La 6e édition de la biennale d’art pluridisciplinaire Dream City s’est clôturée dimanche 8 octobre 2017, nous laissant des étoiles dans les yeux et de fortes sensations.
Par Fawz Ben Ali
Cinq jours d’art, de rencontres, de découvertes et de longues virées au cœur de la Médina de Tunis où le festival a pris l’habitude de s’installer depuis déjà 10 ans.
Ayant lieu tous les deux ans, Dream City nous revient à chaque fois avec une programmation encore plus fascinante. D’ailleurs, cette année le festival a connu un franc succès : organisation impeccable, artistes surprenants et engagés et une participation massive de la part du public.
«Les ateliers de la ville rêvée» à la Madrassa Khaldounia.
La chasse aux œuvres
Une ambiance particulière a régné dans la Médina tout au long de ces cinq journées, de mercredi à dimanche, jeunes et moins jeunes étaient là dès le premier jour, prêts à s’aventurer dans les petites ruelles; bracelets tricolores autour du poignet (chaque bracelet correspondant à un parcours artistique), carte de la Médina à la main, chaussures confortables aux pieds et c’est parti pour la chasse aux œuvres.
Comme chaque édition, les habitants, les commerçants et les bénévoles étaient toujours présents pour guider et aider les festivaliers à trouver les différents points des parcours.
Chaque jour, avant l’ouverture des trois parcours artistiques, le public avait rendez-vous avec «Les ateliers de la ville rêvée» à la Madrassa Khaldounia, un nouveau volet dans la programmation, dédié au débat pour réfléchir ensemble (intellectuels, artistes, étudiants…) sur différentes thématiques qui touchent à l’art et à l’urbanisme.
Ces rencontres étaient animées par l’universitaire, philosophe et sociologue belge Eric Corigin, accompagné par différents intellectuels tunisiens, et il y avait pour chaque jour un nouveau débat interculturel passionnant de deux heures et demie.
«Un festival artistique urbain sert à réfléchir la ville».
Samedi, les fondateurs de Dream City, Sofien et Salma Ouissi, ont pris part au débat sur «L’art et la ville» pour partager leurs expériences en tant qu’artistes chorégraphes et directeurs artistiques d’un festival qui a choisi de ne pas dissocier l’art du milieu urbain. «Un festival artistique urbain sert à réfléchir la ville», disent-ils.
Des artistes sensibles et engagés
A la fin de ces rencontres quotidiennes, commencent les parcours de créations qui se dessinent sur toute la Médina (vieilles maisons, palais, hammams, casernes…).
Dans Dream City, on ne fait pas l’art pour faire beau, cette année toutes les œuvres se rejoignent dans leur engagement. Elles ont été créées pour questionner le monde et interpeller le spectateur.
‘‘Arous Oueslat’’ de Rochdi Belgasmi.
Rochdi Belgasmi, star de cette édition, nous a toujours habitués à un art provocateur, audacieux qui se moque des tabous. Avec son nouveau spectacle ‘‘Arous Oueslat’’, il reste fidèle à lui-même, explorant encore une fois, à travers la danse tunisienne qui s’entremêle au théâtre et à l’art contemporain, le corps, la sexualité refoulée et le rapport trouble entre masculinité et féminité.
Interdit aux moins de 16 ans, ‘‘Arous Oueslet’’ fut le spectacle le plus visité de cette édition, simple curiosité ou intérêt ou par la question du genre?
Une autre œuvre déconseillée aux mois de 16 ans a également attiré les foules, il s’agit de ‘‘Tilt frame’’ de Boyzie Cekwana avec la participation des membres de l’association Damj.
Cette création s’inscrit dans la lutte pour les droits des minorités sexuelles en Tunisie en mettant le doigt sur la répression et la conformité forcée en faveur de la normativité hétérosexuelle, et ce à travers un série de performances (danse, chant, slam, poésie, théâtre, arts plastique…) dans un même spectacle.
‘‘La couleur du temps’’ de Erin Manning.
L’une des performances les plus marquantes de cette édition a été donnée par un groupe d’enfants et d’adolescents réunis par la metteuse en scène égyptienne Laila Soliman et l’artiste belge pluridisciplinaire Ruud Gielens.
‘‘Superheroes’’ est le nom de ce spectacle qui donne la parole aux plus jeunes pour parler en toute liberté de leurs rêves, de leurs ambitions et du regard qu’ils portent sur «les grands», dans une mise en scène construite sur mesure pour le fabuleux décor du palais de Tourbet el Bey.
»Barbed gate » de Nidhal Chamekh.
Des œuvres pointues
D’autres artistes ont joué la carte du symbolisme et du mystère à travers des œuvres que chacun interprétera à sa manière, comme l’artiste et chercheuse canadienne Erin Manning, qui, à travers son installation ‘‘La couleur du temps’’ s’est servie du coton, de la soie et du curcuma pour nous affirmer qu’«il y a une odeur au-delà de la couleur, un toucher dans le regard et un goût dans la texture».
D’autre part, l’artiste plasticien Nidhal Chamekh qui a entièrement habillé la Porte de France de fils barbelés pour dénoncer les mesures de sécurité renforcées depuis le 14 janvier 2011. Il nous propose une sorte d’exposition faite d’objets de tous les jours dans ce qu’il a appelé ‘‘Le cabinet des frontières’’. Une centaine d’objets collectionnés symbolisant les frontières géographiques et leur impact sur les politiques, les sociétés et les libertés individuelles.
‘‘0904’’ de Malek Gnaoui.
Malek Gnaoui, jeune artiste plasticien a marqué les esprits avec son installation ‘‘0904’’, une œuvre qui tente de reconstituer le passé, celui de la prison de 9-Avril de laquelle il ne reste plus rien. A Dar Dey, où il remet tout le décor de la prison en scène, Malek Gnaoui nous expose des témoignages, des objets, des souvenirs tangibles… Pour faire revivre la mémoire des détenus et souligner l’impact de l’enfermement carcéral sur l’être humain.
Dream City est la réunion d’œuvres pointues et d’artistes engagés dans une manifestation qui ne tombe jamais dans l’élitisme car elle se veut populaire et proche de tous, privilégiant le mouvement et l’interaction. Une idée de génie signée Soufien et Selma Ouissi pour faire de la Médina un sanctuaire de création aussi moderne qu’authentique.
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