La qualité de la vie en Tunisie et le sérieux présumé des universités tunisiennes attirent les étudiants de l’Afrique subsaharienne qui, une fois sur place, déchantent…
Par Zohra Abid
En marge du 1er Tunisian African Empowerment Forum, organisé à Tunis les 22 et 23 août 2017, par le Tunisian-Africa Business Council (TABC), en partenariat avec le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique et celui de la Formation et de l’Emploi, ainsi que l’Association des étudiants et stagiaires africains en Tunisie (AESAT), nous avons recueilli les témoignages de plusieurs étudiants africains inscrits dans des écoles et des universités tunisiennes et qui se disent victimes de ségrégation à différents niveaux.
«En Tunisie, parce que je n’ai pas le choix»
La Sénégalaise Jolie Audry (20 ans), que nous avons croisée dans l’un des stands des universités privées, est en 2e année médecine à l’Université Centrale. Elle était sage comme une image, parlait très peu, se disant simplement qu’elle est là pour terminer ses études et rentrer au pays avec des diplômes. «J’habite à Lafayette (quartier du centre-ville de Tunis, Ndlr) avec une colocataire de mon pays. Je suis en Tunisie, parce que mes parents ont choisi pour moi et me paient les études. Je n’ai donc pas le choix», a lâché Melle Audry, s’interdisant de dire un mot de plus. On imagine qu’elle a gros sur le coeur et qu’elle n’est pas heureuse en Tunisie.
A l’intérieur de la coupole du Palais des Congrès de Tunis, où une vingtaine de drapeaux africains flottaient, une grappe de jeunes causaient entre eux. On s’est approché d’eux. Ils étaient un peu gênés. Il nous a fallu beaucoup de patience et de doigté pour faire fondre la glace. Puis, un mot par ci, et un autre par là et les langues se sont finalement déliées…
Ils parlaient parfois tous en même temps et à chacun une petite histoire à raconter. «La banque m’a refusé le stage d’étude alors que le dossier de ma camarade tunisienne, qui était moins brillante que moi à l’université, a été rapidement validé. Je me suis trimbalée d’une banque à une autre et la réponse est toujours négative et sans explication aucune. J’ai fini par faire intervenir mon prof qui a défendu farouchement mon dossier et c’est ainsi que j’ai été acceptée. Mais vous n’avez aucune idée sur les employés qui me regardent de travers à chaque fois que je passe», raconte une étudiante en administration des affaires juridiques, qui a préféré garder l’anonymat. D’ailleurs, tous ses camarades ont préféré ne pas donner leurs noms, même s’ils ont posé pour la photo.
Du racisme presque ordinaire
A part, le calvaire du quotidien dû aux interminables et fastidieuses procédures administratives liées à l’obtention de la carte du séjour et aux pénalités sur les retards dans la fourniture des papiers exigés, ces jeunes gens se plaignent des agressions verbales, dont ils sont souvent l’objet, même au poste de police.
«Lorsqu’on se dirige vers le poste de police pour les formalités de la carte de séjour, les agents ne pensent qu’à nous menotter et à nous rapatrier, sans rien vérifier. Nos aînés ayant fait leurs études sous Ben Ali n’ont pourtant pas souffert d’un pareil comportement», regrette un autre étudiant.
Son voisin évoque d’autres comportements, tout aussi ignobles, et que supporte au quotidien cette communauté de plus en plus renfermée sur elle-même: «Il y a un grand problème même avec les conducteurs de taxis qui refusent de nous prendre et qui nous lancent souvent de gros mots. Une fois, deux fois, trois fois… on finit par désespérer. Les agressions verbales sont notre pain de tous les jours. Y a pas un jour, un seul, où on ne nous dit pas de rentrer chez vous les « khalech » (noirs)».
Une étudiante tient à raconter ses mésaventures au métro de Tunis: «On s’habille discrètement et pourtant, on ne nous épargne pas. Des jeunes cherchent à nous faire des attouchements et nous lancent des mots vulgaires. Rares sont les autres usagers qui interviennent. C’est, d’ailleurs, pour cette raison qu’on se déplace désormais en groupe».
Accusées de laxisme, les autorités réagissent
L’un des membre de l’Association des étudiants et stagiaires africains en Tunisie (AESAT) ajoute : «Il ne passe pas une semaine sans qu’on enregistre une agression contre notre communauté. Ici, un incident avec un épicier, là-bas, avec un employé de la poste, ou avec un flic… Le dernier incident en date était avec un étudiant tchadien à Sousse et c’est un flic qui lui a enlevé sa montre. Il faut que l’Etat, laxiste jusque-là, pénalise sévèrement les actes de discrimination. Ces comportements nuisent à la réputation de la Tunisie, car nous sommes ses véritables ambassadeurs dans nos pays respectifs».
Une étudiante a tenu à signaler une autre forme de discrimination. «Le proprio de l’appartement où j’habite m’a demandé le double du loyer payé par ma copine tunisienne. Je devais payer ou dégager. Dos au mur, j’ai accepté, et pour vivre là, c’est une autre histoire», dit-elle.
Tous les jeunes que nous avons interviewés regardent, aujourd’hui, vers le Maroc. «Là où on va, on est exposé à la ségrégation. Mais au Maroc, on est, au moins, tranquille pour la carte du séjour», enchaîne un autre membre de l’AESAT. «Pourtant, ici, on respire bien le vent de la liberté», a-t-il ajouté sur le ton du regret.
La balle est, donc, aujourd’hui, dans le camp du gouvernement qui est bien informé des problèmes évoqués ci-haut et conscient de la nécessité d’y apporter des remèdes rapidement. «Nous sommes conscients de l’existence de certaines difficultés rencontrées par des étudiants et stagiaires africains en ce concerne la carte de séjour et les conditions de vie dans notre pays. Le gouvernement est résolu à trouver des solutions efficaces et à mettre fin aux tracasseries administratives», a annoncé Youssef Chahed dans son discours d’ouverture du 1er Tunisian African Empowerment Forum.
Le chef du gouvernement Youssef Chahed promet des solutions pour mettre fin aux tracasseries administratives.
Pour Mehdi Ben Gharbia, ministre chargé des Relations avec les Instances constitutionnelles et la Société civile, le gouvernement est préoccupé par le phénomène de la discrimination et une loi pour sanctionner les actes discriminatoires va être présentée au prochain conseil des ministres, avant d’être portée devant le parlement.
Lors de ce forum, il y a eu des discussions entre les ministres venus de plusieurs pays d’Afrique subsaharienne et leurs collègues tunisiens. Tous font confiance au gouvernement, qui a promis d’aplanir les difficultés relatives à la carte de séjour pour les étudiants et stagiaires africains, qui sont toujours attirés par les universités et les écoles de formation tunisiennes jouissant d’une bonne réputation.
«Nous comptons 203 établissements d’enseignements publics et 71 privés avec 22.648 enseignants dans les branches de la médecine, de l’ingénierie et de la technologie, de l’architecture et de l’art, de l’économie et de l’administration des affaires juridiques», indique un récent rapport du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, qui rappelle que la 1ère université ouverte dans la région est celle de la Zitouna, au 8e siècle après J.-C., plus de 2 siècles avant celle d’Al-Azhar en Egypte et quelque 5 siècles avant celle de Florence en Italie.
Donnez votre avis