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Tunisie : Jeu de cache-cash, jeu de cache-crash

L’économie tunisienne, très mal en point, souffre de deux autres maux, qui risquent de saper les espoirs de reprise de la croissance : le cache-cash et cache-crash.

Par Asef Ben Ammar *

En Tunisie, nous avons tous joué au jeu de cache-cache! Évolution oblige, nous voilà adeptes d’autres jeux plus complexes et plus novateurs, comme le jeu de cache-cash ou le jeu de cache-crash. Ces nouveaux jeux n’ont pas les mêmes enjeux ni les mêmes acteurs.

Contrairement au jeu de cache-cache, ces nouveaux jeux (cache-cash et cache-crash) ne font pas rire tout le monde, bien au contraire! Tellement ils entravent la croissance économique et altèrent profondément la transition démocratique de la Tunisie.

Par leurs méfaits et impacts négatifs, le jeu de cache-cash pénalise directement le secteur économique (PIB), alors que le jeu de cache-crash asphyxient fermement la crédibilité du système politique.

Ce n’est pas simple et cela mérite explications!

Les méandres du jeu de cache-cash

Pendant sa transition démocratique, la Tunisie post-2011 a vu son secteur informel exploser comme jamais auparavant; avec prolifération des vendeurs ambulants, pullulement des souks improvisés, propagation du marché parallèle, des transactions au «black», de la contrebande en plein jour, avec un bazar monstre en fin de compte!

Simplement décrit, le jeu de cache-cash consiste à échanger des biens et des services, moyennant de l’argent sonnant et trébuchant, payé cash illico presto. Des transactions informelles qui échappent totalement au fisc, aux impôts et à l’État.

Une vraie économie parallèle et une réalité clandestine qui passe à l’as, ni vue ni connue.

En Tunisie, le jeu de cache-cash s’érige désormais en «sport national»! Celui-ci peut porter sur l’achat d’un paquet de cigarettes ou sur l’achat d’une pastèque chez un vendeur ambulant, agissant à la sauvette sur une plage ou sur une autoroute, mais pas seulement!

Ce jeu se pratique aussi au travers des transactions plus mondaines avec un médecin, un avocat, un architecte, garagiste ou plombier… Tout y est! Cela concerne aussi les services rendus par des notables et fonctionnaires du coin : policier, élu, professeur dispensant des cours à domicile, gardien de parking, etc.

Rappelons que le jeu de cache-cash n’est pas nouveau! Il remonte à l’ère du souk ancestral fonctionnant sans lois ni État; sans barrières ni régulations. Un tel jeu profite aussi bien aux offreurs de biens et services qu’aux consommateurs, personne ne paie de taxe (TVA ou autres) sur les biens et services informellement transigés.

Aucun reçu, aucune facture, aucun service après-vente et aucun identifiant permettant de retracer les joueurs. Tout est fait pour éviter l’impôt et se soustraire du suivi statistique requis pour mesurer la création de la richesse (PIB).

Vous avez compris, cela handicape aussi les entreprises offrant des produits innovants, remplacés au grand jour par du faux et des contrefaçons liées. Le faux écarte le vrai!

L’évasion fiscale constitue un fléau grandissant et une vraie plaie pour une économie exsangue, déjà sinistrée par 6 ans d’asthénie et de marasme.

Et comme un rouleau compresseur, le jeu de cache-cash et son marché parallèle finissent par écraser le marché officiel et le souk institué. L’effet d’éviction est néfaste pour la prospérité d’un pays aussi lilliputien que le nôtre; un pays qui manque drastiquement de ressources et de marge de manœuvre économique!

Au final, l’État récolte moins de taxes et impôts, et se trouve dans l’incapacité d’offrir des services publics de qualité. Un État capable de récolter ses impôts offrira toujours de meilleurs services publics à ses citoyens (route, école, santé, services sociaux, etc.).

Le jeu de cache-cash s’incruste tellement dans le décor, au point d’impliquer des ministres et des élus qui ne dévoilent pas leurs patrimoines et qui ne paient pas nécessairement leurs impôts sur tous leurs revenus et indemnités. Cela dit, les ministres et élus pratiquent ce jeu avec la version cache-cash premium ou VIP.

Même s’il est en principe interdit par la loi, le jeu de cache-cash est omniprésent en Tunisie. Un peu plus du tiers des échanges commerciaux se fait sur les marchés informels, ceux qui fonctionnent hors la loi, mais au grand jour!

Des économistes internationaux estiment que l’activité économique informelle en Tunisie brasse des affaires de l’équivalent de 15 milliards d’US$, soit presque 40% du PIB de 2017 (estimé 39 milliards d’US$). Le jeu de cache-cash occasionne au budget de l’État tunisien un énorme manque à gagner, estimé à 9 milliards de dinars annuellement; soit l’équivalent du budget des ministères de l’Éducation et de la Santé réunis.

