L’espace de culture de proximité et de tourisme alternatif, Kèn, a repris son envol après plusieurs décennies de vie sous perfusion.
Par Habib Trabelsi
L’espace, situé à Bouficha, à 20 kilomètres au sud de Hammamet, sur la route Sousse, promet de prendre de la hauteur maintenant que «la Tunisie culturelle bouge».
Le rêve d’un visionnaire vire au cauchemar
Le Village Kèn est à la fois un musée, une galerie d’art, un centre culturel, un jardin botanique, un motel de plaisance (avec piscine, restaurant gastronomique, bistrot…), un espace de recherches dans les domaines de l’architecture, du design et des métiers d’art et de l’artisanat (boiserie, peinture sur bois, poterie, tissage, tapisserie, teinture végétale, couture, cuivre, argent).
Ses deux bâtisseurs, Slaheddine Smaoui, ingénieur en génie civil diplômé de l’Ecole centrale de Nantes, et son épouse Noura, première orthophoniste de Tunisie, s’enorgueillissent d’avoir reçu plusieurs consécrations, dont le premier prix du Salon de la création artisanale (1985), le prix national de la culture spécialité Métiers d’arts (1988), la nomination au Prix Agha Khan d’architecture islamique (1992) et le Grand Prix du Président de la République pour la Protection de la nature et de l’environnement (2001).
Slaheddine et Noura Smaoui.
L’Espace a aussi à son actif l’organisation de nombreuses expositions collectives réunissant peintres, sculpteurs, graveurs, photographes, designers…, des lectures poétiques, des concerts musicaux, des tables rondes, des ateliers… Il compte parmi ses invités de grands artistes et créateurs, dont Cheikh Imam, Hédi Guella, Sghaïer Ouled Ahmed, Néjib Belkhodja (qui fait l’objet d’un grand hommage, du 6 au 14 mai)…
Kèn a également accueilli des visiteurs de plusieurs nationalités, dont des Italiens, des Suédois, des Français, des Belges, venus voir de près «la seule réalisation intelligente de ces cinquante dernières années en matière de tourisme culturel, d’architecture et de construction bioclimatique», comme disait il y a plusieurs années l’ancien directeur-Général de l’Office national du tourisme tunisien (ONTT), Wahid Ibrahim, un grand stratège du tourisme culturel et aujourd’hui président de l’Association de développement touristique d’El-Haouaria.
Kèn, «le fruit d’un rêve et la réalité d’un combat», selon l’écrivain et journaliste Hatem Bourial, a toutefois failli être liquidé après avoir été placé en mars 2008 en redressement judiciaire en tant qu’entreprise en difficulté financière. Mais, ni les démarches multipliées auprès des pouvoirs publics, ni la grève de la faim observée par Slaheddine Smaoui en mai 2012 et qui avait pourtant suscité un élan de solidarité parmi de nombreux sympathisants qui avaient formé un «Comité de soutien à l’Espace Kèn», n’avaient réussi à sortir Kèn de l’impasse.
Wahid Ibrahim.
«Seul le ministère de la Culture avait réagi et répondu partiellement à notre appel au secours, en reconnaissant l’Espace Kèn comme centre culturel important et en l’inscrivant dans ses circuits et programmes culturels dans un cadre de partenariat. C’est déjà un grand acquis, mais qui ne permet pas encore le sauvetage de Kèn», avait toutefois admis Slaheddine.
Le 23 juin 2012, l’ancien ministre du Tourisme, Elyès Fakhfakh, avait en effet inauguré à Kèn le premier Salon du tourisme alternatif.
Le concepteur de cet espace est «un rêveur en avance d’au moins vingt-ans sur le temps», écrivait alors déclaré M. Ibrahim, à l’époque membre de l’Association tunisienne de promotion du tourisme alternatif.
«Le Village Ken fait partie de notre patrimoine touristico-culturel et mérite à cet effet que les ministres du Tourisme et de la Culture lui prêtent secours et main forte… Sinon, ils seraient passibles de ‘‘non assistance à projet en danger’’», concluait ce vétéran de l’ONTT.
Le 23 avril dernier encore, et sans se départir de sa verve et de ses formules lapidaires habituelles, M. Ibrahim s’est permis de «rêver»: pas moins d’une cinquantaine de rêves éveillés, de nature à révolutionner le tourisme et la culture, rien que pour Tunis et banlieues, des rêves qui font rêver !
«J’ai rêvé de tout ça parce qu’il n’est pas encore interdit de rêver», concluait-il dans un «post»-programme, une sorte de feuille de route dont «la réalisation, même partielle, serait un véritable cauchemar pour la classe politico-partisane actuelle», a commenté Mahjoub Lamti, l’un de ses nombreux fans.
«La Tunisie culturelle bouge»… de quoi rêver!
A en croire M. Zinelabidine, qui, une semaine auparavant, a évoqué sur sa page Facebook une série de projets de loi en gestation, susceptibles de révolutionner la culture, le ciseleur de calembours, Wahid Ibrahim, peut oser rêver.
«Des dizaines de textes juridiques ont été soumis ces huit derniers mois à lecture et débats relatifs à l’actualisation de la législation culturelle, dont le projet de loi sur ‘Le Statut des artistes et des métiers artistiques’, ‘Un projet de loi des Musées’, ‘La mutuelle des artistes’, ‘La réorganisation des Centres culturels, des Bibliothèques, des Centres d’arts dramatiques’», a annoncé le 16 avril M. Zinelabidine sans oublier La Cité de la Culture, un projet emblématique sur l’avenue Mohammed V à Tunis, qui a fait couler beaucoup d’encre et de béton et englouti beaucoup de milliards de dinars.
«Traitons des projets plutôt que des vagues idées (…) plutôt que de sombrer de manière redondante et pléthorique ayant pour réflexe systématique la contestation vaine et stérile qui n’a pas su, jusqu’alors, ou pu délivrer le ministère des affaires culturelles de sa léthargie décennale !», a protesté le ministre et docteur en histoire de la musique et musicologie.
Mohamed Zinelabidine.
Le même jour, M. Zinelabedine partageait deux vidéos baptisées ‘‘Tunisie cités des arts’’, qui promettent aux Tunisien(ne)s de «transformer leur rêve (culturel) en réalité» et évoquent «un Projet national, initié depuis septembre 2016, pour l’accès à la culture et sa démocratisation en Tunisie».
Le projet, stipulant que «la culture en Tunisie est un droit partout et pour tous», insiste notamment sur le «Soutien à la société civile culturelle pour lui permettre le droit à exprimer et à exercer sa citoyenneté, de s’approprier l’espace public, d’en faire un lieu d’émancipation, de liberté et d’ingéniosité» et appelle au lancement de «centaines de projets citoyens partout dans le pays…», en faveur d’«une culture de proximité».
Et «l’Homme-orchestre» de conclure : «Malgré une conjoncture économique difficile, la Tunisie culturelle bouge… et ce n’est que le début…»…
Une hirondelle fera alors le printemps !
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