Les Palestiniens prient à l’extérieur de la Porte des Lions, le vendredi 21 juillet 2017 ( Ph. Sebi Berens).
Jérusalem n’est pas uniquement l’enjeu d’une lutte entre juifs et musulmans, mais les chrétiens également, en particulier américains, y ont aussi leur mot à dire.
Par Dr Mounir Hanablia *
Personne n’imaginait la fin de cette tragi-comédie qui depuis une dizaine de jours tenait en haleine le monde entier et dont l’enjeu n’était rien de moins que la souveraineté sur Jérusalem.
Comme toujours en terre sainte, d’un acte de résistance ou de terrorisme selon de quel côté du manche on se place, a émergé une cascade d’événements dont personne n’avait prévu les conséquences.
C’est que depuis le départ d’Obama et l’arrivée de Trump, le Premier ministre israélien Netanyahou, que nul ne peut tenir pour mollasson, s’estimait en bien meilleure position non seulement pour dicter ses conditions au leadership palestinien, mais surtout pour créer l’ultime fait accompli parachevant la conquête de la ville dont la consécration serait d’y transférer l’ambassade des Etats-Unis.
Mais Trump et sa famille sont bien venus; ils ont visité la ville; ils ont prié au Kotal, mais en fin de compte l’ambassade américaine n’a pas été transférée et c’est Netanyahu qui s’est retrouvé seul au pied du mur.
Mont du Temple (Ph. AP).
Aussi quand il y a eu cette attaque mortelle dont les deux policiers druzes israéliens ont été les victimes devant les mosquées, le Premier ministre a sans doute jugé le moment venu d’étendre le contrôle effectif d’Israël sur la totalité de la ville, en particulier l’esplanade du temple et d’abolir cette franchise qui depuis Juin 1967 avait été concédée par Moshé Dayan aux musulmans pour gérer, sous souveraineté jordanienne, les mosquées de l’esplanade.
Il faut dire que beaucoup d’Israéliens ont toujours jugé la restriction imposée aux juifs pour accéder à l’esplanade des mosquées comme un intolérable défi à leur souveraineté sur le pays dont le symbole le plus fort devait être la réunification de la ville en tant que capitale une et indivisible de leur Etat.
Mais on peut tout autant dire que pour les Palestiniens, dont toutes les terres en 50 ans d’occupation ont été confisquées et colonisées, les mosquées représentaient également le meilleur symbole de leur enracinement dans le pays qu’ils avaient perdu, et leur espoir ultime en un Etat national qui un jour garantirait définitivement leur présence du moins sur une partie de la terre de leurs ancêtres.
Bref, la décision prise par les autorités israéliennes d’installer les fameux portails d’acier détecteurs de métaux contrôlant l’accès aux mosquées pour des raisons de sécurité fut considérée par les Palestiniens comme une rupture de l’accord d’autogestion des lieux saints reconnu en 1967; d’autant que pour la première fois depuis 50 ans, les fidèles furent interdits d’accès aux mosquées pour la prière du vendredi, et cela créait en réalité une situation absolument sans précédent.
Les musulmans prient en dehors de la Porte des Lions de la Vieille Ville de Jérusalem aux entrées du Mont du Temple le 17 juillet 2017 (AFP).
En dépit des affrontements de rues qui avaient commencé, et entraîné des morts et des blessures, et des prières collectives dans les rues menant aux mosquées, le cabinet ministériel restreint devait refuser de retirer les portails de sécurité, malgré paraît-il l’avis contraire de l’armée et des services secrets, sous le prétexte de fournir les garanties nécessaires à la sécurité des policiers dans l’accomplissement de leur travail.
Mais les choses devaient s’envenimer, une famille de colons était tuée de sang froid par des Palestiniens dans une colonie de peuplement où ils s’étaient introduits subrepticement. Puis l’Autorité palestinienne annonçait qu’elle suspendait toute coopération avec les Israéliens jusqu’à ce que les portillons fussent retirés.
Dans tout ceci le plus remarquable fut le choix de la décision de la direction des lieux saints musulmans d’interdire à ses fidèles l’accès aux mosquées en franchissant les portails magnétiques. Et cette interdiction alla jusqu’à considérer toute prière dans les mosquées dans les conditions imposées par les Israéliens comme un acte contraire à la foi dont les auteurs devaient être excommuniés.
Or aucun texte dans l’islam n’a jamais interdit l’accès à des mosquées sous quelque condition que ce fût, en particulier lorsque l’autorité politique n’est pas musulmane.
Cette décision rappelle à tout le moins celle du mouvement national tunisien, au cours de la lutte anti coloniale, d’interdire les cimetières musulmans à tous ceux qui avaient accepté la naturalisation française, alors que rien ne l’interdisait dans le texte religieux.
Mais c’est ainsi, en tant que dépositaire de la mémoire collective et de la personnalité propre du peuple, que la religion ne puisse être interprétée que dans un sens conforme à ses aspirations nationalistes.
