L’Europe doit réorienter la philosophie de sa coopération avec les pays sud-méditerranéens pour aider à fixer les migrants dans leur région de départ.
Par Fathi B’Chir *
L’immigration ou émigration, selon l’un ou l’autre bord, demeure pour l’heure un des principaux sujets de préoccupation. Les réseaux sociaux sont emplis de texte de désespoir témoignant d’un sentiment d’étouffement généré par l’incertitude sur l’avenir. Le malaise est indéniable. Partout.
Le seul espoir serait ainsi dans la fuite. Une marée humaine submerge aussi bien les pays d’accueil que de transit. Des jeunes par milliers ont, par leur imprévoyance, par leur sentiment de désespoir, transformé la Méditerranée en cimetière.
Aussi significatif, l’exode de cadres utiles pour leur pays. Les médecins cherchent à s’expatrier, selon les médias, oublieux des intérêts du pays qui a financé leur formation et de ses besoins. Mais comment leur reprocher cette apparente désertion dans une ambiance grise qui découragerait même les plus volontaires.
Du grain à moudre à l’extrême-droite
En Europe, la crainte de l’invasion, plus fantasmée que réelle, nourrit des peurs et des rancoeurs dont profitent les activistes de l’extrême-droite raciste et xénophobe.
L’arrivée, indéniable problème, de dizaines de milliers d’hommes – peu de femmes – promet un casse-tête déjà signalé. Souci démographique en cristallisation.
La boucle est bouclée avec les agissements d’agitateurs d’un soi-disant islam, plus politique que religieux, qui donnent chaque jour du grain à moudre à cette extrême-droite dangereuse, avec lesquels ils ont formé une «sainte alliance» de fait. Implicite.
On peut compléter le tableau par l’invocation du poids économique de cet inquiétant mouvement de population. Budgétairement pesant.
On oublie, ou on s’abstient, cependant, de chiffrer un aspect important : le coût de toutes les politiques d’endiguement des flux migratoires déjà déployées. Polices, douaniers, sauveteurs, affrètement de bateaux de contrôle et de secours, structures de gestion des coûts, camps de rétention, frais de conférences, etc.
Fixer des gens dans leur région de départ
Une telle dépense globale, faramineuse parfois, ne serait-elle pas mieux employée à fixer des gens dans leur région de départ, qui sont essentiellement rurales ou de zones défavorisées. Les provenances des banlieues ne sont certes pas dans cette définition, mais elles sont en fait le fruit d’un exode par étapes. Les villes côtières maghrébines ne sont souvent qu’une halte pour qui vient de plus ou moins loin.
L’Europe doit y contribuer. Elle ne peut s’y soustraire et ne peut dégager sa responsabilité dans de tels pays qu’elle n’a cessé d’ancrer ou de satelliser à son propre marché. Des DOM-TOM de fait où elle détermine, peu ou prou, le fonctionnement et même parfois les facteurs de déséquilibre économique, social et démographique.
Des études ont déjà montré que la coopération européenne, comme internationale, profite davantage aux régions littorales qu’à celles de l’intérieur, profitant de la qualité des infrastructures, ports, routes et aéroports. Elle a ainsi contribué davantage au déséquilibre territorial des pays partenaires. Une réorientation de la philosophie de la coopération serait donc nécessaire pour que l’argent dépensé le soit avant même le départ. Bien dépensé.
Une responsabilité manifeste
La même logique vaut aussi bien pour l’extérieur de l’Europe que pour son intérieur, parce qu’elle se retrouve aussi au sujet des migrations internes où l’on voit des Creusois des Ardéchois ou des Bretons chercher à «monter» vers les grands centres urbains pour y trouver travail et bien-être et fuir les déserts administratifs et médicaux.
Le plombier polonais, le routier ukrainien ou moldave, les personnels de santé roumains et bulgares sont désormais visibles et fréquents dans l’ouest européen.
La même solution vaudrait dans un cas comme dans l’autre, tous les autres. La responsabilité est similaire dans tous les cas. Mais pas seulement celle de l’Europe ni seulement des pays de départ ou de transit.
Le thème mériterait peut-être de devenir un sujet de dialogue de part et d’autre de la Méditerranée en y impliquant l’Afrique subsaharienne, ou même un objet de discussions au plan international. Non pas des conférences, et il y en a eu, mais des actes courageux et audacieux. Réactiver les imaginations.
* Journaliste tunisien basé à Bruxelles.
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