Crédit photos Mohamed Ali Jendoubi.
Entretien avec une écrivaine, Sabrine Ghannoudi, qui s’est donné pour mission pour donner la parole aux femmes qui, comme elles, aiment écrire.
Entretien conduit par Fawz Ben Ali
Notre Dame des mots est un événement littéraire 100% féminin qui ne cesse de gagner en adeptes au fil des éditions. Lancé en 2015 par la jeune étudiante en civilisation et littérature françaises Sabrine Ghannoudi, il est devenu un grand regroupement de femmes écrivains, poètes, slammeuses… de tout âge et de tout milieu. Il s’agit de talentueuses oratrices pour qui l’expression littéraire vivante et instantanée s’avère non seulement une passion mais aussi une manière d’exister.
A l’occasion de l’anniversaire des deux ans du lancement de Notre Dame des mots, Sabrine Ghannoudi revient sur ce parcours riche en rebondissements et en rencontres dans cet entretien avec Kapitalis.
Kapitalis : Parlez-nous de vous. Qui est Sabrine Ghannoudi la fondatrice de Notre Dame des mots ?
Sabrine Ghannoudi : Je suis une personne qui adore lire avant d’écrire. J’ai toujours été passionnée par la lecture depuis que j’étais enfant. Je dévorais les livres qu’on m’offrait à la fin de l’année scolaire, et ceux que je trouvais à la bibliothèque générale de Zarsis, ma ville natale.
Tout cela m’a donné envie d’écrire à mon tour, mais au sud on n’avait pas l’occasion de partager ses écrits, j’ai donc passé une grande partie de ma jeunesse à écrire pour moi-même.
Quand je suis entrée à l’université, c’est la littérature française qui m’a donné encore plus envie de m’immiscer dans le monde de l’écriture, et c’est à ce moment là que j’ai pu intégrer l’équipe de Lamma Slam pour lire pour la première fois mes écrits devant le public.
Comment vous-est venue l’idée de créer cet événement ? Et pourquoi est-t-il destiné spécialement aux femmes?
Tout a commencé suite à la suspension des rencontres de Lamma Slam. J’ai pensé que je pouvais et que je devais organiser un événement qui pourrait le remplacer et qui serait le nouveau regroupement littéraire moderne et original de la capitale. J’y suis arrivée grâce au soutien de mon compagnon Mohamed Ali Jendoubi et celui des gérants du café culturel LiberThé qui ont ouvert leur espace à Notre Dame des mots.
L’idée était de créer un événement qui met la femme à l’honneur surtout que dans Lamma Slam, la parole était donnée plus aux hommes qu’aux femmes, et évidemment parce qu’on vit dans une société patriarcale, où la femme n’a pas encore tout à fait le droit de s’exprimer librement et n’est pas aussi avantagée que l’homme notamment dans le domaine culturel. Mais on ne discrimine pas les hommes, d’ailleurs on a toujours des invités d’honneurs hommes, notamment le poète Moncef Mezghanni.
Etait-ce difficile de lancer la première édition ? Quel souvenir en gardez-vous ?
Tout début est forcément difficile, mais pour moi tout s’est passé facilement et naturellement, il faut dire que j’ai eu beaucoup de chance. La café LiberThé a encouragé l’idée et nous a accueillis à bras ouverts, Mohamed Ali Jendoubi s’est occupé des coulisses et de la couverture photo, et la jeune écrivaine Amal Oueslati s’est lancée dans l’aventure avec nous pour apporter sa touche personnelle. Cerise sur le gâteau, le public a répondu massivement présent. Je garde donc un très bon souvenir de cette première édition où tout s’est passé à merveille.
Comment se fait la sélection des participantes ? Qui sont-elles et qu’est-ce qu’elles écrivent ?
On lance l’événement sur Facebook et les candidates nous-envoient leurs textes qui sont par la suite transférés à un poète et un universitaire qui se chargent de la sélection des meilleurs écrits, selon la longueur, la qualité d’écriture et l’originalité des thèmes, pour que le public puisse écouter des textes de qualité.