En ces temps difficiles l’État tunisien s’endette à tour de bras, à des taux d’intérêt moyens dépassant les 6%… et paie de plus en plus cher le jeu de cache-cash de ses citoyens.

Citoyens, État et médias doivent s’unir pour dire non au jeu de cache-cash. Ensemble, ces acteurs doivent faire barrage à ce néfaste «sport national», dont les conséquences sont dramatiques pour l’économie et ultimement pour la qualité des services publics rendus aux citoyens.

L’opportunisme du jeu de cache-crash

Le jeu de cache-crash constitue un autre jeu, plus sophistiqué et relevant d’une autre ligue. Il implique des ministres, des élus, des organismes prestigieux… et une certaine élite issue des milieux médiatiques.

Le jeu de cache-crash consiste d’abord à fermer les yeux sur le jeu de cache-cash, pour taire ensuite les mauvaises nouvelles économiques et garder le citoyen dans son ignorance. Les adeptes du jeu de cache-crash aiment cultiver le «secret d’État», préfèrent opérer derrière des portes closes et haïssent dans tous les cas la transparence.

Le jeu consiste à détenir l’information sensible et la manipuler au gré des contingences, le tout pour des raisons partisanes, électorales ou simplement vénales. Les principaux adeptes de cette asymétrie d’information (hauts fonctionnaires, élus, ministres, médias, etc.) illusionnent le citoyen, le maintiennent dans l’ignorance afin d’influencer en temps et lieu, ses choix politiques et son activisme politique.

Dans ce jeu de dupes, l’omerta sur les mauvaises nouvelles économiques est respectée à la lettre. L’omerta est simplement devenue un paratonnerre qui protège le gouvernement contre la foudre de l’opposition, et ultimement un prix à payer pour acheter la paix, ne pas perdre de la face et gagner des votes lors des prochaines élections.

En Tunisie et malgré les promesses de la transition démocratique, le chef gouvernement Youssef Chahed et certains de ses ministres sont loin de jouer cartes sur table. Ils ne favorisent pas suffisamment la transparence au sujet des engagements économiques et financiers. Les exemples se multiplient et se ressemblent. L’ex-ministre des Finances, Lamia Zribi, ayant dévoilé le déclenchement de la dévaluation imminente du dinar, a été limogée dans la semaine, sans explications, autres que celles tenues par le principal conseiller économique du gouvernement, Taoufik Rajhi.

Dernier en date, le document consigné par Chahed, à titre de Chef de gouvernement et Chedly Ayari, à titre de gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (BCT), le 29 mai 2017, en dit long sur le jeu de cache-crash.

Dans ce document et ses annexes publiés sur le site Web du Fonds monétaire international (FMI), en anglais uniquement, et par aucun des sites du gouvernement, la Tunisie officialise sa position face à la dévaluation du dinar (flexibilité totale), le gel du recrutement et salaires dans la fonction publique, l’élagage dans la fonction de quelque 25.000 fonctionnaires d’ici janvier 2018, etc.

Le double discours est manifeste. Alors que dans ce document, le gouvernement reconnaît officiellement aux experts du FMI les sérieuses difficultés économiques de la Tunisie, il maintient le secret et tient un autre discours plus «joyeux» aux médias et aux citoyens. Circulez, tout va bien!

Le FMI n’est pas naïf! Il demande désormais au gouvernement Chahed, une reddition de compte mensuelle. Une trentaine d’indicateurs sont transmis au FMI par l’Institut national de la statistique (INS), les ministères, la Banque centrale, etc., aux instances du FMI à Washington.

Le jeu de cache-crash affectionne le double discours. Et il est aussi dangereux que le jeu de cache-cash, puisqu’il est basé sur l’illusion et la manipulation du citoyen, pour des raisons électorales de court terme.

Les adeptes du jeu de cache-crash imposent aux citoyens la posture de l’autruche; s’enterrer la tête dans le sable pour ne rien voir venir. Ils ne rendent pas service aux réformes urgentes et incontournables pour sortir l’économie tunisienne de son asthénie et de son cycle d’endettement infernal.

En Tunisie, les grandes réformes socio-économiques requièrent un minimum de courage; un attribut qui fait souvent défaut chez les adeptes du jeu de cache-crash. Oui, ces reformes requièrent aussi beaucoup de la transparence et d’éthique politique.

Cela dit, aussi bien le jeu de cache-cash que celui de cache-crash sont en train de dérouter l’économie tunisienne, en faussant la vérité des prix et en altérant la vérité des salaires. Les deux ruinent les caisses de l’État et sapent tacitement les piliers de la croissance.

Les ABC de l’économie politique nous apprennent que le bien-être des citoyens tunisiens est tributaire d’une économie qui carbure à la vérité des prix et à la vérité des salaires… Le tout avec des acteurs jouant en toute transparence et avec une civilité fiscale pour les uns et une éthique électorale pour les autres.

* Ph.D., analyste en économie politique.

 

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