Il est à ce sujet permis d’évoquer concomitamment l’attitude du clergé saoudien de la grande mosquée de la Mecque pour qui, ce qui se passait à Jérusalem était un fait relevant de la sécurité à la charge de l’autorité occupante. Autrement dit, face à un même fait, on peut faire dire une chose et son contraire par des autorités issues d’une même religion, l’une étant hautement patriotique, l’autre relevant presque de la trahison et du reniement de sa propre foi.
Cependant, les Palestiniens ont largement suivi l’appel de leurs dirigeants religieux et ils ont abandonné les mosquées de Jérusalem, marquant par cela leur refus de toute forme de collaboration avec l’occupant, désormais prisonnier de son intransigeance.
Mais à cette affaire, dont aucune issue ne semblait se profiler, sinon l’affrontement, allait s’en greffer une autre mettant en cause les relations établies entre l’Etat juif et un de ses proches voisins, la Jordanie. Un Israélien, paraît-il en poste à l’ambassade de son pays à Amman, abattait deux Jordaniens, dont le propriétaire du domicile qu’il louait, puis se réfugiait dans les locaux de sa mission diplomatique.
La police jordanienne encerclait alors l’ambassade et exigeait d’interroger le coupable, alors que le gouvernement israélien invoquait la légitime défense, l’immunité diplomatique et les accords internationaux, et réclamait le rapatriement de son ressortissant.
Aussitôt les partis politiques jordaniens organisaient des manifestations de rue importantes devant l’ambassade, exigeant la remise du coupable.
On ne sait pas alors ce qui s’est passé exactement, entre les deux gouvernements mais dans la nuit, le coupable regagnait son pays alors que le gouvernement israélien faisait démanteler les portails détecteurs de métaux devant les mosquées mais annonçait l’installation de caméras de détection hypersophistiquées.
La crise était-elle pour autant résolue? Apparemment non; une crise politique majeure semble s’annoncer en Jordanie dont la population n’a pas du tout apprécié ce qu’elle a considéré être une capitulation de son gouvernement.
D’autre part, les Palestiniens n’ont toujours pas repris possession des mosquées; ils ont établi une commission d’enquête pour s’assurer que les choses en étaient bien revenues en l’état où elles étaient avant le 14 juillet, date de l’assassinat des deux policiers, et en particulier que des caméras ou des outils de surveillance n’avaient pas été installés.
Les policiers israéliens démantèlent les portails détecteurs de métaux devant les mosquées de Jérusalem.
Les Israéliens sont, par ailleurs, mécontents de la reculade leur gouvernement; ils estiment qu’il a mal évalué les risques liés à sa décision d’installer les portails d’acier, bien que l’armée et les services secrets eussent marqué leur désaccord. Et on peut effectivement se demander si ces détecteurs magnétiques auraient pu apporter en terme de sécurité alors que les territoires palestiniens sont enfermés derrière une longue muraille, qu’ils ne peuvent traverser qu’à travers des check-points étroitement contrôlés par l’armée, qu’ils sont contrôlés pendant leur trajet en taxi vers Jérusalem, qu’ils le sont encore lorsqu’ils arrivent à la station, et de nouveau encore dans la rue au hasard des patrouilles armées, et qu’ils ne possèdent ni permis de résidence, ni autorisation pour passer la nuit dans la cité.
C’est vrai que depuis l’affaire de la stèle tombale de Jénine, on sentait que le gouvernement israélien était à l’affût d’un incident majeur. Maintenant que cet incident a eu lieu, et qu’il n’en est pas sorti vainqueur, loin de là, il est à craindre que, comme il en a pris l’habitude, ce gouvernement là ne se lance dans une nouvelle aventure militaire, pour redorer son blason terni, dont les habitants de Gaza, privés depuis plusieurs semaines d’électricité, fassent une fois encore les frais.
En fin de compte, il apparaît que, au regard des organismes représentatifs de la communauté internationale, dont plusieurs résolutions ont nié un quelconque droit supérieur des juifs sur l’esplanade du temple, le gouvernement israélien ne soit pas le propriétaire de la ville, comme il le voudrait, mais un simple mandataire.
L’attitude américaine à cet égard s’est révélée très significative, après le refus de transférer l’ambassade à Jérusalem, le département d’Etat avait lancé un véritable ultimatum demandant que la crise soit résolue avant le prochain vendredi, il semble que l’ambassadeur américain ait également joué un rôle très important dans la décision du gouvernement israélien de faire machine arrière.
Pour tout dire, cette crise qui n’est pas encore conclue a révélé que Jérusalem n’était pas uniquement l’enjeu d’une lutte entre juifs et musulmans, mais que les chrétiens également, en particulier américains, y avaient aussi, et ô combien, leur mot à dire. Et c’est peut-être cela la moins bonne nouvelle pour Netanyahiu et ses colons calamiteux.
* Cardiologue, Gammarth, La Marsa.
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