Ceci dit, on ne censure jamais personne, toutes les participantes sont libres de parler de toutes sortes de sujets. D’ailleurs, il y a toujours eu une grande diversité et aussi une grande audace dans les thèmes abordés.
Ces femmes sont pour la plupart des Tunisiennes, mais il y a aussi des Françaises, Espagnoles, Africaines subsahariennes… Elles sont de tout âge et viennent de milieux différents. Certaines font même le déplacement des régions intérieures du pays pour être entendues. On fait tout pour les encourager à s’exprimer et à continuer à écrire, et surtout à forger ce talent à travers les ateliers d’écriture qu’on a pris l’habitude d’organiser avec des professionnels du domaine.
Qu’est-ce-qui a changé entre la première et la dernière édition? Trouvez-vous que l’événement est en train d’évoluer?
La première expérience est unique mais c’est aussi la moins performante par rapport à la dernière étant donné qu’on a beaucoup évolué. Moi-même j’ai beaucoup appris; quand je revois les vidéos, je me rends compte à quel point j’ai amélioré mes capacités à gérer et à animer les rencontres, maintenant je suis beaucoup plus à l’aise et sûre de moi.
L’évolution est aussi très palpable chez les participantes qui proposent des textes beaucoup plus aboutis maintenant, notamment grâce aux ateliers d’écriture.
De plus on a réussi à fidéliser le public, qui nous suivait à chaque fois qu’on changeait d’espace.
Avez-vous reçu du soutien de la part d’organismes, associations, maisons de culture ou personnalités littéraires ?
Oui, tout d’abord de la part de l’Association culturelle de création et de réflexion optimiste (Accro), mais aussi de la Maison de la Poésie qui nous a accueillis à bras ouvert et nous a même consacré un hommage. On a aussi été invité à l’événement «Sfax Capitale Culturelle». Le poète Moncef Mezghanni nous a aussi beaucoup soutenues; il prenait toujours plaisir à assister aux différentes rencontres et n’hésitait pas à nous donner des conseils.
Il y avait aussi la poète, journaliste et universitaire Tounes Thabet qui venait en tant que participante et prenait part aux lectures.
Vous-même vous écrivez. Quels sont les thèmes que vous abordez dans vos écrits et quelles sont vos inspirations ?
Ce qui m’inspire ce sont les détails du quotidien, ça peut être les images d’un drame diffusées au journal du soir, une expression qui m’a marquée en lisant un livre, un vers de poésie, ça peut être un inconnu qui passe dans la rue… Mes écrits tournent généralement autour du thème de l’amour dans son sens global.
Après la révolution, il y a eu une réelle libération de la parole collective, et tout le monde s’est mis – à sa manière – à s’exprimer. Sentez-vous cette soif d’expression chez les participantes?
La liberté d’expression est finalement tout ce que l’on a gagné de la révolution. Les écrits des participantes reflètent bien cette soif et cette fougue de s’exprimer et de donner son avis sur différents sujets, notamment la politique et la société. Je pense que ces écrits sont réellement en phase avec l’actualité du pays, ce qui n’était pas possible avant le 14 janvier 2011.
Envisagez-vous dans l’avenir d’organiser des événements dans les quartiers populaires ou dans les régions intérieures du pays afin de donner la parole à plus de femmes ?
Oui, j’en rêve ! C’est quelque chose qui me tient à cœur, d’autant plus qu’on reçoit toujours des messages de tout le territoire tunisien qui nous demandent de venir. Mais le seul inconvénient demeure le manque de moyens étant donné que nous ne sommes pas une association, car il nous faut de l’argent pour se déplacer. Pour le moment on essaie plutôt de faire venir ces femmes à Tunis, en attendant de trouver les solutions adéquates pour décentraliser notre événement.
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