fin à des pratiques d’un autre âge, telles que le test anal, la mansuétude envers le violeur pour peu qu’il consente à épouser sa victime (pratique à laquelle la Jordanie vient de mettre fin) ou, encore, l’inégalité des sexes en matière d’héritage, vont-elles dans le sens du progrès ou de la régression?
Cerise sur le gâteau, symbolique si je puis dire, à savoir une université qui accepte une thèse de «doctorat» prétendant démontrer la platitude de notre planète; est-ce le signe d’un pays qui avance?
Bref, tous ces courants qui nous expliquent, à longueur de journée, que la jouissance de la plénitude de droits accessibles aux citoyens d’autres démocraties, serait incompatible avec notre «identité arabo-musulmane» (au fait pourquoi donc arabo, les Arabes chrétiens ne sont pas concernés, que je sache), ainsi que l’immobilisme, sans doute dans l’espoir d’un retour en arrière, qu’ils imposent, ne sont certainement pas un indice de marche en avant.
Grand bond en arrière donc; et seul un effort sans précédent de redressement économique et d’assainissement des finances publiques, doublé d’un inventaire, en vue de les éliminer, des différentes règles moyenâgeuses de notre droit, poseront les jalons du grand bond en avant auquel les Tunisiens sont en droit d’aspirer depuis 2011.
* Gérant de portefeuille associé.
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